Greg Lamy : The sound of silence

Greg Lamy : The sound of silence

« Observe the Silence » se réfère à cette zone d’espace dans la musique, parfois nécessaire pour pouvoir respirer. L’album explore une palette harmonique qui libère le souffle de l’improvisation, menant les musiciens et les auditeurs vers la contemplation. Greg Lamy nous le présente.

Greg Lamy © Roger Vantilt

«La section rythmique actuelle tient depuis quinze ans. J’aime travailler dans la continuité du son d’un groupe.»

Greg Lamy, quelles sont les principales étapes de votre parcours ?
Greg Lamy : J’ai quarante-six ans maintenant. J’ai commencé la musique vers l’âge de six ou sept ans et j’ai détesté le solfège. Du coup, j’ai vite abandonné, avant de reprendre à l’âge de treize ans. Mon grand frère jouait de la guitare et forcément ça a joué dans le choix de l’instrument. Ma mère jouait du piano, j’étais donc fort entouré de musique. J’ai fait un parcours classique. J’habitais à Luxembourg-ville pas loin du Conservatoire où il y avait Jacques Pirotton et Guy Cabay. De super bons musiciens qui, de plus, parlaient la même langue que moi qui ne maîtrisait pas le luxembourgeois. Je me suis inscrit, j’avais des cours avec eux deux. Après le Conservatoire, je suis directement parti à Berklee. J’avais reçu une aide précieuse du gouvernement luxembourgeois. J’ai dû faire une année de pause parce que tout allait trop vite pour moi, pour assimiler toutes les informations que j’avais reçues là-bas. J’y suis retourné ensuite pour effectuer ma dernière année de bachelor . J’y ai rencontré entre autres Lionel Loueke, Ferenc Nemeth, Lage Lund, Massimo Biolcati… Je suis revenu en Europe, à Bruxelles plus précisément, où j’ai beaucoup joué avec Pascal Schumacher. J’avais mon propre quintet avec notamment Sal La Rocca. A trente ans, je suis parti à New York, après en avoir parlé beaucoup avec Philippe Aerts. J’habitais dans la 142e rue, Spanish Harlem, avec Lieven Venken. Il y avait deux autres musiciens dans l’appartement. Je faisais beaucoup de sessions avec des musiciens francophones. J’y ai enregistré mon premier album, avec Gretchen Parlato. Après deux ou trois ans, je suis revenu. J’ai formé mon propre groupe, avec la section rythmique actuelle qui tient depuis quinze ans et avec laquelle ça s’est toujours bien passé. J’aime travailler dans la continuité du son d’un groupe. Avec l’album « Exit », ça a pris forme, on est arrivé à une osmose, plus sereine. On prend dès lors plus de risques.

Greg Lamy © Roger Vantilt

Votre groupe comportait un saxophoniste, Joannes Mueller. Pourquoi se séparer d’un souffleur ?
G.L. : Ces six dernières années, j’ai évolué au niveau de l’harmonie. J’ai beaucoup écouté la manière dont Pat Martino travaille, non pas dans les solos, mais au niveau des harmonies. J’ai réalisé que ça allait de mieux en mieux, que mes solos étaient de plus en plus soutenus par l’harmonie. Au niveau de l’espace, j’ai voulu plus. Flavio Boltro, avec qui je joue beaucoup maintenant, a un peu la même vision de l’espace que moi. On aime étirer l’harmonie, ce qui donne l’impression parfois que le morceau fait une mesure. Avec un souffleur supplémentaire, je trouvais ça plus compliqué, tandis que dans le trio, j’occupe une place qui me convient mieux. Ça me permet aussi d’inviter l’un ou l’autre musicien avec qui j’ai toujours voulu travailler.

Greg Lamy © Roger Vantilt

«Bojan Z joue du Fender Rhodes sur deux titres. Il amène sa touche harmonique personnelle, il part en vrille totale.»

D’où la présence de Bojan Z sur quelques morceaux.
G.L. : J’ai demandé à Bojan Z qu’il joue sur trois morceaux, je ne voulais pas qu’il joue sur tout l’album. C’était bien spécifique : il y a une ballade sur laquelle il joue du piano, sur les deux autres il joue au Fender Rhodes. Il y amène sa touche harmonique personnelle, il part en vrille totale. C’est une évolution naturelle, peut-être que dans deux ans, ce sera autre chose, je jouerai peut-être en solo…

Bojan Z semble être un musicien qui correspond bien à votre évolution.
G.L. : Bojan a pris un seul solo. Pour le reste, il accompagne à sa manière. C’était l’effet recherché : travailler sur les couleurs. Comme Bojan est un excellent musicien, on y est arrivé très vite, en une demi-journée. C’était pendant une période de grèves en France et je n’étais même pas sûr que Bojan puisse venir… Cette situation a finalement eu pour résultat qu’on a travaillé dans la sérénité, de façon très relax.

