Frank Vaganée / Sam Gerstmans / Teun Verbruggen : Black Diamond

Frank Vaganée / Sam Gerstmans / Teun Verbruggen : Black Diamond

Rats Records

Le saxophoniste malinois Frank Vaganée est l’un des membres fondateurs et piliers du Brussels Jazz Orchestra pour lequel il joue du saxophone et compose tout en endossant le rôle de directeur artistique. Mais si l’essentiel de sa discographie réside dans les productions du BJO, Frank a aussi enregistré quelques disques en petite formation, soit en sideman soit sous son nom : on se souvient entre autres du Steven Delannoye NY Trio, du Del Ferro – Vaganée Group et de l’album « Deux Trios » sorti en 1999 sur WERF Records. Ce nouveau projet le présente en trio avec le contrebassiste liégeois Sam Gerstmans et l’Anversois Teun Verbruggen, batteur du Flat Earth Society. Réunis par le saxophoniste à l’occasion du festival « Jazzathome » organisé dans sa ville natale en septembre 2019, les musiciens ont dû se rendre compte qu’ils prenaient du plaisir à jouer ensemble puisque le trio s’est retrouvé en février 2021 au Jet Studio pour enregistrer cet album. Le dossier de presse explique que le répertoire est une collection de premières prises déployées avec beaucoup d’allant et de spontanéité. Le résultat est probant : cette musique truffée d’inventions et de surprises se coule avec fraîcheur dans le moule de la grande tradition du jazz américain.

Bien sûr, c’est toujours un grand plaisir de voir Frank se lever, gagner le micro à l’écart et « soloter » en compagnie de son big band, mais l’entendre comme unique souffleur d’une petite formation, sans instrument harmonique, procure d’autres émotions. Écoutez-le sur « Little Melonae », une composition hard-bop que Jackie McLean avait dédiée à sa fille sur son premier album de 1955 : l’alto virevolte avec élégance et enthousiasme, jamais à court d’idées et avec la beauté en ligne de mire. Les standards interprétés ont été bien choisis : de la limpide version du « Reflections » de Thelonious Monk à celle bop et fracassante de « Cherokee », en passant par le titre éponyme (« Black Diamond » de Milton Sealey) dont le thème m’évoque le swing et la souplesse du « Pink Panther » d’Henri Mancini, on est séduit autant par l’inspiration constante des interventions du soliste que par la dynamique de la section rythmique. Il faut aussi épingler « Duke Ellington’s Sound Of Love », une composition tardive et poignante que Charles Mingus a dédiée au Duke, décédé quelques mois avant l’enregistrement de l’album « Changes One » sur lequel elle figure. On y retrouve ce lyrisme intense qui caractérise les plus belles ballades romantiques du catalogue Ellington / Strayhorn. Enfin on mentionnera encore une nouvelle version de « Triolette », écrit par Frank Vaganée, qui offre une envolée d’alto aussi fluide et intense que pouvaient l’être jadis celles d’un Cannonball Adderley au top de sa forme.

Cette musique pleine de ferveur est à l’origine d’un engouement de la part de l’auditeur, voire d’un émoi, qui perdure pendant toute la durée d’écoute de l’album. À l’heure du thé et des madeleines, « Black Diamond » ne manquera pas non plus de rappeler que quelques-uns des plus grands disques de jazz sont faits de musiques inventées dans l’instant au gré des humeurs des musiciens.

En concert à l’An Vert (Liège), le 17 novembre.

Pierre Dulieu