Fabrizio Cassol, de Nasa Na à Scarlatti…
Fabrizio Cassol, de Nasa Na à Scarlatti
« The Scarlatti Book »
Une nouvelle piste pour Aka Moon.
Profiter de quelques jours de présence de Fabrizio Cassol en Belgique, un moment rare que cette heure passée Place Dillens à Saint-Gilles, pour parler de Scarlatti, mais aussi de bien d’autres choses.
Bonjour Fabrizio et merci de me consacrer ce temps pour parler de Scarlatti. Tu es tellement sur la route que c’est presque un moment privilégié.
Je commence des projets des années à l’avance. Chaque étape prend du temps, le projet que j’ai fait avec des musiciens congolais pour « Coup Fatal » m’a pris quatre ans à Kinshasa ; je travaille déjà depuis un an sur un nouveau projet, ce n’est pas facile de synchroniser des gens qui habitent parfois loin et j’espère que le projet sera prêt pour 2018. C’est déjà très serré pour moi, il faut le temps de la réflexion, de rassembler les informations, de gérer tout, d’assimiler les choses.
Tu travailles régulièrement sur des commandes ?
Dans mon cas, les commandes représentent 50% des activités. Les gens m’approchent pour le théâtre, pour les festivals, d’autres artistes aussi qui souhaitent une collaboration. Si le feeling est bon, ça peut marcher comme, par exemple, avec Jan Goossens du KVS avec qui j’ai une collaboration de 10 ans. Une commande c’est souvent l’occasion de se lancer dans quelque chose qu’on n’aurait jamais osé lancer soi-même : par exemple, quand Bernard Foccroulle me demande si ça me dirait de faire quelque chose avec un chœur de 500 enfants et Aka Moon, ce serait moi, on me prendrait pour un fou, mais pour lui, c’est possible, et on l’a fait ! C’était un an de travail pour recruter 250 enfants des quartiers défavorisés et 250 enfants de milieux plus nantis… C’est une armée qui travaille sur ce genre de projet, je suis allé pendant des semaines à Marseille et à Aix pour recruter et convaincre des enfants de le faire plutôt que de trainer dans la rue.
Comment cela s’est-il déroulé pour Scarlatti ?
Dans le cas de Scarlatti, Carmelo di Gennaro qui est à la tête de l’Institut Culturel Italien de Madrid, savait que j’avais déjà travaillé sur la musique classique ancienne avec Bach, Monteverdi, Brahms aussi et il m’a parlé de ce projet de jouer l’intégrale des sonates de Scarlatti. Il m’a demandé si j’étais partant pour travailler sur des sonates de Scarlatti, ça c’est un projet qui m’enthousiasme vraiment et que je n’aurais pas lancé moi-même, mais j’adore Scarlatti, il me fascine depuis mes 18 ans. Ça a tout de suite été clair pour moi que ça se ferait avec Aka Moon et Fabian Fiorini parce qu’on pourrait amener Scarlatti dans une tout autre direction et avec Fabian, avec qui on a déjà eu pas mal de collaborations, c’était idéal parce qu’il est très fort dans le domaine de la musique classique et qu’il a un jeu qu’on connaît super bien.
C’était une première approche du baroque pour Aka Moon.
Stéphane et Michel étaient déjà dans les projets Bach et Monteverdi, mais ce n’était pas Aka Moon, parce que la spécificité d’Aka Moon, son vocabulaire, ne collait pas avec ces projets, et puis lorsqu’on travaille avec des chanteurs, le côté rythmique est assez spécial : quand la rythmique est trop complexe, cela devient difficile avec des chanteurs lyriques, c’est tout un apprentissage de jouer avec un batteur.
Comment t’y es-tu pris pour gérer cette énorme matière ?
