Camille Maussion, l’artisane de l’imaginaire
Parmi les noms de la jeune génération de musiciens français qui reviennent aux oreilles depuis quelques années, la saxophoniste Camille Maussion est certainement l’une des plus assidue. Actuellement sélectionnée pour la tournée Jazz Migration #8 avec Mamie Jotax, son duo avec Carmen Lefrançois, elle anime depuis de nombreuses années le Nefertiti Quartet avec la pianiste Delphine Deau. Dotée d’un univers riche et très coloré, la musicienne, par ailleurs passionnée par le geste et le mouvement, propose une musique aux images fortes, très marquées par les magiciens du cinéma, de Méliès à Burton, notamment dans son nouveau projet « Abysskiss ». Rencontre avec une artiste entière et parfaitement de son temps.
«Je vois le saxophone comme le prolongement de ma voix et de mon corps en mouvement.»
Camille, pouvez-vous vous présenter ?
Camille Maussion : Je suis musicienne, saxophoniste, compositrice, créatrice d’objets artistiques sonores. Mon parcours a commencé dans les terres du Sud. Fanfares, bandas, harmonies, de multiples groupes collectifs et festifs ont façonné ma manière de partager et de percevoir la musique. De longues études de saxophone classique et contemporain (entre 12 et 23 ans) m’ont ouverte à un nouveau monde sonore, inconnu jusqu’alors, qui fait désormais partie de mon imaginaire et de mon langage. À mes 15 ans, la découverte du jazz et de l’incroyable puissance de l’improvisation a été révélatrice. Étudier et comprendre cette musique est soudainement devenu une obsession ; cela a donné un sens profond à ma pratique. Je vois le saxophone comme le prolongement de ma voix et de mon corps en mouvement. Je suis aussi directrice artistique de la Compagnie Saä, fondée en 2019 pour donner vie à mes envies de création et de connexion à travers le sensible.
Vous animez depuis quelques années Mamie Jotax (1) qui est dans la sélection Jazz Migration #8. Pouvez-vous nous parler de ce duo avec Carmen Lefrançois ? Quelle a été la démarche de créer un duo de saxophone ?
C.M. : Carmen Lefrançois, extraordinaire saxophoniste qui a étudié cet instrument dans ses moindres détails, aussi à l’aise avec la musique contemporaine la plus pointue qu’avec l’improvisation non idiomatique, m’a appelée avec l’envie de marier nos deux mondes artistiques. Nos sept années d’explorations sonores et d’amitié ont donné naissance à notre Mamie Jotax. L’idée première est la recherche de liberté. L’envie d’approfondir des techniques instrumentales qui sollicitent la voix, se combinent avec le plaisir de sculpter la matière sonore qui peut sortir de cet instrument. Mamie Jotax, c’est l’exploration d’une musique radicale et organique avec nos imaginaires entremêlés.
Mais pourquoi « Mamie Jotax » ?
C.M. : Mamie Jotax est un mot-valise qui vient entre autres de « Mijoter » et de « Mamie », comme les folles racines d’un arbre millénaire !
Ce n’est pas la première fois que vous êtes sélectionnée par Jazz Migration, ce fut le cas dans la session #5 avec le Nefertiti Quartet. Qu’est-ce que cela vous a apporté avec le quartet ? Quelles sont les différences esthétiques entre le duo et le quartet ?
C.M. : Jazz migration nous a donné l’opportunité de creuser l’identité artistique du quartet. Avoir un groupe pendant 10 ans et continuer d’avancer, de chercher et d’évoluer ensemble, c’est un challenge en soi ! Je crois qu’aujourd’hui avec Nefertiti Quartet, nous cherchons à prendre de plus en plus de risques, à se surprendre. Nefertiti c’est l’énergie dans la continuité, le plus loin possible. Mamie Jotax, la surprise dans la rupture. Mamie Jotax c’est en premier lieu creuser la matière sonore. Pour Nefertiti, il s’agit de pousser l’ancrage rythmique sous de multiples formes. Mamie Jotax c’est une musique construite main dans la main, suite à des heures et des heures d’improvisation libre et libératrice. Pour Nefertiti c’est la pianiste Delphine Deau qui compose le matériau initial que nous malaxons, retournons, et ajustons à 4, avec Pedro Ivo Ferreira, le contrebassiste et le batteur Pierre Demange. En revanche, ce qui rassemble les deux groupes, ce sont des années de recherches et d’amitié ainsi que l’envie de créer une musique surprenante et réellement collective.
