Christine Ott, inc(l)assable
Christine Ott, inc(l)assable…
« The End » s’affiche sur l’écran, en fond de scène… Les dernières notes de piano s’éteignent dans un lent soupir… « Tabu », l’ultime film du cinéaste expressionniste allemand Murnau (de ce réalisateur, tout le monde a encore en tête les images de l’horrible vampire Nosferatu) vient d’être projeté tandis que Christine Ott posait, sur ces superbes images muettes, sa partition pour piano et ondes Martenot. Un pur moment d’extase, un ciné-concert comme on en redemande et au terme duquel nous nous étions donnés rendez-vous.
Rarement nous aurons rencontré une artiste aussi disponible à sa sortie de scène ! Moulin à paroles intarissable, Christine Ott a « un petit mot » pour chacun : pour une jeune fille admirative, un spectateur attentif, une amie de passage, … Au détour d’une belle rencontre remplie de chaleur humaine, on doit aussi constater que la vie de cette merveilleuse musicienne compte aussi une part importante de doutes… On a parlé de tout ça, à bâtons rompus…
« Les conditions dans lesquelles les artistes travaillent sont de plus en plus difficiles… Le respect aussi, se perd auprès de beaucoup d’organisateurs… Je ne parle évidemment pas du festival Voix de femmes ! Les gens ont vraiment été charmants avec moi, ici. Je ne parle pas non plus des vedettes qui peuvent encore puiser dans leurs réserves… ». (Christine Ott)
Ne pensez surtout pas que Christine Ott soit une artiste déprimante, aigrie ou boudeuse ! Elle est tout le contraire de ça ! Cette musicienne strasbourgeoise cache tant bien que mal sa timidité derrière un enthousiasme communicatif et une énergie débordante.
A propos de « Voix de femmes », nous lui avons demandé quelles étaient ses impressions sur le festival. La place de la femme dans l’art (en général) est-t-il minimisé ?
Je suis extrêmement touchée d’avoir été invitée au festival « Voix de femmes »… Il y a à son affiche des artistes incroyablement douées ! Je ne suis pas une féministe acharnée, mais je m’intéresse beaucoup au sort des femmes dans l’art et la création, notamment. En ma qualité de compositrice, je dois en effet admettre que « dans le métier », il est plus confortable d’être un homme plutôt qu’une femme… Je le remarque par de petits détails parfois insignifiants (au niveau des commodités par exemple…). Mais ça peut être plus grave : la femme qui compose doit user plus d’énergie pour affirmer son travail. On nous prend moins sérieux… Une musicienne devrait-t-elle forcément être juste une belle poupée ?
Nous lui parlons alors de Murnau et de son ultime film « Tabu », pour lequel elle a composé une bande sonore d’une pureté limpide…
Je ne saurais vous dire combien de fois j’ai joué « Tabu » sur scène… Mais l’émotion est intacte. Ce film me bouleverse toujours autant !
Et c’est vrai que l’émotion était perceptible… A plusieurs reprises, on a cru voir couler quelques larmes… Christine Ott nous retracera plusieurs scènes du film avec son ressenti personnel, notamment « envers ces acteurs désarmants de fragilité et de naïveté… ». Murnau avait en effet pris le risque de tourner son film en Polynésie, en confiant le rôle de ses personnages aux autochtones…
On sait aussi que le tournage a été émaillé d’incidents… Il serait question d’un sort jeté sur le cinéaste parce qu’il avait profané un site sacré pour les besoins de son film… Murnau décédera d’ailleurs dans un accident de voiture quelques jour avant la projection de la première de son film…
Selon Christine Ott : les incidents relatés n’ont pas eu un d’impact sur le caractère dramatique de ma musique… Je l’ai composée en relation directe avec les images de cette magnifique histoire d’amour que Murnau a filmée .
Ces jours-ci, « Tabu », la bande-son du film qu’elle a composée, ressort en cédé à l’initiative du label anglais Gizeh Records. L’occasion pour l’auditeur de poser à son tour des images… sur lesquelles la musicienne a pour sa part imaginé le son. On lui propose un jeu : elle obtient une carte blanche et peut choisir à son envie un réalisateur ou un film en particulier… Inévitablement, mes goûts se tournent vers les années vingt ou trente… Notamment vers le romantisme allemand… On se souvient en effet qu’elle avait déjà consacré un autre ciné-concert aux travaux de Lotte Reiniger…
Je viens de finir un spectacle qui allie mes deux passions : le cinéma et le piano… Je l’ai appelé « Traversée en solitaire ». Il s’agit en quelque sorte de balayer l’histoire du cinéma avec l’utilisation d’extraits qui me semblent être importants dans l’histoire du septième art, et sur lesquels je joue du piano. J’espère pouvoir le proposer le plus souvent possible, … m’éloigner un peu des ondes Martenot…
Il est très difficile de dissocier Christine Ott de cet instrument électronique aussi énigmatique qu’impressionnant, et qui requiert du musicien, une énorme dose de sensibilité…
Depuis de très nombreuses années, l’ondiste strasbourgeoise s’est érigée en spécialiste emblématique de l’instrument… ce qui ne lui rend pas sa « vie d’artiste » facile… : Le transport de cet instrument peut constituer un frein… J’aimerais voyager plus facilement, exporter ma musique à l’étranger avec moins de contraintes… Je voudrais aussi que l’on me considère comme une compositrice et non plus comme une technicienne qui semble être la seule à pouvoir dompter cet instrument bizarre…
Sa notoriété en la matière a largement dépassé les frontières et les genres. Ses collaborations sont nombreuses. On pense aux groupes britanniques Radiohead ou aux Tindersticks. Les ondes d’« Amélie Poulain » de Tiersen, c’est à nouveau elle… Il y a aussi les projets alternatifs auxquels elle prête son concours enthousiaste. Ses yeux brillent et un sourire illumine son visage lorsque l’on évoque Oiseaux-tempête ou Foudre !, que Jazz Around a encensés dans ces mêmes colonnes ICI.
Je ne regrette pas ces collaborations. Elles m’ont aidée à aborder d’autres styles musicaux… Je proviens du milieu relativement rigide de la musique classique. Aujourd’hui, je m’intéresse aussi bien à une œuvre de Brahms qu’au rock… J’aime beaucoup Tom Waits par exemple ! Nous lui confions notre idée de titre pour cet article : « Inclassable »… En boutade, Christine Ott répliquera : et incassable…
Joseph Boulier
Discographie plus ou moins sélective
Sous son nom, vous trouverez deux albums recommandables au format de découpe « classique » : « Solitude Nomade » (chez MS, 2009) puis « Only Silence Remains » (Gizeh 2016) – « Tabu », la bande sonore du film, ressort ces jours-ci chez Gizeh à nouveau.
Signalons quelques collaborations : « Earth » par le groupe Foudre ! (2017), le magnifique « Unworks & Rarities » de Oiseaux-tempête (2016), « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » que l’on ne présente plus (Yann Tiersen, 2001) et tout récemment « Live at the Archaeological Crypt of Paris » sous le nom de Snowdrops, en duo avec Mathieu Gabry, une œuvre sur laquelle Jazz Around reviendra plus en détail…