Gaume Jazz 2015, le jazz sur son 31

Gaume Jazz 2015, le jazz sur son 31

Le Gaume Jazz 2015 sur son 31.

Une 31e édition qui confirme la philosophie d’un festival aux couleurs variées, mêlant star américaine (Stacey Kent), musiciens européens, belges et jeunes pousses.

Ce n’est pas chaque année que le festival gaumais s’ouvre sous un ciel bleu. Du coup, le public était très tôt nombreux sur le site pour le premier concert du vendredi, une carte blanche  offerte au guitariste Manu Baily, l’occasion de découvrir une première performance scénique de son projet « Night Stork » (l’album sortira officiellement en automne, mais on pouvait se le procurer en avant-première sur le site du festival), dans une configuration acoustique qui mettait en évidence la finesse des arrangements parfois joliment secoués par le drumming éclaté de Xavier Rogé. Jean-François Foliez (clarinette) et Lambert Colson (musicien français avec un instrument rare, le cornet à bouquin) donnaient de belles couleurs à la musique, le clarinettiste développant quelques solos magnifiques qui nous font languir dans l’attente de la sortie de son album personnel « Playground ».

Stacey Kent

Avec Stacey Kent, on touchait à un jazz plus « standard » avec un répertoire fort tourné vers les grands classiques brésiliens (One Note Samba, How Insensitive…); un joli moment de douceur sans réelle surprise, on attend son prochain concert en Belgique avec un quatuor à cordes pour découvrir peut-être un nouveau versant de la chanteuse.

Beaucoup de Belges à l’affiche du samedi avec le désormais incontournable « LG Jazz Collective » (Octave de la Musique 2015), remanié avec l’arrivée d’un nouveau et convaincant saxophoniste alto en la personne de Rob Banken. Un démarrage en mode mineur, puis une musique qui s’envole : un concert énergique conclu par un étourdissant « A », une composition de Lionel Beuvens. Plus tard, on allait retrouver ce dernier avec une carte blanche qui prolongeait celle accordée en 2011: une musique plus savante, quasi expérimentale par moments, à laquelle la voix d’Emilie Lesbros donnait un côté « post-soixante-huitard » que n’aurait pas renié Brigitte Fontaine. On pouvait toutefois se poser des questions sur l’apport de cette chanteuse principalement sur les parties récitées, alors que la musique, elle, nous offrait des moments de belle tension avec les deux souffleurs réunis.

Jacques Mahieux

La tendance à la reprise de classiques du rock comme nouveaux standards du répertoire allait aussi être mise en avant avec « Kind of Pink », un travail original et délicat sur la musique de « Pink Floyd », bien éloigné des effluves sonores de « Janis the Pearl » proposées par Franck Tortilier. La question : est-il nécessaire de pousser la sono parce qu’on visite le répertoire rock ? Est-ce le choix des musiciens ou de l’ingénieur du son ? Du milieu de  la salle en tout cas, les solos de trompette se perdaient dans la masse sonore et même sur un duo – le magnifique « Chelsea Hotel » de Leonard Cohen -, le vibraphone saturait par moments, contraste avec la voix éraillée et apaisée de Jacques Mahieux sur ce morceau !

Sarah Klenes

Le dimanche, le « chassé-croisé » entre « Oak Tree » et le trio d’Anu Junnonen était très attendu. Cette idée de croiser deux chanteuses au style très différent, Jean-Pierre Bissot l’a imaginée comme une découverte des deux univers pour un public qui ne connaissait peut-être pas le travail des deux groupes. Même si on ne partageait pas pleinement l’univers de l’une ou de l’autre (les avis étaient partagés), la rencontre a donné lieu à de magnifiques moments d’émotion et de partage, surtout lorsque la voix de Sarah Klenes se glissait dans les finales des compositions d’Anu Junnonen.

Autre chanteuse, autre style aussi avec la sud-coréenne Yeahwon Shin. La jeune fille a déjà enregistré chez ECM (avec Aaron Parks, svp !) et faisait face à la dure comparaison avec Youn Sun Nah découverte ici même pour son premier concert en Belgique il y a quelques années. Sur un répertoire très latin, Yeahwon Shin parait fort à l’aise, donnant une touche d’originalité aux thèmes choisis (magnifique Astor Piazzolla) : une découverte comme on les aime en Gaume !
Très mélodieuse aussi la musique du trio « Oliver’s Cinema » qui nous permettait enfin d’entendre le trompettiste Eric Vloeimans en Gaume, dans l’église, un lieu parfait pour cette musique intimiste.

Yeahwon Shin

L’artillerie lourde était pour la scène du parc avec « Taxi Wars », bien plus convaincant ici qu’à Liège en mai dernier : Robin Verheyen (saxophone), Nic Thys (contrebasse) et Antoine Pierre (batterie) s’y entendent pour faire chauffer la marmite, on a droit à de grands moments de jazz tendance newyorkaise (normal avec Robin et Antoine qui y  ont vécu pas mal de temps), je crois même entendre chez Robin l’influence d’un Donny McCaslin.
Et, juste avant sur la même scène extérieure, le trio de Jeff Herr n’a fait que confirmer tout le bien que l’on pense de lui, ce qui est en soi déjà pas mal : une énergie bien maîtrisée et des compositions vachement bien balancées !

A côté des « pros », il y a les concerts où l’estomac est noué sur la scène, mais aussi où le cœur est serré côté public. Une bonne quarantaine de « P’tits Gaumais du Jazz » ont suivi cette année le stage  qui les initiaient à  la musique de « Saule »; une première expérience scénique  dans le parc pour ces cinq à  douze ans face à un public  séduit par la fraîcheur du résultat.

La veille, la salle du centre culturel accueillait jusqu’aux petites heures les plus grands et leurs combos de jazz préparés  cette semaine : la mise en pratique du travail sur les mesures impaires, le balancement du swing et l’apprentissage de l’improvisation, tout un programme !  Le Gaume Jazz, c’est aussi ça, un travail de fond dans la bonne humeur initié par les Jeunesses Musicales du Luxembourg;  et, bien au-delà des scores de fréquentation – l’édition  2015 a accueilli un nombreux public –, les quasi 200 stagiaires de cette année s’inscrivent dans ce qui fait le côté unique du festival gaumais : l’ouverture au jazz par une pédagogie ludique et joyeuse. Pour cela, mais pas seulement, le Gaume Jazz mérite cette place singulière qu’il occupe sur la scène belge et européenne.

Jean-Pierre Goffin

Photos réalisées par Éric Grundmann : http://www.phototerhome.eu