Je me suis demandé comment aborder ce travail car il y a tout de même 555 sonates et les écouter toutes aurait pris un temps fou. Je me suis attaché prioritairement aux sonates lentes, puis j’ai demandé à quelques musiciens dont Stéphane, Michel et Fabian ce qu’ils verraient comme sonate. Je me suis dit qu’ils pourraient me proposer quelque chose que j’ai zappé ; ils m’ont proposé des choses que j’ai prises ou non, mais que j’ai toujours considérées parce que parfois, l’esprit d’une pièce peut jouer. Et puis, ce sont des sonates qui vivent dans des mondes séparés et il fallait réfléchir à comment organiser tout cela pour que la succession des pièces fassent une histoire, ça veut dire qu’il ne faut pas traiter deux sonates de la même façon , et en même temps il faut qu’il y ait une graine d’Aka Moon qui soit plantée, ce qui est fondamental pour Aka Moon.
Justement, quelle est la patte « Aka Moon » dans ces sonates ?
Pour chaque sonate choisie, il faut qu’elle puisse être le départ d’une improvisation, c’est important. Par exemple, dans « Pitié » ou « VSPRS », ce n’est pas écrit pour de l’improvisation. Il y a par exemple au départ de la Passion de Saint-Mathieu des petits moments d’improvisation, même si la musique n’est pas faite pour ça. Cependant, Magic Malik qui joue le rôle de l’ange est libre d’improviser, de faire ce qu’il veut : comme un ange, il peut tourner autour de chaque personnage , il a un rôle d’accompagnateur secret qui joue avec la musique, mais ça ce sont des types d’improvisation très spéciales : on a une base mélodique et rythmique et on en fait des variations. Mais ici avec Scarlatti, chaque élément doit être une graine qui peut faire démarrer quelque chose. Comme il faut un temps de développement par rapport à un point précis, je me pose la question à partir de quand reconnait-on Scarlatti, à partir de quand peut-on improviser en diluant Scarlatti et y revenir sans qu’on ait l’impression qu’il tombe comme un cheveu dans la soupe, on gère la dramaturgie des choses. Il y a des moments où je reste très proche et des moments où je m’éloigne, chaque moment est différent.
Qu’apportent Stéphane et Michel dans le processus ?
L’avantage avec Michel et Stéphane, c’est leur connaissance du piano. Stéphane est un grand amateur de piano classique, au piano il est magnifique. Il peut aussi prendre l’avion pour aller écouter un grand soliste, ça le fascine… Donc, comme il est déjà avancé dans l’harmonie des rythmes, il joue de la batterie comme d’un instrument harmonique, il met sa batterie au service d’un certain lyrisme. Michel est lui aussi très polyphonico-lyrique pour aborder ce genre de chose. Ce projet Scarlatti amène encore une autre approche de ce qu’on a déjà fait avec Aka Moon. C’est lyrique, sensible et mélodique d’une façon qui n’est pas tout à fait jazz.
Combien de temps a pris la réalisation du projet ?
Pour réaliser le projet, Carmelo m’a laissé un an, mais dans ce projet, je n’avais pas de travail d’orchestration, et on était déjà sur deux terrains connus pour nous, j’avais de quoi rebondir.
Et puis, vous vous connaissez depuis très longtemps.
Il faut se dire que ça fait déjà 25 ans qu’on est ensemble, c’est un quart de siècle, la moitié de ma vie, on connait les sensibilités de chacun, on part chacun de son côté puis on se retrouve pour faire Scarlatti. On joue avec des musiciens des Balkans, des musiciens arabes, indiens, africains, ce sont des choses complètement différentes et nous sommes en constante évolution. Parfois, j’ai le temps de capter leurs désirs, parfois non, parfois il y a des désirs artistiques qu’il faut pouvoir écouter… Par exemple, quand on est partis dans le projet « balkan », Stéphane est complètement entré dedans, Michel, il est grec, donc ça le touche ; il y a aussi Tcha Limberger qui est très touché par cette musique, alors quand on se lance dans ce type de projet, il y a toute une vie passée ensemble qui intervient. Là où on est un peu différent, c’est que moi je continue à penser que la musique n’est pas qu’une recherche esthétique et expressive, mais qu’elle aussi une fonction sociale : dans notre musique, il n’y a pas que le jeu du mélange des cultures, il y a une responsabilité : tout ce qui se passe dans la bassin méditerranéen est la source d’une réflexion sur les projets qu’on mène. C’est mettre ensemble des gens, ce que la