Farida Amadou : Dubnobasswithmyheadwoman ! (#IWD 5/10)
« Je suis dans le train et je ne descends pas » avise Farida Amadou en s’apprêtant à gravir la longue volée d’escaliers qui relie l’entrée de Bozar à la rue Royale. Enoncée à la manière d’un épilogue, elle met fin à la conversation que l’on vient de nouer en cette fin d’après-midi glaciale et brumeuse de janvier. Pour abrupte qu’elle sonne, cette phrase résume pourtant à merveille la démarche de cette musicienne qui présente « In-Between », à quelques encablures de là, aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.
Cette installation audiovisuelle est conçue selon deux axes. Un écran occupant tout un pan de mur diffuse des images que Farida a saisies sur le vif par les fenêtres des trains en marche. En avant-plan, de longues cordes métalliques de piano tendues relient de bout à bout deux panneaux d’acier sur lesquels des micros contacts ont été placés. Le visiteur est invité à titiller, à pincer les cordes qui émettent des sons amplifiés. Le parallélisme renvoie inévitablement à celui des rails du chemin de fer. Commissionnée pour l’exposition Europalia « Trains & Tracks », la pièce trouve ici sa pleine dimension narrative et symbolique. Les images rappellent, malgré elles, le travail du photographe Bernard Plossu qui a souvent privilégié le voyage en train pour ses prises de vue.
«Son travail aux Beaux-Arts dégage une aura à la fois musicale et plastique très forte.»
C’est la première fois que Farida s’essaye à cet exercice. Un travail de longue haleine car il a fallu collecter les images, recueillir des sons et monter le dispositif. C’est surtout pour cette dernière étape qu’elle a pu compter sur l’aide de Pavel Tchikov, complice musicien et concepteur sonore avec qui elle avait déjà collaboré dans le passé. Commentant son œuvre, elle explique qu’au départ les cordes métalliques devaient être beaucoup plus longues, mais cela s’est avéré impossible à installer dans le musée pour des raisons liées au lieu et à ses contingences. Qu’à cela ne tienne, même ramené à des proportions réduites, le travail dégage une aura à la fois musicale et plastique très forte.
Si Farida Amadou demeure assez discrète sur sa vie familiale, elle est davantage diserte sur sa vie de musicienne. Ses premiers pas se sont accomplis à Liège où elle accompagnait, comme bassiste, des sessions de jam au Blues-sphere dans le quartier d’Outremeuse. Après avoir œuvré au sein de l’Œil Kollectif et enregistré quelques cd au sein du duo Nystagmus avec Tom Malmendier, elle a pris ses marques, multipliant les rencontres et les collaborations. Elle a tenu la basse au sein du combo post-punk Cocaïne Piss tandis qu’elle a joué, entre autres, avec la violoniste Cécile Broché, le trompettiste Timothée Quost, le batteur Steve Noble et, plus récemment le clarinettiste Yoni Silver et le saxophoniste Chris Pitsiokos.
«Farida n’a eu de cesse de travailler sa technique, sa faconde sonore, passant inlassablement de longues heures avec et sur son instrument.»
Parallèlement, Farida n’a eu de cesse de travailler sa technique, sa faconde sonore, passant inlassablement de longues heures avec et sur son instrument. Que de chemin parcouru depuis son premier concert solo à l’occasion du solstice d’été 2018 dans le petit village de Fontin jusqu’à son apparition en novembre dernier sur la grande scène de l’Ancienne Belgique, en ouverture de Thurston Moore, devant plus d’un millier de personnes ! Elle nous confesse que Thurston est resté assis à l’écouter sur une chaise dans les coulisses de la scène… Son premier album sous son nom civil, « 00:29:10:02 », a vu le jour au cours du premier confinement. Il vient d’être réédité en cassette sur le micro-label Autogenesis.
«Musicienne industrieuse et talentueuse, elle est également une femme du monde, nomade et talentueuse.»
Musicienne industrieuse et talentueuse, Farida Amadou est également une femme du monde, nomade et curieuse. Le chemin qu’elle a emprunté pour nous révéler son art est pluriel. Il est constitué d’une multitude de voies dont elle n’hésite pas à quitter les rails quand le besoin s’en fait sentir. Ce n’est que pour mieux reprendre le chemin après, tel un train en marche qui jamais ne s’arrête.
Farida Amadou & Pavel Tchikov
Mal de terre
Cassette distribuée par Trouble In Mind Records