Dominic Miller : le vagabond

Dominic Miller : le vagabond

En dehors de longues tournées qu’il accomplit essentiellement avec Sting, le guitariste d’origine argentine a enregistré « Vagabond » pour le compte du label ECM, en quartet (Jacob Karlzon au piano, Nicolas Fiszman à la basse et Ziv Ravitz aux fûts). Jazz ou pas jazz ?

Dominic Miller © Christoph Bombart

Bonjour Dominic. Où vous trouvez-vous en ce moment ?
Dominic Miller : Nous sommes en tournée avec Sting en ce moment. Je suis à Paris. Ce soir, nous jouons à Orléans.

« Vagabond » est le titre de votre troisième album enregistré pour le compte d’ECM. Ce vagabond, est-ce vous ? Est-ce votre histoire ?
D.M. : Pas vraiment. Du moins dans le sens « homeless ». Mais bien sûr, pour mon travail, je suis souvent en dehors de chez moi. Je bouge beaucoup, je voyage. J’aime l’idée d’être un vagabond dans ce sens-là.

Au sens noble du terme, un vagabond est quelqu’un qui ne s’enracine pas.
D.M. : C’est exactement ça.

Dominic Miller Band © Christoph Bombart

Il y a eu votre premier album « Silent Light » plutôt épuré, avec une touche latine, puis « Absinthe » avec la présence de Santiago Arias au bandonéon. J’entends moins les influences sud-américaines ici…
D.M. : C’est possible. Ce n’est pas calculé, ce n’est pas dans mes intentions. En vérité, j’ai composé la musique de « Vagabond » durant la pandémie, ce qui lui donne son caractère mélancolique. L’album est une photographie de ce que j’étais à cette époque-là.

J’allais vous le dire : apaisant, mélancolique…
D.M. : J’aime bien jouer de la musique mélancolique, même si j’aime l’énergie aussi… « Vagabond » représente un peu mes états d’âme à l’époque de la pandémie.

«Par rapport à des gens comme Pat Metheny, Ralph Towner ou Gismonti, je ne me considère pas vraiment comme un guitariste. Je suis un songwriter.»

On sait que Manfred Eicher est très attentif au son des disques qu’il produit. Vous a-t-il donné des instructions ? Comment cela s’est-il passé entre vous deux ?
D.M. : Je n’ai jamais travaillé avec quelqu’un comme lui. C’est une expérience incroyable ! Manfred réagit comme un réalisateur de film. Il aime mettre les musiciens dans une certaine forme d’inconfort, pour les amener à des endroits non prévus. C’est certain, il est obsédé par le son, par l’esthétique de son label. À vrai dire, ça me préoccupe peu. Mon rôle, c’est de composer, d’être un instrumentiste. C’est clair : « Vagabond » sonne comme un album ECM.

Dominic Miller © Christoph Bombart

On peut dire que vous avez débarqué tardivement sur le label. Quel regard portez-vous sur les guitaristes qui vous ont précédé ? Comme Ralph Towner, Gismonti, Pat Metheny avec qui vous avez travaillé ?
D.M. : Ce sont mes héros ! Par rapport à eux, je ne me considère pas vraiment comme un guitariste. Je suis un songwriter… Je ne sais d’ailleurs toujours pas pourquoi ECM m’a accueilli. Tous ces guitaristes que vous citez m’ont influencé. Plus comme compositeur parfois. Je suis un fan de Gismonti dont j’adore le jeu au piano. Tout comme Ralph Towner… Je suis très fier que l’on me cite parmi eux… mais c’est une erreur !

Dans votre carrière solo, vous n’utilisez que la guitare acoustique…
D.M. : Oui, alors qu’avec Sting, je ne joue quasiment qu’avec une guitare électrique… ça fait quarante ans que je joue… J’ai forcément un son.

«Je trouve que composer ou jouer de la musique, c’est un peu comme raconter des histoires. Et il se trouve que les histoires, je préfère les raconter avec une guitare acoustique.»

