Igor Gehenot, et de quartet !

Igor Gehenot, et de quartet !

Igor Gehenot, du trio au quartet

(c) Roger Vantilt

 

On l’avait découvert avec le Metropolitan Quartet puis le LG Jazz Collective. On avait adoré ses deux albums en piano-trio, avec Philippe Aerts et Teun Verbruggen : Road Story et Motion. Igor a décidé de jouer dans une autre configuration : un quartet avec le bugliste français Alex Tassel, un musicien qui a croisé la crème du jazz hexagonal : les pianistes Batiste Trotignon, Laurent De Wilde mais aussi Eric Legnini, les saxophonistes Guillaume Naturel, Olivier Temine et Sylvain Beuf, comme l’Américain Rick Margitza. Le Suédois Viktor Nyberg et le Luxembourgeois Jérôme Klein complètent la formation. Après les concerts du Marni à Bruxelles, de Nandrin et de Liège, rencontre avec les deux nouveaux complices.

Propos recueillis par Claude Loxhay

Après deux albums en trio, c’était important pour toi de passer à une formule en quartet ?

Igor : Oui, j’avais cette idée depuis un bon bout de temps. Comme on avait pas mal tourné en trio, avec Philippe Aerts et Teun Verbruggen, j’avais envie de changer de configuration, d’avoir des spectres sonores différents. J’ai réuni, autour de moi, une belle équipe : de superbes musiciens et avec une esthétique qui me correspond. J’ai d’ailleurs choisi les musiciens en fonction de leur esthétique et cela marche bien.

Comment as-tu rencontré Alex ?

Je connaissais la musique d’Alex depuis de nombreuses années, je l’écoutais déjà sur You Tube, j’avais regardé des concerts, je l’avais entendu avec Eric Legnini et Daniel Romeo. Je cherchais un bugliste, j’ai fait un peu le tour de la question. Au bout d’un moment, cela m’a paru évident que c’était lui la bonne personne. J’ai appelé mon ami Daniel qui m’a tout de suite recommandé Alex et j’ai eu le bonheur que celui-ci me dise oui directement.

Et vous, Alex, vous connaissiez Igor ?

Alex : Non, c’était une découverte. Par contre, je connais Eric Legnini et Daniel Romeo depuis longtemps. Je suis venu jouer en Belgique, depuis 1997, avec Dré Pallemaerts, Eric et Daniel. L’échange avec Igor s’est fait simplement. Igor a appelé Daniel qui m’a contacté et m’a dit : « Tu vas avoir un coup de fil d’un jeune pianiste qui joue vraiment bien, écoute ce qu’il fait ». Ce que j’ai fait : sa musique me plaisait beaucoup. Du coup, quand j’ai reçu son coup de fil, les choses se sont faites très simplement.

Comme le montre notamment votre double album Heads and Tails, vous êtes attiré par la musique acoustique comme l’électrique…

Alex : Absolument, j’aime la musique d’une manière générale, même les productions de hip hop, de funk ou de soul, la musique de film ou la musique pour orchestre symphonique, j’ai, par exemple, enregistré avec l’orchestre symphonique de Mexico. Tout ce que je peux toucher, je touche, dans la mesure de mes moyens. J’aime vraiment l’ouverture. Plus c’est ouvert, plus le champ des possibles est grand et plus ça me plaît. C’est pour cela que ce projet avec Igor me plaît : tout le monde a une culture jazz, est capable d’improviser sur des standards, mais aussi de s’aventurer sur d’autres territoires. C’est très agréable d’avoir des musiciens qui ne sont pas bornés systématiquement à vouloir absolument respecter un style donné. Là, c’est un plaisir. Viktor Nyberg,  qui joue dans mon groupe actuel, au sein duquel on joue vraiment du hard bop pur et dur, dans la lignée du Marsalis des années ’80, se retrouve dans ce groupe avec Igor, qui sait jouer des standards mais peut avoir une approche plus onirique, plus romantique. Moi, je me trouve dans la même configuration que lui, j’aime autant jouer du jazz très physique, très axé sur le tempo, sur l’énergie, que de jouer de la musique comme celle qu’on met en place aujourd’hui et qui fait appel autant au cœur qu’au physique, à l’intellect, à l’espace : c’est un projet qui me ravit.

Avais-tu écouté plusieurs disques d’Alex ?

Igor : Oui, surtout les derniers, Heads and Tails et Serenity, et puis je l’ai entendu avec Stéphane Huchard. Ses projets, c’est vraiment une musique qui me parle. J’ai senti tout de suite qu’il y avait un truc qui pouvait marcher directement, ce qui s’est vérifié par la suite.

Comment as-tu découvert le contrebassiste suédois Viktor Nyberg ?

