Chrystel Wautier, l’interview.
Chrystel Wautier : jazz subtil et pop assumée
Curieuse histoire que celle de cet album « Before A Song ». Enregistré en Belgique, à La Louvière, et sorti fort discrètement, le voici relancé grâce à une rencontre. Chrystel Wautier était en concert au Sunset (Paris) le 24 février dernier, et sera au Bravo (Bruxelles), le vendredi 04 mars prochain.
Si on vous dit qu’elle a découvert le gospel à l’église protestante où son père est pasteur, vous vous croirez sans doute le long du Mississippi ! Et bien, pour Chrystel Wautier, c’est à La Louvière que ça se passe : « Mon père est ingénieur du son et musicien amateur d’un très bon niveau. Quand il était jeune il a arrangé des traditionnels gospels pour un groupe de cinq chanteurs qui avaient traduit en français quelques uns des grands airs du gospel, le groupe s’appelait « Joie en Jésus » et ce qu’ils faisaient de ces gospels était génial, ils ont beaucoup tourné en reprenant les « Swing Low » etc… Et mon père faisait les arrangements des cinq voix et les accompagnait au piano. C’est un gospel très swing, proche des « Barber Shops », du « Golden Gate Quartet », c’est la première musique que j’ai eu dans les oreilles. Dans l’église protestante, c’est très différent de l’église catholique, c’est une musique qui vient des Etats-Unis, très dynamique, très rythmée, et puis surtout on chantait chaque semaine, c’est très important car finalement, dans quelle famille chante-t-on encore ensemble ? C’était très amusant. Puis, j’ai appris le piano et quand mon père n’était pas là, je prenais sa place, j’ai appris l’accompagnement, ça m’a formé, on n’écoutait pas la radio… »
Où as-tu étudié la musique ?
J’ai étudié le solfège en académie, mais pour le chant, je chante depuis toujours ; je suis entrée au Conservatoire pour me perfectionner. J’y ai travaillé avec Anca Parghel : je pense qu’elle était une des meilleures chanteuses du monde, on aime ou on n’aime pas son style, mais techniquement elle était quelqu’un d’exceptionnel , une personne impressionnante, un personnage.
« Before A Song » est ton deuxième album, et son parcours est plutôt inhabituel : une sortie très discrète en Belgique en 2013, puis une rencontre qui change tout.
Deux jours après, je reçois un message sur mon téléphone : « J’adore, je le chronique demain sur France Inter ! » J’ai attendu la chronique le lendemain et voilà qu’il parle de ma lettre et qu’il la lit à la radio ! Il dit avoir été scotché par le disque et en a fait une chronique assez élogieuse. Le soir, il m’a appelé et m’a invité à son émission en « live », de là a découlé un concert, j’ai joué au Sunset, puis a suivi le contact avec le label, il m’a invité à Chamonix où il a créé une maison des artistes, on y a travaillé à la préparation du prochain disque. Grâce à l’intérêt qu’il m’a porté, d’autres personnes se sont intéressées à l’album qui sort ce mois-ci en France et en Belgique.
A-t-il imposé des changements sur la première version ?
« Hard Time Killin’ Floor Blues » de Skip James vient des années 1930 et a été repris dans un un film des frères Coen « O Brother ».
Oui, exactement. En fait, si je dois trouver un exemple hors musique sur le plan artistique, j’aimerais que ce soit les frères Coen, ces gens sont d’une intelligence incroyable, soucieux du détail et d’une grande exigence artistique, perfectionnistes. Ce qu’on a fait avec ce blues c’est le réharmoniser complètement, ne pas le reprendre comme il y a un siècle, et le morceau dans le film m’est allé droit au cœur, pas seulement le jouer blues, mais avec une influence newyorkaise, Robert Glasper, Gretchen Parlato…
« Milagre » est aussi un choix personnel ?
Cédric Raymond m’a proposé ce morceau. Je chante de la musique brésilienne, mais on s’est dit que la musique brésilienne ce sont les Brésiliens qui la jouent le mieux et que c’était inutile de vouloir essayer de faire la même chose, on a « popisé » un peu , trouvé notre façon et j’ai ajouté ce petit interlude pour créer un univers musical de notre temps.
Il y a aussi un thème de Jaco Pastorius, « Continuum » : un musicien qui t’a influencé ?
C’est la chanson qui m’a plu. On cherchait à ne pas utiliser l’harmonie des standards, on cherchait des thèmes qui pouvaient fonctionner avec nos codes à nous, avoir quelque chose de plus modal, de plus pop, de plus simple. Cette chanson de Pastorius était sur une compilation que j’écoutais en boucle et on s’est dit que cette chanson convenait à notre esthétique. De plus, c’est sans doute le texte que j’ai écrit qui me plait le plus sur l’album : ce « continuum », refaire la même chose, les mêmes erreurs, c’est quelque chose qui me parlait.
Non, je ne trouve pas… Ca l’est pour des musiciens de jazz. Quand je décris la musique, je n’emploie pas de termes , je sais que les gens ont besoin de mettre dans des cases, moi pas. Le terme « jazz pop » ne me déplait pas : en fait on utilise les codes de la pop et certains codes du jazz. Là où sans prétention, je crois qu’on a réussi, c’est que si en général on prend un thème jazz qu’on rend un peu pop, ou un morceau pop qu’on rend un peu jazz, on s’est dit qu’on ne voulait pas faire ça et qu’on allait reprendre dans chaque type de musique quelques éléments qu’on allait se faire rencontrer . Du coup, on va dire que c’est jazz, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Entre New Orleans, Dizzy Gileespie, Aka Moon, qu’est-ce que le jazz ? On va dire que c’est du jazz pop, ça ne me dérange pas, c’est plus accessible pour les gens, et finalement c’est le but que ce soit écouté… Mais on s’y retrouve car on a fait quelque chose de sophistiqué.
Et déjà une suite dans les idées ?
On a déjà quatre morceaux enregistrés à Chamonix, on se donne un an pour sortir un nouveau disque.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Pour plus d’informations, le site officiel de Chrystel Wautier ICI