Dan Pitt Trio : Stages
Guitariste basé à Toronto, Dan Pitt mène plusieurs projets en parallèle (solo, trio et quintet). Stages est son quatrième album, mais son second enregistré en trio avec, comme partenaires, le contrebassiste Alex Fournier et le batteur Nick Fraser. Les sept morceaux, tous de la plume du leader, révèlent une appétence pour des paysages construits à partir de sonorités diverses, assemblées comme des couleurs sur une toile. La guitare est résolument électrique tandis que les compositions sont la plupart du temps contemplatives, avec une touche avant-gardiste qui les tient éloignées des mélodies conventionnelles. La rythmique compte pour beaucoup dans le son très particulier du trio. Alex Fournier joue souvent de sa contrebasse avec un archet (« Part Two », « Tape Age », « Ghosts »), ce qui donne à la musique un côté « jazz de chambre » contemporain. De son côté, Nick Fraser entretient le feu par un jeu foisonnant, marqué par une utilisation originale des cymbales. Quant à la guitare, elle virevolte de manière un peu chaotique loin au-dessus de la rythmique avec un son si épais qu’elle parvient encore à plomber davantage des atmosphères pourtant déjà bien sombres.
Sur le complexe « Foreboding » à l’ambiance aussi libre que vaporeuse, Dan Pitt plonge soudain vers la fin du morceau dans un passage violent avec des accords distordus de rock « heavy » que n’aurait pas renié le Tony Iommi de Black Sabbath. Étrange musique qui reflète la volonté des trois musiciens de triturer jusqu’au bout les masses sonores pour en extraire un maximum d’expressivité. Dans une autre perspective, « Fourteen Days » paraît d’abord fragile avec ses notes suspendues comme des nuages, même si la musique, dramatisée par les coups de cymbales du batteur, va crescendo vers un inéluctable orage. L’une des compositions parmi les plus emblématiques et les plus réussies du disque est « Ghosts ». La raison en est sans doute que l’évocation du monde des spectres va comme un gant à ces notes éparses à peine reliées par une mélodie ténue et qui flottent dans l’air comme des âmes en peine. Évocatrice d’un au-delà sinistre et vaporeux, la guitare réplique alors les plaintes imaginaires des damnés, créant une zone d’insécurité intérieure qui dissout les bornes de la raison.
Si au début, cette musique atypique et décalée peut laisser perplexe, elle finit vite par imposer son intense expressivité, s’avérant en fin de compte beaucoup plus profonde que ce que son apparent minimalisme laissait croire à la première écoute.