Clover : Magellan

Clover : Magellan

Yolk Records / L’autre distribution

En 1519, Magellan entame son voyage vers les Moluques afin d’y ramener des épices pour toute l’Europe. Les épices, à l’époque, valent de l’or et les Portugais en ont le monopole. Magellan, pour l’Espagne, décide de contourner la route portugaise et de s’ouvrir un passage par l’ouest. Voilà pour l’histoire. Stefan Zweig en a tiré un récit biographique éblouissant et palpitant. C’est à partir de larges extraits de ces textes que Clover (Alban Darche (s), Sébastien Boisseau (cb), Jean-Louis Pommier (tb)) en a fait un disque plutôt atypique. Le trio a invité Myriam Rignol à injecter la viole de gambe (instrument contemporain de Magellan) dans le récit car, oui, ce projet est aussi un récit, dit avec talent par Lila Tamazit (la « voix » de ARTE, entre autres). Celle-ci déclame sans déclamer, joue sans jouer, lit sans lire. Elle est autant Magellan que le voyage lui-même. La musique soutient et habille les mots de Zweig en allant au-delà d’un simple ornement, d’une ambiance ou d’une évocation. Cette ambivalence entre les mots et la musique, entre instruments modernes et anciens, se retrouve aussi dans l’intention du groupe à mettre en parallèle l’épopée d’alors avec notre monde capitaliste actuel. Celui qui demande toujours plus de nouvelles énergies et de nouveaux métaux pour assouvir notre matérialisme insatiable. Plus qu’un livre mis en musique, c’est une œuvre totale qui dépeint autant l’expédition qu’elle ne fait le portrait psychologique du navigateur tantôt déterminé, tantôt perplexe, perdu ou inquiet, parfois ombrageux et finalement vaincu. Les cinq voix dialoguent, s’enrichissent, s’écoutent, s’épaulent ou se taisent. Ce disque, assez inclassable, navigue entre jazz, musique médiévale ou renaissance, entre compos et impros, entre paroles slamées et récit conté. Il nous embarque dans des formes rarement usitées et, au final, dans une sacrée aventure.

Jacques Prouvost