politique ne parvient pas à faire, c’est pour moi une conscience qui n’arrête pas de grandir. Avec les 13 musiciens congolais par exemple, la relation entre donner et recevoir prend des proportions qu’on ne peut pas imaginer : dans une ville comme Kinshasa où il faut vivre, survivre, tu ne peux pas dire aux musiciens « Allez, il faut jouer maintenant et puis au revoir ». Il faut une écoute qui dépasse la simple relation musicale ; parfois cette dimension prend une importance colossale. Avec les musiciens arabes d’ « Alefba », on a passé le printemps arabe ensemble et lors de la première semaine d’enregistrement à Royaumont, ça crashait au Caire et Mustafa Saïd, un musicien égyptien qui était avec nous, a eu six amis tués sur place ; chaque jour, on avait des nouvelles de musiciens, d’amis blessés ou tués sur place. Que ce soit pour les musiciens syriens, égyptiens, d’Irak ou du Liban, on a travaillé dans des conditions difficiles et j’ai dit aux musiciens de laisser leur gsm allumé pendant les répétitions, une chose que je n’aurais jamais faite dans d’autres circonstances. Mais pour moi, tout ça entrait dans le travail de la musique. Pour Michel et Stéphane, ils sont dans tellement beaucoup d’autres projets qu’ il faut qu’ils rentrent frais pour s’investir dedans, il faut qu’ils arrivent dans un autre projet renforcés par ce qu’on a fait , comme je souhaite qu’ils arrivent dans nos projets renforcés par ce qu’ils ont fait ailleurs , moi je vis dedans tout le temps.
J’ai dit dans une chronique qu’Aka Moon force les portes et défonce les murs ; finalement, ces expressions me semblent peu judicieuses : vous êtes plutôt des « passeurs culturels ».
Je préfère la méthode douce que la méthode forte. Maintenant, il y a des gens qui le font très bien sans être autant impliqués humainement. Je pense à une rencontre en Espagne avec Jordi Savall, quelqu’un qui fait un travail de connexion dans le bassin méditerranéen ; il me disait que jamais lui n’irait chez un musicien pour voir comment il vit, alors que pour moi c’est quelque chose de nécessaire. Dans le projet Aka Balkan Moon, je me souviens que je devais dire quelque chose à Nedyalko Nedyalkov, le joueur de kaval, quelque chose d’important pour la musique qui allait donner une clé et que je ne voulais pas dire par téléphone, encore moins par facebook ou par mail. Il était à Sofia et je lui ai demandé quand il avait le temps de prendre un café avec moi, il avait deux heures ce jour-là, et j’ai pris l’avion pour Sofia. Là, il a compris que c’était important ! J’essaie toujours de vivre un maximum avec les musiciens sur place : Misirli Ahmet, par exemple, fait des sessions musicales dans le désert du Sinaï ou dans la forêt turque, en pleine nature, et on joue toute la nuit jusque 7-8heures du matin ; alors quand il vient ici, on a une histoire commune, il sait ce qu’on a vécu ensemble et ça prend une autre dimension. Jordi Savall fait cela aussi , mais d’une autre façon, il n’a pas envie que les gens se mélangent complètement : “un collier des plus belles perles qu’il agence les unes à côté des autres” comme disait Frédéric Deval. Frédéric, c’est quelqu’un de qui j’ai été très proche, il nous a quittés trop tôt, il s’occupait de tout ce qui est multiculturel à la Fondation Royaumont où il a ouvert beaucoup de portes et il avait toujours d e belles expressions que j’aime beaucoup.
“The Scarlatti Book » a reçu un accueil enthousiaste auprès des critiques et du public jazz. As-tu un retour du côté des amateurs de musique baroque ?
Beaucoup de gens écoutent Scarlatti, c’est étonnant, que ce soit des gens qui écoutent du jazz ou autre chose. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en parler avec ceux qu’on appelle les baroqueux, mais ça viendra. Beaucoup de musiciens envoient des petits mots pour dire qu’ils aiment. Il y a quelque temps, j’étais dans le métro et une fille qui était à cinq-dix mètres me fait signe parce qu’elle était en train d’écouter le Scarlatti ! C’est une musique qu’on peut écouter sans s’arrêter, il y a des musiques où on doit entrer dans un monde et ne faire qu’ écouter , mais c’est bien que notre musique fasse partie de la vie sans devoir s’arrêter. Les gens me disent aussi qu’ils aiment réécouter le disque, parfois on écoute un disque et puis on le met de côté, ici je vois que les gens aiment vivre avec notre musique.
