Hubert Dupont, Kartet, Jasmim… Ultrabolic

Hubert Dupont, Kartet, Jasmim… Ultrabolic

HUBERT DUPONT, 
pierre angulaire de Kartet, du quintet Jasmim et de la structure Ultrabolic.

WWW.ULTRABOLIC.COM/KARTET



Kartet, 
Grand Laps (Songlines, Ultrabolic)

Hubert Dupont, Jasmin (Ultrabolic)

Le contrebassiste Hubert Dupont, fondateur d’Ultrabolic, après avoir créé le collectif Hask, est présent sur plusieurs fronts : Kartet et le quintet Jasmin. Kartet, une des formations les plus créatives de la scène française contemporaine, existe depuis près de 25 ans et vient de sortir un nouvel album : “Grands Laps”. Kartet est aussi une formation particulièrement interactive, au sein de laquelle chacun est compositeur et soliste à part entière : c’est qu’elle est constituée de fortes personnalités. Au piano, Benoît Delbecq; aux saxophones alto et soprano, Guillaume Orti; à la contrebasse, Hubert Dupont. A la batterie, on a vu se succéder Benjamin Henocq (albums “Hask” en 1991, “Pression” en 1995), Chander Sardjoe (albums “Jellyfishing” en 1999, “Jyvaskyla” en 2001 et “The Bay Window” en 2007) et, depuis peu, Stéphane Galland. Ce choix de Kartet n’est pas étonnant : Kartet a toujours eu de nombreux contacts avec la scène belge. Benoît Delbecq a découvert Stéphane Galland dès 1988 et a fait partie d’Aka Moon (album “Invisible Moon”), Guillaume Orti est membre d’Octurn mais aussi de Mâäk de Laurent Blondiau et Hubert Dupont a parfois fait appel à Fabrizio Cassol pour son projet à quatre altos Altissimo. S’il existe depuis bientôt 25 ans, Kartet n’en est pourtant qu’à son sixième album et celui-ci vient après une attente de 7 ans. C’est que chacun de ses membres fait partie de nombreuses formations. Diplômé du Conservatoire de Versailles, après un passage à l’IACP (Institute for Artistic and Cultural Perception fondé par l’Américain Alan Silva à Paris), Benoît Delbecq fait partie du trio Les Amants de Juliette avec Serge Adam (trompette) et Philippe Koch (percussions), de The Recyclers et Ambitronix avec le batteur Steve Arguëlles, d’Unit avec Mark Turner et d’un trio avec le tromboniste Samuel Blaser. Guillaume Orti, outre ses collaborations à Octurn (album “21 Emanations”) et Mâäk (“Buenaventura”), fait partie de Thôt avec le saxophoniste Stéphane Payen et d’Altissimo. Hubert Dupont a fait partie du big band Quoi de neuf docteur avec le trompettiste Serge Adam, l’un des orchestres les plus créatifs de la scène française mais a aussi enregistré plusieurs albums personnels : entre autres, “Altissimo” avec quatre saxophonistes alto et Christophe Marguet à la batterie, “Décor” avec Geoffroy de Masure (trombone) et David Venitucci (accordéon) et, dernièrement, “Jasmin”, un album dédié aux printemps arabes.

 

L’interview

propos recueillis par Claude Loxhay

Comment les membres de Kartet se sont-ils rencontrés ?

Kartet est né de différentes rencontres à l’I.A.C.P., moi, j’ai intégré le groupe en 1990: je venais de suivre les cours de Jean-François Jenny-Clark.

Kartet est un vrai groupe interactif: chacun y est compositeur, interprète et improvisateur…

C’est rare et précieux  : un groupe de longue complicité, où chacun apporte ce qu’il a de mieux au collectif… chacun bouscule-stimule les autres… on progresse ensemble. Il faut dire, avec des allumés comme Guillaume Orti, Benoît Delbecq, Stéphane Galland, il y a la masse critique pour qu’il se passe quelque chose.

Dans une interview accordée à JazzMag, Benoît Delbecq dit que le groupe s’inscrit dans une philosophie musicale intermédiaire entre la liberté d’Ornette Coleman et l’attrait de Steve Coleman pour les contraintes. Pouvez-vous expliquer cette optique ?

