Frank Vaganée, Sam Gerstmans, Teun Verbruggen : La confiance au passé
Trois musiciens qui se connaissaient, mais ne se produisaient ensemble que pour la première fois lors d’une session en salon et étaient immédiatement sur la même longueur d’onde grâce à un répertoire de standards. Une histoire familière dans les cercles du jazz. Seulement ici, il s’agit de la combinaison du saxophoniste alto Frank Vaganée, du contrebassiste Sam Gerstmans et du batteur Teun Verbruggen. Des messieurs qui font habituellement de la musique dans des cercles complètement différents.
À du festival Jazz@Home de Malines, ils se sont produits sur la même scène en 2019. Du plaisir du début à la fin avec la promesse mutuelle de recommencer par la suite. Nous rencontrons Teun Verbruggen après un concert de l’Orchestre Nazionale Della Luna lors du Gaume Jazz et parcourons la playlist du premier « Black Diamond ».
«On s’est tellement bien amusé lors des concerts à Malines qu’une suite nous a semblé plus que logique.»
Plus que du jazz de salon
L’histoire de votre trio peut apparemment se résumer à un concert de salon prolongé ?
Teun Verbruggen : Surtout avec un début surprenant, car Frank Vaganée, qui a reçu l’invitation, a d’abord pensé à deux autres musiciens. Finalement, Sam et moi nous nous sommes retrouvés à ses côtés. Pour beaucoup, la combinaison de Frank et moi semblera être un mariage impossible. Cependant, j’aime bel et bien les standards. Les classiques de Sonny Rollins, de John Coltrane et des grands noms correspondants de l’époque étaient des matières obligatoires au Conservatoire, que j’aimais beaucoup passer en revue. Après cela, il est vrai que je n’ai jamais commencé un projet avec un tel matériel et c’est pourquoi je n’y suis pas associé. L’inverse est vrai pour Frank qui est apparemment l’intrus en free, mais l’homme est un véritable monstre dans ce domaine. Il peut vraiment faire face à tout. Nous avons donc une connexion. Il en va de même pour Sam Gerstmans, qui est à l’aise sur différents domaines. On s’est tellement amusé lors de ces trois sets à Malines qu’une suite nous a semblé plus que logique. Nous avons organisé quelques petits concerts jusqu’à ce que la bête Covid se pointe. Pendant la pandémie, j’ai reçu une subvention pour un concert en streaming. L’occasion idéale pour se retrouver. Pendant cet enregistrement, tout a été conservé. Dont une sélection a finalement abouti sur « Black Diamond ».
«Il s’agit d’un trio dans lequel nous disposons chacun de beaucoup d’espace pour notre propre contribution.»
L’éventail des normes est énorme. Comment le choix final a-t-il été déterminé ?
T.V. : C’est en grande partie la responsabilité de Frank, même si Sam et moi avons également apporté quelques idées. Pourtant, il s’agit d’un trio dans lequel nous disposons chacun de beaucoup d’espace pour notre propre contribution.
De Jackie McLean à Paul Motian en passant par Ellington et au-delà…
En ouverture, « Little Melonae » de Jackie McLean, cela s’applique certainement à vous et vous envoyez le tout direction « Blues March », le classique d’Art Blakey & The Jazz Messengers.
T.V. : C’est indéniable que j’ai écouté ça et je suis redevable à tous les batteurs de cette période. D’ailleurs, ce sont des choses que j’aime encore écouter aujourd’hui.
Avec un titre comme « Drum Music », on peut également s’attendre à de l’action, mais ici tout se déroule plutôt lentement, bien qu’avec les accélérations nécessaires.