Pour ma part, il m’arrive de revoir et réécouter un concert à Dinant avec une fantastique chanteuse Christina Zavalloni.
Oui, le jour où Michel était absent. C’est une chanteuse qui plonge dans tout, elle n’a peur de rien. Je l’ai rencontrée à Moers, je jouais avec les six DJ’s, et j’ai entendu une répétition et une voix incroyable ; à ce moment-là, je cherchais une chanteuse pour VSPRS ; elle m’a dit qu’elle jouait au Singel la semaine suivante et j’ai proposé à Alain Platel d’aller l’écouter et il n’y a pas eu d’hésitation. Elle vient de sortir un clip sur « Fones »(on peut le voir sur youtube) , un morceau qu’elle a chanté à Dinant avec nous, dans un décor complètement dingue, une sorte de forêt transylvanienne. Le morceau se trouve sur son album qui vient de sortir.
Tant de projets créés en 25 ans. N’y a-t-il pas un moment où on se dit qu’on voudrait revenir en arrière et reprendre certaines choses ?
Non, je suis très heureux de ce qui a été fait, je ne regrette rien, on pourrait refaire tout mieux, bien sûr. Quand je réécoute la trilogie d’ « Invisible », qu’on n’a jamais joué qu’une fois en public à Paris, tout a été fait en studio, et quand j’entends la complexité de cette musique, c’est quelque chose d’incroyable. Je pense aussi à tous les musiciens qui nous ont accompagnés dans l’aventure Aka Moon, sauf Pierre Van Dormael et Doudou N’Daye Rose qui nous ont quittés, ils sont toujours là dans le circuit aujourd’hui, ce ne sont pas des gens qui ont eu un parcours éphémère, c’est une sorte de miracle pour moi.
Vous êtes de plus en plus pris à l’extérieur…
Oui, Stéphane avec Ibrahim Maalouf, avec Joe Zawinul, avec Axelle Red, ce sont des exclusivités, ce n’est pas toujours facile à gérer, mais les activités d’Aka Moon n’ont jamais arrêté pendant 25 ans, on joue encore beaucoup ensemble ces moments ci. Stéphane s’amuse comme un fou avec Ibrahim où il retrouve Eric Legnini avec qui il jouait à l’âge de 13 ans, c’est super. Pour ma part, je suis aussi pris dans tous les sens , je suis sur la route depuis février 2015 je n’ai pas arrêté, et maintenant que je suis à Bruxelles, j’ai plein de répétitions , avec 300 chanteurs au KVS pour la finale avec Jan Goossens qui quitte le KVS, j’ai mis en musique la prière de Saint François d’Assises « Là où est l’amour… », et chaque chœur en chante une partie il y a une quinzaine de langues utilisées. Je reviens d’Abu Dhabi où j’ai joué avec un grand ensemble, surtout des Américains : il y avait Miles Okazaki, le guitariste de Steve Coleman, Nasheet Waits à la batterie, un pianiste cubain aussi, c’est la quatrième fois en 25 ans que je joue dans le projet de quelqu’un d’autre. A New York, l’an passé, j’ai aussi joué ce projet-ci au Lincoln Center et on a enregistré un disque; cette année, on a joué aussi à Philadelphie et au musée d’art contemporain de Cleveland. C’est très gai parce que ça me permet d’être en connexion directe avec ce qui se passe là-bas.
As-tu encore des contacts fréquents avec les musiciens américains qui ont déjà participé à des projets d’AkaMoon ?
Robin Eubanks, j’ai encore eu un contact au téléphone avec lui il n’y a pas longtemps : il voulait une partition d’Aka Moon pour jouer avec ses étudiants, David Gilmore a encore joué avec nous l’an passé, j’aimerais encore jouer avec lui, mais c’est délicat car il est très demandé et c’est toujours pour des longues tournées et il ne sait jamais quelles options vont suivre.
Parle-nous un peu de cette collection « Instinct ».