Quand un artiste veut progresser, évacuer les clichés, il doit passer à un degré supérieur de liberté, ou proposer un langage nouveau et singulier mais cohérent. Sans doute, une combinaison des deux. S‘imposer des contraintes, c’est un levier puissant pour inventer un vocabulaire imagé différent… inventer des tournures, une syntaxe qui swinguent différemment, imaginer des histoires au déroulé différent… Ou bien, on imagine d’abord un discours différent, si différent qu’on doit trouver le langage adéquat pour le raconter. Et souvent, c’est une combinaison des deux. Mais la musique est surtout un jeu. Au final on n’invente pas grand chose, c’est juste une question d’attitude. Et c’est très drôle d’improviser ensemble avec des règles du jeu que l’on s’est créées: c’est intense, et du coup, c’est un mode d’expression. Le public ressent ça, il se laisse transporter. Je crois.

Au départ, le batteur était Benjamin Henocq, en 1996, Chander Sardjoe lui a succédé et maintenant Stéphane Galland. Comment le choix s’est-il porté sur lui? Vous le connaissiez d’Aka Moon ?

Evidemment, Aka Moon est pour nous, depuis plus de vingt ans, un groupe phare de la scène européenne. Fabrizio a pris part à mon groupe Altissimo vers 1996 : j’étais fier, j’étais boosté par son implication musicale. J’ai aussi eu l’occasion de croiser Stéphane Galland. Il a intégré Kartet vers 2010, je crois. Cela s’est fait de manière naturelle. C’est un hyper-interactif. 

Chacun s’est inscrit dans la scène contemporaine innovante: pouvez-vous dire un mot de vos autres projets  ?

Dans VoxXL , l’album sortira en octobre, j’ai invité le rapper Mike Ladd, et Ibrahima Diassé qui déclame le “rap” traditionnel sénégalais en wolof. Un choc de styles: les sons des mots, les rythmes… Un plaisir d’improviser ensemble, et aussi le regard croisé d’un afro-américain et d’un africain : car je leur ai donné des pistes, des mots-clés comme “baisse la clim” (le changement de climat), comme “dribble” (les politiciens nous feintent) ; mais aussi, le mensonge, les secrets…), ou comme “food” et c’est incroyable ce que ça déclenche. Et là encore mes musiciens préférés : Naïssam Jalal, Hervé Samb, Maxime Zampieri, Djengo Hartlap: il y a des videos sur le net.

Vous venez d’enregistrer l’album Jasmin JASMIN, dédié au printemps arabe ? Comment le projet est-il né ?

Au départ c’est ma musique, sans concession, dans une version acoustique pour la contrebasse, et avec encore mes musiciens préférés Nelson Veras, Denis Guivarc’h – et comme Naïssam Jalal et Youssef Hbeisch sont dans le groupe, ils se sont approprié ma musique à leur façon, et ça donne plus qu’une petite couleur ! Du coup, c’est à la fois une main tendue vers la musique de l’Orient que j’aimais beaucoup sans la connaître vraiment, et un clin d’oeil amical à ceux qui luttent pour la liberté. Ca peut paraître désuet et extra-musical mais en fait non.

Il y a là une volonté de s’ouvrir à l’héritage méditerranéen, avec Naïssam Jalal et Youssef Hbeisch. Comment les avez-vous connus ?

Naïssam, en jouant avec les Iraniens Habib Mefta Bushehri et Saïd Shanbehzadeh. Youssef, en jouant avec le pianiste libanais Elie Maalouf. Oui, cet héritage musical est grandiose. Pour une fois, même si je ne veux pas me tromper d’identité (quand on s’appelle Dupont, quand même…) c’est une culture musicale que je veux étudier, pour que la rencontre aille plus loin. A suivre !

L’album révèle aussi chez vous, après l’album Altissimo, une vraie fidélité au saxophone alto: ici Denis Guivarc’h que l’on avait découvert notamment avec Magic Malik…

C’est un peu l’instrument des révolutions et de la liberté dans le jazz, non ? Bird, Ornette, Steve Coleman…. Mais c’est surtout des personnalités musicales, et des perspectives de jeu collectif, qui m’attirent. Avec Denis, ou Guillaume, c’est incroyable.