Greg Lamy © Didier Wagner
Greg Lamy © Didier Wagner

«Je n’ai pas écouté de guitariste pour préparer ce disque.»

Pour les albums précédents, on a souvent cité John Scofield comme référence. Quels seraient les guitaristes qui vous auraient inspiré pour cet album ?
G.L. : Et bien justement, je n’ai pas écouté de guitariste pour préparer ce disque. Comme je l’ai dit tout à l’heure, j’ai beaucoup écouté Pat Martino, un incroyable soliste. Sur le site Youtube, tu peux voir ses masterclass sur le travail des harmoniques. J’ai vraiment dévoré ces programmes. J’ai aussi beaucoup travaillé sur la musique de Brad Mehldau.  J’ai contacté un gars qui habite à New York et à qui Brad Mehldau donne l’autorisation de faire les transcriptions de ses morceaux. J’ai travaillé l’un ou l’autre solo comme « Samba y Amor » de Chico Buarque que l’on retrouve sur l’album « Where Do You Start ? » de Mehldau. Ce solo, je l’ai beaucoup travaillé à la guitare en l’intégrant dans mon jeu. Évidemment, c’est sympa de jouer le solo en intégrale, mais c’est sur une ou deux petites phrases, une ou deux mesures que je me suis concentré, que j’ai essayé de modifier un peu, et ça marche très bien. Je travaille pour le moment beaucoup le solo, je « dé-tune » ma guitare d’un demi-ton. Ça sonne un peu baroque, je retourne un peu vers le 17e siècle. J’expérimente.

C’est curieux : Brad Mehldau sur cet album est allé chercher un morceau de guitariste, « Hey Joe » de Jimi Hendrix, et de votre côté, vous cherchez les idées du côté d’un pianiste.
G.L. : J’adore aussi sa section rythmique avec Jeff Ballard. Mais il y a aussi un guitariste qui m’a appris beaucoup, c’est Lionel Loueke que j’ai donc connu à Boston. J’ai joué avec lui à la Philharmonie, à Paris. C’était un chouette concert en duo, donné en mai 2020. Ce sont des rencontres qui te nourrissent et dont nous sommes malheureusement privés avec le confinement, même si au Luxembourg, nous sommes un peu privilégiés.

Greg Lamy © Roger Vantilt

«Observe the Silence, c’est un état d’esprit. L’impression qu’on se trouve en apesanteur.»

Le titre de l’album, « Observe the Silence », pourrait s’appliquer à tous les morceaux.
G.L. : Ce titre, c’est un état d’esprit. Comme tu le dis, il pourrait s’appliquer à une majorité de titres de l’album. Encore une fois il s’agit de tirer l’harmonie, de travailler de manière horizontale et non verticale. J’ai l’impression qu’on est un peu en apesanteur. C’est ce qui me fait dire « Observe The Silence ». Un peu comme si tu étais à 30 mètres de profondeur en mer avec ce calme apaisant. Je l’ai fait… Et ça ne coûte rien, pas besoin de se procurer des produits illicites pour être bien (rires)… La musique tout simplement.

Troisième album chez IGLOO. D’où vient cette fidélité ?
G.L. : Ça a commencé avec « Meeting ». J’étais assez présent sur la scène bruxelloise à l’époque, il y a huit ans environ. C’est à ce moment-là qu’est sorti ce premier disque. J’avais pas mal de compositions, c’était un peu un melting-pot de celles-ci, que j’avais envie d’enregistrer. A côté je faisais aussi mes propres productions en duo. Puis est venu « Exit » qui a très bien marché. Je pense que Rémi (Rémi Planchenault, Label manager chez IGLOO – NDLR) et l’équipe ont vu que notre musique évoluait. Je suis très heureux de continuer avec ce label. Rémi est quelqu’un de très discret et qui suit ses artistes.

« Meeting », ça faisait penser à un album de René Thomas…
G.L. : J’ai pas mal répété ses trucs à lui. Mais non, je n’ai pas pensé à ce titre, c’était surtout une allusion à la rencontre avec des musiciens avec lesquels je jouais déjà depuis un petit temps.

Greg Lamy © Roger Vantilt

«Quand tu joues sur une Telecaster, c’est vraiment typé ! Le son est beau, mais on l’a déjà tellement entendu !»

Vous jouez sur une guitare Benedetto sur l’album.
G.L. : Oui, mais j’ai un nouveau endorsement avec une marque japonaise, le même endorsement que Kurt Rosenwinkel, ça me donne de nouvelles sonorités à travailler. Sur l’album c’est une Benedetto. J’aime le son de ces nouvelles guitares, un son plus neutre, mais sur lequel tu peux travailler à ta propre sauce, si je puis dire. Quand tu joues sur une Telecaster, c’est vraiment typé. Certes, le son est beau, mais c’est un son qu’on a déjà tellement entendu !

Greg Lamy
Observe the Silence
Igloo

Chronique JazzMania

Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin / Photos © Roger Vantilt et Didier Wagner