Gautier Garrigue : le leader

Gautier Garrigue : le leader

« Les médias ne s’intéressent pas aux batteurs, ils ne s’intéressent qu’aux leaders, non ? » aurait dit Gautier Garrigue à la suite d’une demande d’entretien à la radio… Lorsque je cite cette phrase, le batteur-compositeur leader de ce magistral quintet répond du tac au tac : « Je ne pense pas avoir dit ça ! » Peu importe finalement : Gautier Garrigue est aujourd’hui leader, mais ça ne semble pas lui monter à la tête.

Gautier Garrigue © Jean-Baptiste Millot

« Je me sentais toujours un peu inférieur par rapport aux compositions que je jouais dans les groupes des autres.»

Comment est née l’idée de faire un album ?
Gautier Garrigue : J’avais pas mal de musique dans les tiroirs et j’avais envie de la faire vivre, des morceaux que j’ai composés à la guitare. Et puis l’occasion est venue par le label Pee Wee sur lequel je suis hébergé. Vincent Mahey nous a proposé avec Federico Casagrande de faire une série de vidéos en duo. C’était déjà un label qui m’intéressait beaucoup, et c’est Federico qui y était déjà, qui leur a proposé ma musique. Ça s’est passé très naturellement, j’avais envie de faire vivre ces morceaux que je proposais déjà dans d’autres projets. Le choix des musiciens a lui aussi été très naturel puisque ce sont des amis de longue date. Henri (Texier), c’était aussi très naturel que je l’invite, ça fait tout de même sept ans qu’on joue ensemble, et au-delà d’être proches musicalement, on est aussi devenu des amis. Quant à Emile (Parisien), je participe aussi à ses groupes depuis longtemps. Ce sont des gens que j’admire parce qu’au-delà du « jouage » traditionnel, ce sont aussi des compositeurs. Il faut dire aussi que je ne me sentais pas tout à fait prêt pour jouer ma musique parce que je me sentais toujours un peu inférieur par rapport aux compositions que je jouais dans les groupes des autres. Il m’a fallu prendre un peu de confiance pour les jouer, et finalement, je me suis dit « pourquoi pas ? »

Rapport à la confiance, Henri Texier me disait dans un entretien que Gautier Garrigue devrait être décoré pour avoir enjolivé le jazz français…
G.G. : C’est un gentil compliment.

Vous lui consacrez un morceau que vous aviez déjà joué sur « Heteroklit Lockdown » : c’est à la fois un hommage, mais aussi une composition qui résonne dans l’univers musical de Texier.
G.G. : Oui, je crois. Effectivement, je n’ai pas proposé ce morceau par hasard : il y a quelque chose qui entrait dans l’univers de Henri. Il me semble, c’est vrai, qu’il colle à Henri.

Gautier Garrigue © Jean-Baptiste Millot

Vous avez donc composé la musique à la guitare.
G.G. : Oui, en effet, ma musique a été composée à la guitare, il y a des choses comme les accords ouverts qui sonnent pour la guitare. Et j’aimais l’accord avec le piano, qui est mon instrument préféré. Je ne pouvais pas ne pas mettre un piano. J’aime les couleurs du piano-guitare, même si ce n’est pas toujours facile à mettre en place. Mais ici, c’est joué par deux musiciens exceptionnels. Maxime et Florent avaient déjà enregistré un disque avec un guitariste, Jakob Bro, et je m’étais rendu compte de la capacité qu’a Mad Max à se placer par rapport à la guitare.

«Dans « la traversée », il y a une notion d’infini.»

Le titre de l’album est le troisième volet d’une suite.
G.G. : Oui, j’invite d’ailleurs les gens à écouter la suite d’une traite. Il y a quelque chose d’imaginaire qui partirait d’une lueur, le moteur d’une aventure qui passerait par un présage, la deuxième partie, qui amènerait à faire une traversée. Il y a un peu la métaphore d’un cheminement esthétique artistique. Il y aurait comme une lueur qui animerait chaque artiste pour les pousser à aller toujours plus loin, parfois vers des contrées infinies. Dans la traversée, il y a cette notion d’infini que j’ai essayé de traduire par son caractère très lent, avec beaucoup d’espace, des zones denses, des zones plus froides, d’autres plus chaudes, avec une fin un peu en suspens qui traduit cette notion d’infini.

Gautier Garrigue © Jean-Baptiste Millot

« Kenny, are you in this room ? », venant d’un batteur, on pouvait s’attendre à Kenny Clarke… Et c’est de Kenny Wheeler qu’il s’agit.
G.G. : Oui, j’ai énormément écouté Kenny Wheeler. Quand j’étais étudiant, j’ai flashé sur ses capacités de compositeur. Des disques phares comme « Gnu High » : l’histoire raconte que Keith Jarret est arrivé en studio sans avoir bossé les partitions et ça a donné ce résultat exceptionnel. « Deer Wan » ou « Angel Song » avec Lee Konitz sont des disques de chevet pour moi. Le titre m’est venu parce que le mode phrygien utilisé me faisait penser à Kenny Wheeler. C’est une forme d’hommage.

Le court « Interlude » fait penser à une mise en scène, une forme de respiration ?
G.G. : C’est bien ça. J’aimais le fait de lier les deux ballades par une forme d’interlude, une sorte de silence.

«On a l’impression que la musique s’essouffle en multipliant le nombre de prises.»

Pour « Plage du Troc », il y a des souffleurs invités.
G.G. : Là on passe à autre chose ! Ça n’a pas été une mince affaire de trouver un moment dans l’emploi du temps d’Emile pour qu’il enregistre avec nous. C’est une composition que j’ai écrite en pensant à lui. Avec lui, je joue beaucoup de trucs jazz et dans ses concerts il y a toujours un moment un peu free jazz qu’Emile adore faire, c’est un grand fan d’Ornette Coleman. Moi aussi j’ai cette chose en commun avec lui. « Plage du Troc », c’est un truc près de chez moi à Banyuls-Sur-Mer ; je voulais représenter le contraste entre une mer déchaînée et à la fois très paradisiaque, c’est pour ça que c’est en deux parties.

Sur « Laenikea », il est au soprano.
G.G. : C’était moins évident, je ne savais comment ça allait sonner avec lui dans ce morceau. Je ne me suis pas inquiété plus que ça, il a tellement d’imagination.

Le texte du livret a été écrit pour coller à la musique.
G.G. : J’ai laissé libre cours à Pierre Tenne pour le texte. Il a bien sûr écouté la musique avant d’écrire ce texte.

Il a fallu beaucoup de prises pour arriver à cette fluidité ?
G.G. : Non, pas du tout. On a l’impression que la musique s’essouffle quand on multiplie le nombre de prises. Il faut que ça reste frais.

Gautier Garrigue
La traversée
PeeWee !

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin