Comblain-La-Tour, le plein !

Comblain-La-Tour, le plein !

Le plein à Comblain comme au bon vieux temps…

Quel bonheur de retrouver les grands festivals d’été ! Pas ceux où on fait 30 minutes de file pour une portion de frites à 5,50, ni ceux où les bouchons sur les routes ou dans les oreilles sont inévitables, pas plus que ceux où on dépense 400 euro sur le week-end… Plutôt ceux où le son d’une contrebasse vous caresse les tympans, où les musiciens se rencontrent au coin du bar, où il y a moyen de trouver un arbre pour s’assoupir à l’ombre entre deux concerts. Le premier festival de l’été qui ressemble à ça, c’est à Comblain qu’on le trouve,  l’élément aléatoire de la formule – le soleil – faisant cette année partie du « package ».

Pour attirer plus de trois mille personnes en trois soirées, il faut aussi diversifier l’offre, tabler sur un « turn over » du public : c’était un peu le principe de la journée numéro deux du festival, avec en sus un jazz plutôt festif basé sur des tendances sûres : le blues, le manouche, le boogie-woogie, c’était un peu une histoire ancienne du jazz, une offre rassurante et « tout public ». « Zanzibar » est le nouveau bébé de Renaud Patigny, un mélange énergique et original de piano boogie et de percussions africaines associés à un hommage à Bessie Smith : un concert dont on retiendra la voix de Sylvie Nawasadio, ex-Zap Mama dans un affolant « Kitchen Man » à ne pas mettre en toutes les oreilles. Avec Daniel Willem, c’est le manouche avec les commentaires d’Outremeuse, joie de vivre et simplicité. L’invité spécial du jour, Tchavolo Schmitt, a ravi par son étourdissante technique.  Blues pour la nuit, quoi de plus normal : Sean Carney et Joey Gilmore se sont croisés sur le blues de Memphis, Tennessee.

ZANZIBAR (c) JP GOFFIN

L’organisation du festival avait fait le pari de deux grosses têtes d’affiche, il y en eut en fait trois. On attendait Esperanza Spalding et Marcus Miller ; Michel Portal et Bojan Z ont volé dans les mêmes sphères que les Américains. Pourtant une chute malencontreuse backstage  du clarinettiste a donné des frissons aux organisateurs, et un apparent problème technique de retour semble avoir contrarié le clarinettiste. Et pourtant le duo franco-serbe a offert un des plus beaux moments de musique de ce festival ; pas gagné d’avance pour une musique à haut risque où les improvisations semblent tellement coulés de source qu’on croirait entendre une musique écrite. « Balaïdor »est un des plus beaux albums de Michel Portal, il faut dire qu’il sait s’entourer : Ambrose Akinmusire, Scott Colley, Jack DeJohnette… et le pianiste producteur et réalisateur de l’album avec qui il se retrouve sur scène à Comblain. Dans la formule du duo, le répertoire prend d’autres couleurs et offre de nouveaux couloirs de vol insoupçonnés : « Dolce », « Balaïdor », « Cuba Si Cuba No » jouent  la mélodie sur le fil du rasoir, ouvrent des espaces où s’engouffre Bojan Z en version acoustique ou sur son Fender Rhodes trafiqué – aah ! l’album »Xénophonia ». Le duo découvre ici la chaleur du public liégeois au sens large : cri d’approbation, applaudissements, claquements de mains, un concert un peu hors piste de Michel Portal, visiblement ravi de l’enthousiasme provoqué. « Je suis heu-reux ! » dira-t-il dans les coulisses après le concert. Nous aussi, Monsieur Portal !

Michel PORTAL (c) JP GOFFIN

On en arrive à ce fameux pari :  Esperanza Spalding est une star « multigrammyawardisée » aux USA, mais l’est-elle aussi en Belgique ? La coupe était à moitié pleine/vide à l’entame du concert. Certes le chapiteau était bien rempli, mais on aurait souhaité qu’il déborde. Après quelques minutes, on pouvait craindre un show ultra-scénarisé, mais la belle sait y faire… et sait s’entourer : la saxophoniste alto Tia Fuller n’est ni plus ni moins que la lauréate « rising star » de » Down Beat » sur l’instrument. Quant à la contrebassiste-chanteuse, elle étonne par cette faculté à se jouer des rythmes décalés de la voix et de l’instrument ; la belle Esperanza aurait-elle deux cerveaux sous cette tignasse impressionnante ? Avec des compositions pop, mais sur de solides fondations jazz, la native de l’Oregon ne joue pas la facilité : décalages rythmiques, recherche harmonique, improvisation, on est loin de la guimauve du Justin qu’elle a coiffé pour le Grammy des jeunes talents !

Marcus Miller arrivaient avec le programme de son CD « Renaissance » et un line-up composé d’anciens et de nouveaux : parmi les vieilles connaissances, l’extraordinaire Alex Han au sax-alto et le soufflant Sean Jones à la trompette ; rayon jeunes loups, uon découvrait Adam Agati à la guitare, le bouillant Brett Williams au piano et la machine à rythmes Louis Cato ( qu’on entend aussi sur l’ « Uberjam Deux » de John Scofield).  Les fans de Miller, venus en nombre ( on rencontrait aussi des bassistes rock dans l’assistance), étaient  d’accord pour dire que ce fut un des plus grands concerts du bassiste donné en Belgique… Pour l’avoir aussi vu en dehors de nos frontières, je me permets d’étendre le compliment.  « Detroit », « Redemption », « Jekyll and Hyde », toutes des compositions du nouvel album, funky funky à souhait… Il faut attendre, pour reprendre un peu ses esprits, que Marcus Miller prenne sa clarinette-basse pour « Gorée » une composition recueillie, hommage à cette île au large du Sénégal d’où partaient les bateaux chargés d’esclaves. Marcus Miller nous rappelait de la sorte qu’il est aussi Ambassadeur de l’Unesco pour la paix.

Marcus MILLER (c)JP GOFFIN

L’assoupissement sous un arbre dont je vous parlais tout à l’heure m’aura fait rater « Madraduga » et « O Juliette », mais ne m’a pas faire perdre une note du duo Cozier-Hermans : pas du jazz, ont dit certains, mais quelle belle musique, quel enthousiasme, quelle originalité dans les reprises même les plus connues… seul le moteur du générateur placé derrière le mur à quelque peu gâché le plaisir de ceux qui suivaient le concert du fond de la tonnelle…

Jean-Pierre Goffin