« Instinct » est une collection que Outhere m’a proposée sur mon travail ; le premier album était « Coup Fatal » avec les musiciens congolais, le deuxième le double live « Aka Balkan Monn » et « Alefba », le troisième est « The Scarlatti Book ». En mai, ils sortent un « live » de NasaNa. Nous donnerons deux concerts fin mai à la Jazzstation et c’est Hervé Samb qui jouera la guitare . (ndlr : jeudi 26 et vendredi 27 mai)
Nous nous rencontrions pour le projet Scarlatti et finalement, nous avons parlé de beaucoup d’autres choses…
C’est rare dans les autres pays qu’on parle de plusieurs choses en parallèle, que ce soit en France ou en Allemagne par exemple, on cloisonne plus : on me contacte parfois comme compositeur sans savoir que je suis saxophoniste et vice-versa, on sépare fort danse classique et danse contemporaine, et dans le jazz on sépare free jazz et autres genres… En Belgique, c’est assez différent.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
Photos de Robert Hansenne et Dominique Houcmant (noir et blanc)
NASA NA Live 91
1989 : Nasa Na se forme : Pierre Van Dormael (guitare), Fabrizio Cassol (saxophone), Michel Hatzigeorgiou (basse), Stéphane Galland (batterie). La même année s’ouvre le « Kaai » où le groupe expérimentera la musique qui donnera naissance à Aka Moon. La même année aussi, Stéphane Galland enregistre le premier disque d’Eric Legnini « Essentiels », avec pour invités Fabrizio Cassol et Michel Massot (deux-tiers de Trio Bravo), plus Pierre Vaiana sur un titre, et Pierre Van Dormael écrit les liner notes de l’album : « …ce disque s’écoute avec autant d’évidence que l’on regarde un ciel qui annonce le beau temps. » En 1990, Fabrizio enregistre avec Michel Massot et Michel Debrulle « Quatrième Monde » avec « Trio Bravo », le dernier opus d’un groupe au succès incroyable, et qu’on ne parvient jamais vraiment à classer : free jazz, jazz-rock, rock tout court, free funk… Quant à Michel Hatzigeorgiou, après une tournée avec Jaco Pastorius et des concerts à New York avec Mike Stern (alors guitariste de Miles davis), il participe en 1988 au « Baldwin Project » avec David Linx et Pierre Van Dormael, qu’il retrouve dans Nasa Na l’année suivante. Pierre Van Dormael fait partie à l’époque de ces musiciens aussi inclassables que talentueux : compositeur dans des genres différents, il participe à de nombreuses expérimentations, notamment en solo et duo, avant que sa musique n’inspire NASA NA. Aucune trace à ce jour d’un enregistrement de ce groupe mythique et voilà que la collection « Instinct » – sous la conduite de Fabrizio Cassol – du label Outhere publie ce « live 91 », enregistré au « Sounds », un autre club incontournable de Bruxelles, Ixelles, rue de la Tulipe plus précisément (l’occasion de célébrer aussi cette année les … trente ans du lieu le plus vivant du jazz dans la capitale). Sept compositions de Pierre Van Dormael qui mettent en avant son talent de compositeur et le respect d’une tradition jazz mise au service de solos résolument contemporains et annonciateurs de la formidable aventure « Aka Moon » ( on retrouve par exemple la composition du guitariste « Bruit » qui sera jouée à de multiples reprises par le trio et enregistrée sur « Rebirth » (1193) et « Live at the Kaai » la même année). « A Lover’s Question » est aussi évoqué par « Inventory 2 » composition commune de David Linx et du guitariste. « Aka Dance » de Fabrizio Cassol annonce la naissance du trio, le thème étant repris sur le premier album du groupe (Carbon7-01), ainsi que l’extraordinaire foisonnement musical qu’ Aka Moon développera au cours de vingt-cinq années suivantes. L’intérêt du présent album dépasse largement le côté « archive » dont on pourrait l’affubler, mais permet de pénétrer dans le ventre d’une musique en gestation qui allait donner naissance au plus beau bébé du jazz belge du dernier quart de siècle. Et pour cela, on ne peut que remercier le travail de ceux qui ont permis la sortie de « NASA NA Live 91 ».
Jean-Pierre Goffin