Eran Har Even Trio : Shorter Days
Réinterpréter l’œuvre protéiforme du saxophoniste Wayne Shorter, qui fut remise en question de manière quasi permanente par son auteur depuis les années 60 jusqu’à sa mort l’année dernière, peut paraître d’une ambition démesurée. D’autant plus que ce projet est celui d’un guitariste, ce qui implique une transposition des thèmes et d’autres manières de les penser. Israélien d’origine, aujourd’hui basé à Amsterdam, Eran Har Even, qui joue ici en trio avec le contrebassiste Omer Govreen et le batteur Wouter Kühne, propose donc huit compositions de Wayne Shorter qui datent toutes des années 60, la période la plus fertile du saxophoniste, et s’échelonnent de 1963 (« One by One » enregistré avec les Jazz Messengers d’Art Blakey sur l’album « Ugetsu ») à 1969 (« Capricorn » inclus sur l’album « Super Nova »). Ce projet a-t-il été fructueux ? Pour le guitariste certainement ! Eran Har Even s’est approprié les mélodies de Wayne et, tout en s’imprégnant de sa manière de ressentir les choses, les a restituées dans des arrangements personnels qui forcent le respect. Pour l’auditeur toutefois, le résultat est plus mitigé car on n’y retrouve évidemment pas les harmonies et la variété des pièces originales sculptées par les plus fameux musiciens de l’époque : Wayne lui-même, mais aussi Lee Morgan, McCoy Tyner, Freddie Hubbard, Herbie Hancock, John McLaughlin, Chick Corea et beaucoup d’autres. Il n’en reste pas moins que « Shorter Days » est un formidable disque de guitare jazz, sophistiqué et parfois complexe, mais avec des moments poétiques et d’autres, intenses. Comment ne pas être emporté par les tourbillons de « Lost » ou se retrouver séduit par le voyage cosmique de « Capricorn », ou encore, avec « Night Dreamer », glisser sur les gammes descendues pendant une nuit sans fin ? Wayne est grand mais, dans le petit monde de la six-cordes, Eran est son prophète !