Guillaume Grenard, Nadja Sextet
Guillaume Grenard, Nadja Sextet
On avait pu constater, avec son étude patiente et explosive de la Table de Mendeleiev, que Guillaume Grenard (interview ICI) aimait fondre sa musique dans un univers défini et en chercher tous les motifs possibles. D’en nourrir ses improvisations. Ici, le trompettiste ne joue pas, il compose et dirige pour un instrument peu habitué à la meute, la clarinette basse. Avec le Nadja Sextet, c’est à d’autres particules élémentaires qu’il s’attaque, à la fois moins tangibles et plus incarnées : celles de la Fiction. Si tant est, évidemment, qu’il y ait quelque chose de fictionnel dans l’évocation de Léona Delcourt dite Nadja, personnage sulfureux et étrange dont la réalité est devenu roman. Sorti en 1928, l’année de la naissance d’Eric Dolphy – car le Surréalisme est avant tout affaire de signes – Grenard s’est entouré de six clarinettistes basses pour proposer une lecture linéaire, comme autant d’étapes de ce qu’il confesse être son « livre d’île déserte ». Il en résulte un travail de spatialisation très précis où les musiciens disposés en arc-de-cercle traduisent la finesse du fil qui conduit de la légèreté à la noirceur. De la malice à la folie. On est loin des équations chimiques de ses précédents albums, mais il y a une alchimie évidente : celle de la mécanique humaine, des interactions entre les voix intérieures et extérieures, guillerettes ou lugubres. Tout cela s’exprime avec une impressionnante dynamique collective. En témoignent les entrelacements raffinés de « Je ne suis qu’un atome qui respire au coin de tes lèvres qui expirent » où dans un abyme de souffle, on passe du sifflement léger au ronflement rauque dans une rythmique de clés parfaitement étudiée. Pour l’accompagner, le compositeur a puisé dans le riche vivier des clarinettistes de la Région Rhône-Alpes. Ceux de l’Arbre-Canapas d’abord, le collectif bressan qui édite cet album et dont Sylvain Nallet est le digne représentant. On retiendra de lui l’improvisation caustique de « Porte cavalière Madame, porte piétonne Monsieur » où Breton évoque la fidélité amoureuse de Victor Hugo, ou encore son pas de deux avec Samuel Chagnard. Clément Gibert de l’Arfi nous avait quant à lui enchanté avec Black Bourrée : la sauvagerie de ses cris sur « Chasser au grand-duc » tranche avec la légèreté des contrepoints de l’orchestre. On retrouve également dans le sextet d’autres musiciens de l’ARFI comme Jean-Paul Autin, récemment aperçu au sein de l’Artfolia Libra, qui avec Emmanuelle Saby forme le cœur de la rencontre de « Savoir qui je hante ». Cette question cruciale et liminaire du roman lance la machine à images dont se sert Grenard pour ses compositions. Quant à Michel Mandel du collectif La Forge, la souplesse de l’instrument expérimenté dans Tuyaux fait merveille dans l’étrange « Le corps ensanglanté de l’enfant apparaît la tête en bas ». Si en filigrane de Nadja, André Breton interroge la fonction du Roman, Grenard lui répond en questionnant la fonction de l’orchestre, surtout lorsque celui-ci parle d’un même timbre et offre cependant des paysages luxuriants. Le but du compositeur n’est pas de raconter ou de résumer le livre, il est de s’inspirer de la liberté fugace et vacillante de l’héroïne dans une lecture très intime. Le sextet peut l’affirmer : « Nadja c’est moi », à la fois une et multiple. A l’auditeur revient en conclusion l’art de la citation : « La beauté sera convulsive ou ne sera pas ». Elle l’est.