«Le musique est pour moi une vibration organique du corps, du gros orteil jusqu’à la pointe des cheveux.»
On ressent une grande théâtralité dans votre musique. Est-ce que c’est une approche consciente ?
C.M. : Tôt dans mon parcours, j’ai travaillé avec mon amie conteuse, Muriel Bloch dans le roman musical « Le Souffle des Marquises ». Muriel m’a toujours beaucoup inspirée, cette expérience a dû ancrer quelque chose en moi j’imagine. Il se trouve que le lien entre le son et le mouvement me fascine depuis l’adolescence. J’ai peut-être davantage une approche de danseuse finalement ? En tout cas, la musique est pour moi une vibration organique du corps, du gros orteil jusqu’au bout des cheveux !
Cette théâtralité, elle est très présente dans votre dernier projet Abysskiss (2). Comment s’est faite la rencontre avec Pierre Tereygeol notamment ?
C.M. : J’ai rencontré Pierre Tereygeol, guitariste, chanteur et compositeur, en 2019. La connexion musicale a été instantanée. S’agissant d’Abysskiss, la théâtralité n’est pas forcément présente dans le processus de départ. Je dirais qu’il s’agit davantage d’une musique imagée, presque cinématographique. En 2020 (période où vous savez quoi), j’ai ressenti le besoin de trouver une porte d’entrée différente dans le processus créatif. Partir de l’écriture et non de l’improvisation collective pour composer. Quelque chose d’assez neuf pour moi. Avec Pierre, nous composons et imaginons en aller-retours la direction artistique d’Abysskiss. C’est une musique très écrite, proche de la musique de chambre, dans laquelle l’improvisation tient une place importante, que nous explorons sous de multiples formes. Nous avons à nos côtés deux interprètes et improvisateurs géniaux : Illya Amar au vibraphone et Victor Auffray aux flugabone, euphonium et voix. Abysskiss, c’est en premier lieu l’envie de créer une musique qui fait du bien, un disque, mixé avec soin par Pierre, qu’on aurait envie d’écouter plus d’une fois.
Vous parlez de rétrofuturisme pour Abysskiss, il y a un travail évident sur les sens. L’imaginaire est votre territoire ?
C.M. : C’est complètement mon territoire ! Comme on peut certainement le voir notamment dans l’univers visuel d’Abysskiss, fabriqué avec Julien Vaugelade. J’adore me plonger dans mon imaginaire sans aucunes restrictions. C’est quelque chose qui me fait me sentir vivante et réellement en connexion avec tout ce qui m’entoure. Oui, je suis habitée par la recherche de sens et un travail sur les sens.
Vous travaillez beaucoup en « soundpainting », vous pouvez nous en parler ?
C.M. : J’ai découvert le « soundpainting » il y a bientôt 10 ans ! C’est une pratique artistique passionnante où tout est possible, où tous les arts / disciplines peuvent se rencontrer, c’est ça qui me plait. C’est assez magique car cela permet de construire avec précision une œuvre en temps réel, en ressentant très intensément les énergies des artistes en face de moi. C’est aussi pour moi un outil de transmission incroyable qui permet à des personnes, parfois très loin de l’art dans leur vie, de se connecter puissamment par les sons et les mouvements.
Quelles sont vos influences majeures ?
C.M. : Comme ça vient, sans ordre de préférence : Björk, Stravinsky, Sonny Rollins, « Edward aux mains d’argent », John Zorn, Corine Sombrun, Wayne Shorter, Michel Gondry, Tune-Yards, Grand-mère Yetta et le chocolat riz soufflé !
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(1) Voir www.camillemaussion.com/mamie-jotax.
(2) Voir www.camillemaussion.com/abysskiss.
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