T.V. : Les titres sont souvent trompeurs. Les gens l’associent rapidement à une certaine image. Il s’agit cependant d’une composition très poétique de Paul Motian. C’est un morceau de rubatos qui en effet glisse comme dans un flux vers l’avant pour disparaître à nouveau. C’était un batteur spécial qui créait son propre langage. Une chanson comme « Drum Music » semble simple, dans laquelle vous pouvez jouer et découvrir votre propre voix, mais elle contient un niveau de difficulté sous-jacent, tout comme « Kathelin Gray » d’Ornette Coleman (que l’on retrouve sur « Song X » avec Pat Metheny – ndlr). Si vous ne prenez pas correctement la courbe de la composition, vous tombez au travers du panier. On ne peut pas revenir aux licks, c’est le son qui compte. Apporter quelque chose comme ça avec Frank et Sam est un plaisir.
« Happy House » de Coleman se trouve sur la set list.
T.V. : Cela aurait tout aussi bien pu être autre chose puisque nous interpréterons encore certaines de ses compositions en live.
Ellington et Charles Mingus ne pouvaient pas manquer au programme. De Duke, il y a « Daydream » et de Mingus « Duke Ellington’s Sound Of Love ».
T.V. : Ce sont deux figures phénoménales du jazz. Frank et Sam éditent des ballades comme celle-ci avec un tel flair et une telle classe que je suis presque essoufflé en les écoutant pendant que mes « balais » suivent naturellement. Des moments pour s’émouvoir.
Il était presque impossible pour vous d’ignorer « Cherokee ».
T.V. : Frank ose donner un rythme à des choses qui vous surprendront. Même après deux sets, ce fut le cas la première fois à Malines. Il joue des lignes qui vous font vous demander comment il fait. Bruno Vansina peut le faire aussi. Selon mon ancien professeur de batterie Hans van Oosterhout, cette vitesse est typique des saxophonistes alto.
Le nom de Lee Konitz n’est pas vraiment surprenant dans cette série.
T.V. : Également saxophoniste alto, et c’était presque une évidence. Cette chanson fait partie de notre répertoire depuis longtemps.
Les « speelvogels »
Dans les « Reflections » de Monk, vous frappez fort avec Gerstmans.
T.V. : Une fois que nous avons trouvé un rythme, nous devenons de véritables « speelvogels » (l’expression pourrait se traduire par « jouettes » – ndlr). Ce qui est cool chez Sam, c’est qu’il ose prendre des risques dans une telle situation. Nos liens étroits remontent à l’époque où nous faisions tous deux partie du groupe d’Igor Gehenot. C’est là que nous avons trouvé notre langage commun.
Il y a un morceau original sur le CD, « Triolette » de Frank Vaganée.
T.V. : Un thème qui peut partir dans tous les sens, mais les solos sont modaux concernant un accord. Un contexte qu’il ne faut pas sous-estimer, car il faut trouver de différentes manières des points de raccord. C’est pourquoi c’est à nouveau un défi.
«Organiser une tournée complète est très difficile de nos jours.»
Un nom peut-être quelque peu inattendu avec un programme de standards est Bill Frisell.
T.V. : « Resistor » est un beau blues avec lequel je me suis familiarisé avec le groupe de Serge Lazarevitch.
Enfin, il y a le morceau de clôture tranquille « Hún » de Skúli Sverisson.
T.V. : Un de mes choix. Il est le bassiste du groupe AlasNoAxis de Jim Black. C’est comme ça que j’ai fait sa connaissance. Frank l’interprète magnifiquement.
Peut-on espérer une suite live ?
T.V. : En tout cas, plusieurs concerts de sortie sont prévus. Organiser une tournée complète est très difficile de nos jours, mais comme nous vivons tous les trois en Belgique, nous sommes flexibles et il y a certainement plus de possibilités. Frank a déjà parlé de nouveaux projets, éventuellement avec un musicien invité.
Une collaboration Jazz’halo / JazzMania
Le trio en concert : L’An Vert, Liège, le 17 novembre, la Jazz Station, Bruxelles, le 18 novembre et De Singer, Rijkevorsel, le 28 décembre.
Frank Vaganée, Sam Gerstmans, Teun Verbruggen
Black Diamond
Rats Records
Traduction libre : Luc Utluk