Carol-Ann Belzil-Normand : Cri de velours

Carol-Ann Belzil-Normand : Cri de velours

Avatar/Première Ovation/Recto Verso

D’abord on est intrigué par l’objet : une pochette vinyle avec un motif tout en rondeur de tissu violet, dont le relief se détache d’un fond monochrome de la même couleur, en plus clair. Au verso, le texte de Marie-Pier Boquet nous introduit à la pratique multi/inter-disciplinaire de Carol-Ann Belzil-Normand (installations, vidéos, recueils de poésie, podcast) et à ce deuxième opus sonore (le précédent « Odeurs sonores » date de 2014) qui part d’un sample du cri de la jeune femme – fractionné, étiré, multiplié… – « qui se module au gré d’environnements sonores parfois éthérés, parfois entêtants ». Le titre de la face A, « Ouvrir la bouche et décâlisser » (que l’on peut traduire par « foutre le camp ») situe bien la démarche. Dans un premier mouvement minéral, le temps semble suspendu dans des sphères célestes ; une vague électro plus distinctement vocale se détache des gouttes comme pour nous engager à la suivre vers la lumière, puis elle disparaît. Après 6 minutes du deuxième mouvement, on perçoit d’avantage la voix au-delà de tout langage, dans ses oscillations, ses répétitions, mais on reste dans cette succession d’aplats et de nappes qui participent d’une forme de composition abstraite, matiériste, organique, où l’humain s’insère dans une sorte d’éternel retour cosmique.

Marie-Pier Bloquet évoque, dans sa présentation, le travail de Carol-Ann Belzil-Normand autour du « corps féministe et d’une identité plurielle féminine, ni enragée ni soumise » ainsi que les grandes figures subversives du monde de l’art contemporain que sont Yoko Ono et Marina Abramovic, lesquelles semblent en effet avoir marqué l’artiste québécoise, mais rien ici ne nous le rappelle directement. Ce cri dilaté s’entend plus largement comme un microcosme élargi dans un halo de loops (on pense parfois à Philip Jeck sans les manipulations platinistes). Quand on croit être sorti (ou définitivement happé) du tunnel, un cri cette fois cru perce brièvement avant que le sillon se ferme après 19 minutes.

Au début de la face B, la voix donne son titre sur fond de froissements intempestifs de papier, « je ne suis pas musicienne » puis, après quelques minutes qui s’amusent avec notre patience, s’impose une boucle parfois ponctuée de notes basses avec, plus loin, la répétition obstinée d’un « en silence » fantomatique. La métamorphose s’opère à 8 minutes, en un drone à la fois statique et dynamique, prenant plus de densité puis se stabilisant dans son vol en excitant là encore notre attente de changement. A 14 minutes 30, la voix revient, sans fard et furtivement, au-devant, comme pour donner un dernier indice, une dernière image sonique – « chanter le cri de Willem dans un film sans caméra » – puis le flux disparaît lentement et le cri s’enfuit dans son écrin de velours.

Philippe Franck