Candid, un label historique qui fait le jazz d’aujourd’hui… pas si candide que ça
Il y a un peu plus de soixante ans, en 1960 exactement, Archie Bleyer fondait le label Candid, dix ans après avoir créé Cadence Records qui publiait les Everly Brothers ou Andy Williams entre autres. Dès ses débuts, le label impose son image avec des albums qui se révéleront historiques : « We Insist ! » de Max Roach est le premier album de jazz du label (le tout premier étant un album blues d’Otis Spann), directement suivi par « Charles Mingus Presents ». Mais les difficultés financières de Cadence Records, véritable ressource pour la section jazz Candid, feront disparaître le label, jusqu’à la sortie des premiers Kenny Barron, avant une véritable reprise en 2021. Un retour du label Candid qui ravira tous les amateurs, avec la réédition d’une bonne partie du catalogue ainsi que la production d’artistes d’aujourd’hui, comme Stacey Kent et son dernier album en duo. On a déjà évoqué les rééditions de Max Roach et Charles Mingus, on pourrait aussi citer Abbey Lincoln, Lightnin’ Hopkins ou Otis Spann. Les derniers arrivages sont à classer parmi les enregistrements à ne pas manquer, qu’il s’agisse de rééditions ou de nouveautés.
Rayon inédits, « New Standards vol.1 » est produit par Terri Lyne Carrington et Matthew Stevens, une formidable compilation de standards plus anciens – « Throw It Away » d’Abbey Lincoln chanté ici merveilleusement par Melanie Charles et « Two Hearts » de Carla Bley avec Ravi Coltrane et un quatuor à vent – et de pièces récentes moins connues comme « Wind Flower » de Sara Cassey avec la guitare de Julian Lage, « Ima » d’Anat Cohen ou « Respected Destroyer » de Brandee Younger. Le quintet de base est composé de Terry Line Carrington à la batterie, Kris Davis au piano, Linda May Han Oh à la contrebasse, Nicholas Payton à la trompette et Matthew Stevens à la guitare. Ajoutez-y des invités comme Ambrose Akinmusire, Diane Reeves et ceux déjà cités, vous avez un album superbement produit et d’une grande variété de climats.
Autre nouveauté et non des moindres, ce « Live at the Detroit Festival » enregistré en 2017 est une nouvelle trace de l’incommensurable importance de Wayne Shorter dans l’histoire du jazz depuis soixante ans. On est toujours bien ici dans l’esprit de la musique de son Quartet avec Danilo Perez, John Patitucci et Brian Blade, celui d’une musique de l’instant, exercice dans lequel Shirter a toujours brillé. Un quartet inédit composé de Esperanza Spalding à la contrebasse et au chant, Terri Lyne Carrington à la batterie et Leo Genovese au piano, qui remplaçait Geri Allen décédée quelques semaines avant le concert. En ouverture, deux longues compositions où le quartet s’engouffre dans un chant aventureux, une composition de Milton Nascimento, « Drummers Song » de Geri Allen et « Midnight in Carlotta’s Hair » tout aussi déstructuré que les précédents thèmes de Shorter, … et on est au bout de ces cinquante-cinq minutes sans s’en apercevoir. Magnifique.
Côté rééditions, on n’a que l’embarras du choix avec « Out Front » de Booker Little, un des rares témoignages du trompettiste trop tôt disparu, avec Eric Dolphy et Max Roach. Avec « Color Changes » le bien titré pour l’apport du hautbois de Yusef Lateef – « Brother Terry » – la composition de Duke Jordan « No Problem », et bien sûr les compositions du leader Clark Terry.
On reste au début des années soixante, prolifiques pour le label, avec le septet « Jazz Reunion » réunissant Coleman Hawkins, Pee Wee Russel, Bob Brookmeyer, Emmet Berry, Jo jones, Milt Hinton et Nat Pierce.
Sur l’album « That’s It ! », le saxophoniste Booker Ervin donne une des nombreuses versions de « Poinciana » immortalisée quelques années plus tôt par Ahmad Jamal, ainsi qu’un thème de Kurt Weil devenu un standard « Speak Low », plus cinq compositions personnelles où le pianiste Horace Parlan est plusieurs fois mis en évidence.
Pour le premier album de Cecil Taylor sur Candid en 1961, Nat Hentoff eut l’idée de donner la parole à un critique et à un musicien pour écrire les liner notes, une façon de mâcher la besogne des chroniqueurs ? « The World of Cecil Taylor », avec la participation de Archie Shepp sur deux morceaux, passe bien plus facilement dans nos oreilles aujourd’hui qu’au début des années soixante, une musique dont on ressent peut-être plus aujourd’hui son côté émotionnel.