Brandon Seabrook : Object of Unknown Function

Brandon Seabrook : Object of Unknown Function

Pyroclastic Record

Il est des guitaristes à l’égard desquels il est difficile de tenter un étiquetage. Ils n’appartiennent à aucun genre déterminé et ils se gardent bien de se revendiquer de l’appartenance à un style. Ni jazz, ni rock, ni autre chose, ils sont souvent réduits à se coltiner l’appellation galvaudée, quoique pas tout à fait dénuée de sens, d’« expérimental ». Fred Frith, Henry Kaiser, Derek Bailey incarnent cette tribu sans chef de file et sans réelle filiation. La démarche de Brandon Seabrook s’inscrit dans cette mouvance libre et audacieuse. Pour autant, elle n’est pas exempte de contraintes et de rigueur. Ce guitariste et banjoïste établi à New York, relativement jeune, 40 ans à peine, a commis ses faits d’armes au sein des diverses scènes croisées de la métropole américaine, réalisant son premier disque solo il y a dix ans, tandis qu’il fut nommé meilleur guitariste de New York par le Village Voice en 2012.

« Object of Unknown Function » constitue une sorte de manifeste. Seabrook y a travaillé avec ardeur et passion. Il explique qu’il a voulu cet album comme l’apogée d’idées qui existaient à l’état latent lors de ses concerts exécutés en solo au cours de la dernière décennie. Avec un défi : celui de restituer au mieux l’énergie live pour la transposer sur disque. L’enregistrement a fait l’objet d’une attention particulière, utilisant des micros contact disposés sur ses jambes, sa gorge et sur sa poitrine, pour restituer au mieux le langage du corps en action. Comme si l’auditeur devait se sentir en présence du musicien s’exécutant devant lui. Musicalement, la dizaine de pièces ordonnées ici s’est construite à la fois sur des motifs composés pour des banjos datant du début du vingtième siècle (des années 20 plus précisément) et pour des guitares de la fin du siècle (une Fender Telecaster Thinline de 1989 et une Jerry Jones Neptune 12 cordes électrique). Seabrook a également eu recours à un Tascam cassette 4 pistes duquel il exhume une série de sons contingents. Il enregistre et répète différentes suites d’accords, alignant plusieurs pistes de banjos et/ou de guitares. Le résultat est soufflant, pour ne pas dire époustouflant. La palette des sons qu’il parvient à obtenir avec ses instruments à cordes est très vaste et enluminée, faisant sonner un banjo vieux d’un siècle comme un artéfact contemporain. « Object of Unknown Function » apparaît comme un des disques les plus surprenants de 2024, dénouement ontologique mental et physique d’un musicien faisant corps, au sens littéral comme au figuré, avec son instrument.

Eric Therer