On retrouve sur l’album deux thèmes joués aussi par Kartet (Never rain, Pass pass), mais avec des arrangements très différents…

Ca me fait très plaisir que vous disiez ça, mais, non, je n’ai rien changé, rien ré-arrangé. C’est la magie de la bio-diversité !

L’orchestre Quoi de neuf docteur existe-t-il encore ?

Non ,mais Serge Adam est toujours actif, notamment au sein de la formation Les amants de Juliette, et toujours talentueux.

KARTET – GRAND LAPS from Igor Juget on Vimeo.

Les chroniques


Kartet, Grand Laps.

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Comme pour les précédents albums, chacun des membres de Kartet  a été mis à contribution pour élaborer le répertoire, succession de “compositions conçues comme des boîtes à idées destinées à ouvrir de nouveau possibles pour l’improvisation”: 5 signée Guillaume Orti, 4 Benoît Delbecq et 3 Hubert Dupont. Si la musique de Kartet continue de s’inscrire entre la liberté d’Ornette Coleman et l’esthétique M’Base de Steve Coleman, le groupe, au travers de son jeu collectif aux nombreuses interactions propices aux espaces d’improvisation, a su se créer un univers personnel, notamment par sa recherche de sonorités originales: piano  préparé chez Benoît Delbecq, mezzo-soprano (You dig, I.E.S.), C.Melody sax (Never rain, XYZ), à côté de l’alto (les autres plages) chez Guillaume Orti. En parfaite complicité avec la solide assise rythmique assurée par Hubert Dupont, le jeu inventif, ouvert aux poly-rythmes, de Stéphane Galland fait merveille. Si l’alto volubile d’Orti est souvent mis en avant (XY, X, Gazzell), son soprano peut se faire lyrique (I.E.S.) et son C.Melody sax incisif (Never rain). De nombreux espaces sont laissés à Benoît Delbecq au piano (You dig) comme à sa technique de piano préparé (Binoculars) et Hubert Dupont peut, de sa sonorité ronde, introduire certains thèmes (Red house in Nola) ou s’accorder un solo bien charpenté (Pass pass). Au cours des 12 plages de l’album, c’est la vigueur incisive des quatre complices qui impressionne tout autant que son inventivité permanente.


Hubert Dupont, Jasmim.

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Avec son répertoire de 7 compositions originales, parmi lesquelles Never rain et Pass pass interprétées dans un contexte très différent par Kartet, Hubert Dupont veut célébrer la révolution du jasmin engendrée par les différents printemps arabes: “cette musique est dédiée aux peuples qui luttent pour leur liberté et sont en train d’inventer le futur”: bref,célébrer la fraternité autour de la Méditerranée. Pour ce projet enregistré live lors de Musiques au Comptoir de Fontenay-sous-bois, le contrebassiste a réuni une équipe multi-culturelle. Au saxophone alto, Denis Guivarc’h, que l’on a notamment entendu aux côtes de Magic Malik; à la flûte, Naïssam Jalal, née à Paris de parents syriens et qui a étudié au Grand Institut de Musique Arabe de Damas; à la guitare, le Brésilien Nelson Veras, qui, outre son album Rouge sur blanc en trio avec Stéphane Galland, a enregistré avec Steve Coleman, Aldo Romano ou Magic Malik et, aux percussions, Youssef Hbeisch, né en Galilée et qui a étudié à l’Université de Haifa. Si l’alto de Guivarc’h renvoie clairement aux précédents albums du leader, la flûte de Naïssam Jalal , tantôt avec une sonorité limpide, tantôt avec une technique où la voix se mêle à la sonorité plus rauque de la flûte, un peu à la manière de Magic Malik, donne à cette musique d’enivrants parfums orientaux que soulignent les tambours et tambourins d’Afrique du Nord de Youssel Hbeisch (derbouka, bendir, riq). La guitare de Nelson Veras tisse la riche trame harmonique où vient se lover le chant des souffleurs et s’autorise quelques solos dans lesquels il prouve sa superbe technique. Quant à Hubert Dupont, avec sa sonorité ronde et son sens mélodique, il s’accorde encore davantage de place qu’au sein de Kartet, que ce soit en solo ou lors de majestueuses introductions (Pass pass, Faisab). 
Voilà deux albums qui illustrent la grande créativité de la scène française contemporaine.

Claude Loxhay