Charles Lloyd – Bill Frisell, I Long To See You
Charles Lloyd – Bill Frisell, I Long To See You
Charles Lloyd et Bill Frisell ou le romantisme américain. Avec la rythmique de ses derniers albums pour le label ECM – Reuben Rogers et Eric Harland -, Charles Lloyd rencontre deux guitaristes – Bill Frisell et Greg Leisz – pour une nouvelle lecture du fameux « American Songbook ». Souvenons-nous d’abord de la période 1998-2002 pendant laquelle le saxophoniste enregistre quatre albums avec John Abercombie : « Voice in the night »(1998) ; « The Water is Wide » (1999); « Hyperion with Higgins », (1999); « Lift Every Voice »(2002). Ou, plus loin, dans les années 1960, sa collaboration avec Gabor Szabo. Juste pour rappeler que le lien entre Charles Lloyd et les guitaristes ne date pas d’aujourd’hui. Qu’il enregistre aujourd’hui avec Bill Frisell n’est pas non plus une surprise. Le concert du guitariste au Middelheim 2015 permet d’évoquer le lien qui unit ces deux géants : l’attirance vers la musique rock des années 1960/1970. Lloyd participe aux enregistrements des Beach Boys pendant sa période hippie, mais aussi avec Canned Heat et les Doors, Frisell réarrange également la famille Wilson, mais reprend aussi les Kinks, Bob Dylan, Marvin Gaye, et bien sûr les grands traditionnels de la musique américaine. Ce melting-pot culturel on le retrouve sur ce nouvel album attribué au saxophoniste, même si il aurait pu l’être au guitariste, voire aux deux réunis. L’album s’ouvre sur une belle version de « Masters of War » de Bob Dylan, suivi de la reprise d’une composition du saxophoniste, « Of Course, Of Course » de l’album éponyme sorti en 1965 ( avec Szabo, Ron Carter et Tony Williams). Plus loin, le saxophoniste reprend une autre de ses compositions, « Sombrero Sam » de l’album Atlantic « Dream Weaver ». Tous deux amoureux des thèmes traditionnels, Lloyd et Frisell embarquent quatre thèmes issus du folklore, mexicain d’abord avec une version sensible de « La Llorona », américain ensuite avec l’inusable « Shenandoah » dont on ne compte plus les versions ( jazz avec Charlie Haden entre autres, mais aussi folk avec Arlo Guthrie, Pete Seeger…). « All My Trials » et « Abide With Me » complètent cette évocation de l’univers country. Dans la même veine, la chanson-fétiche de Ed McCurdy, « Last Night Night I Had the Strangest Dream », thème anti-militariste des années 1950, est interprétée ici par Willie Nelson, une version qui n’aura rien à envier à celles de Johnny Cash ou Simon & Garfunkel. Aussi le succès de Billy Preston (dont la version la plus connue reste celle de Joe Cocker) « You Are So Beautiful » offre à Norah Jones une courte, quasi timide mais craquante participation à ce florilège romantique de l’ « American Songbook ». Finalement, seul le dernier et long (16 :26) thème de l’album se révèle être un original de Lloyd : « Barche Lamsel » est une longue litanie introvertie bien dans la lignée des compositions du saxophoniste touchant au mystique et à l’âme profonde. Si on ne devait pas s’attendre à une révolution stylistique dans le parcours du saxophoniste, l’intérêt de l’album réside principalement dans les interventions de Bill Frisell et de la steel guitar de Greg Leisz. Les fans de Lloyd craqueront à coup sûr sur la magnifique sonorité du saxophoniste et sa faculté à faire chanter les mélodies.
Jean-Pierre Goffin