Pourquoi ne mettez-vous pas d’effets sur votre guitare ?
D.M. : Je trouve que composer, jouer de la musique, c’est un peu comme raconter des histoires. Il se trouve que ces histoires, je préfère les raconter avec une guitare acoustique. Par contre, je trouve que Jeff Beck ou John McLaughlin racontent magnifiquement leurs histoires avec une guitare électrique.

Les titres qui apparaissent sur l’album (« Clandestin », « Lone Waltz » …), ce sont donc des histoires ?
D.M. : (rires) Oui, bien sûr. Parfois avec une petite touche française dans le texte car j’habite ici depuis dix-sept ans… Ce qui explique les titres en français. Mais en vérité, je trouve ça bizarre, qu’il faille donner des titres à des instrumentaux, à des chansons sans texte. Dans la musique classique, on se contente bien souvent d’une instruction : « adagio », « andante » … Non, je ne prends pas cela au sérieux…

Dans le jazz, certains musiciens prennent position ou s’expriment en utilisant les titres.
D.M. : C’est possible, oui… Mais ça reste de la musique…

Dominic Miller © Christoph Bombart

Vous êtes un sideman recherché, « le bras gauche et le bras droit de Sting » comme il aime le dire. Et ici, vous formez un quartet avec des musiciens qui jouent bien souvent en club. Le contraste doit être important.
D.M. : Oui, c’est certain, et c’est important ! Les deux carrières s’opposent et en même temps, elles se complètent. J’ai besoin des deux feelings. Quand je rentre dans l’univers musical de Sting, je lui apporte mon expérience personnelle. Et quand je reviens à mon groupe, j’utilise l’esthétique musicale de Sting. C’est important pour moi de travailler comme cela.

Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur… Est-ce plus grisant de jouer dans un stade rempli de monde ou préférez-vous jouer dans un club ?
D.M. : Qu’importe… C’est sans doute plus intense et plus difficile de jouer dans un club devant cent personnes. C’est une autre discipline quand tu as 50.000 spectateurs devant toi. Il faut occuper l’espace, on articule moins les notes, on peut se permettre d’être un peu moins précis. Les deux concepts se complètent… En vérité, club ou stade, le plus important, c’est d’obtenir une bonne connexion entre les musiciens.

«Je ne me considère pas comme un musicien de jazz.»

À ce sujet, je reviens un peu à notre « Vagabond ». On vous sent à l’écoute, un peu en retrait même. Par exemple, les parties de solos sont bien souvent jouées par votre claviériste, Jacob Karlzon.
D.M. : Vous avez raison, mais ce n’était pas voulu. C’est venu naturellement dans le processus de l’enregistrement. J’aime beaucoup Jacob, il me surprend toujours, j’adore ça ! « Vagabond » n’est pas un album de guitariste, c’est un album de chansons…

Dominic Miller Band © Christoph Bombart

Êtes-vous à ce point éclectique ? Par le passé, vous avez joué avec les Pretenders, franchement rock, Level 42, plus pop… Comment en êtes-vous arrivé au jazz ?
D.M. : En vérité, je ne me considère pas comme un musicien de jazz. Je suis toujours surpris qu’on m’ait donné la possibilité d’enregistrer des disques pour le label ECM. Je ne suis pas un musicien de jazz, mais je suis un fan de jazz ! Vous savez, à l’époque, tout comme Mark King de Level 42, j’écoutais de fabuleux groupes de fusion : le Weather Report, le Mahavishnu Orchestra avec un son rock. Il y avait aussi une fusion funk avec Herbie Hancock et Stevie Wonder, un incroyable arrangeur de cordes, un musicien de jazz très sophistiqué. Non, je ne suis pas un musicien de jazz, même si j’aurais aimé l’être. Je ne suis pas Pat Metheny…

Votre frustration ?
D.M. : Oui, exactement ! (Sourires)

Enfin, « Vagabond » connaîtra-t-il une vie en salle ?
D.M. : Oui ! On a déjà fait quelques dates entre les concerts de Sting. Mais l’année prochaine, nous partirons en tournée, avec notre bus. Je n’ai encore jamais joué ma musique en Belgique… Ce sera le moment de le faire !

Dominic Miller
Vagabond
ECM

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Yves Tassin