Igor : Je l’ai vu au festival Jazz à Liège, avec Pierrick Pédron,  il y a trois ans, dans son projet Monk en trio. J’ai vraiment flashé sur ce gars qui a un « time » confortable, qui swingue et groove terriblement, tout en restant vraiment à l’écoute. Il a un son acoustique que j’aime beaucoup. Il n’a pas besoin d’être beaucoup amplifié. Il a réellement un gros son.

Il a un jeu assez différent de celui de Philippe Aerts, qui a un côté très mélodique, là où Viktor Nyberg assure plutôt un rythme soutenu…

Igor : En fait, Viktor peut faire les deux. Je beaucoup travaillé avec Philippe Aerts, compagnon idéal pour un trio, mais il partait en Inde. Ce nouveau projet correspond à un timing bien précis, qui m’arrangeait bien. Comme on est en quartet, on doit pousser davantage qu’en trio, mais il y a quand même des moments où, comme Alex le dit, il y a vraiment beaucoup d’espace et Viktor sait aussi bien jouer des trucs très swingants, avec un gros son et puis, être très délicat, choisir ses notes avec parcimonie et être vraiment dans la musique.

A la batterie, on retrouve Jérôme Klein…

Igor : Jérôme est un vieil ami, on se connaît depuis un beau bout de temps, je l’ai rencontré au Conservatoire. C’est un musicien avec lequel j’appréciais de jouer. On avait déjà joué deux ou trois fois ensemble : son jeu de batterie est très groovy, il envoie de la puissance à la musique, il a un peu le même profil que Viktor, il est tout terrain.

Alex : Il a une dimension très musicale : il joue aussi du clavier, il entend beaucoup l’harmonie. Je ne le connais que depuis deux jours mais, à mon sens, il fait partie de ces batteurs qui savent quand il faut jouer de manière vraiment rythmique et quand il faut, entre guillemets, faire de la peinture, quand on attend qu’il y ait de l’espace. C’est une très belle équipe qu’Igor a montée, c’est des gars très ouverts.

Jérôme, tu l’avais notamment croisé en quartet avec Toine Thys…

Igor : Oui, on avait fait un « one shot » sur la Péniche à Liège : on essayait des choses. Toute cette réflexion sur le quartet remonte à il y a deux ans et surtout un an, depuis que le projet se précise vraiment. J’ai cela en tête tous les jours, je m’endors en pensant aux morceaux que j’ai écrits. Le plus important était de connaître le line up, les musiciens avec lesquels j’allais jouer, pour écrire en fonction d’eux. Il y a eu beaucoup de réflexion sur la manière de composer, en gardant cette idée que je joue avec Alex, Viktor et Jérôme. C’est un long processus. L’idée d’un quartet a émergé lorsque j’ai joué avec Toine. J’ai essayé plusieurs formules mais je crois que j’ai trouvé l’équipe parfaite et, humainement, ça fonctionne bien : on aurait aucun problème à partir en tournée ensemble, on peut faire la fête ensemble.

Tu enregistres un nouveau répertoire ?

Igor : Oui, pour le moment, j’ai écrit sept compositions, Alex, Viktor et Jérôme en ont composé une chacun. On verra ce que l’on mettra sur l’album. Il faudra, malheureusement, faire des choix, ne fût-ce qu’au niveau de la durée, sinon, personnellement, je mettrais tout.

Ici, Alex, on vous a entendu uniquement au bugle…

Alex : Oui mais je joue parfois de la trompette. Je la travaille beaucoup, mais le bugle est mon instrument de prédilection, en le faisant sonner comme je voudrais le faire avec une trompette. A un moment, je ferai le lien entre les deux.

Vous utilisez quelques effets qui font un peu penser à Paolo Fresu…

Alex : Je les utilise parfois beaucoup, ça dépend des projets. Celui d’Igor est intéressant parce qu’il peut laisser de la place. Là, je n’avais amené qu’une partie de mon matériel, parce que c’est facile à installer. Paolo utilise effectivement très bien ces effets. C’est assez rare les groupes acoustiques actuels dans lesquels on peut se permettre d’utiliser ces effets. C’est à mi-chemin entre deux styles, sans être de la musique groove ou funk. Il y a ces composantes dans le quartet, c’est un mélange entre jazz, swing, groove et romantisme, ce qui laisse beaucoup d’espace pour ces effets, sans avoir fatalement une pédale wa-wa, comme Miles, dans les années ’70. Les effets permettent d’avoir de la largeur, de l’espace, des ambiances mais il faudra qu’on se pose la question de savoir bien les utiliser.

Sur l’album, il y aura des claviers électriques ?

Igor : Oui, Jérôme est aussi pianiste, c’est pour cela qu’il est intéressant de l’avoir dans cette équipe. Il sait donc jouer du clavier et, comme il y a beaucoup d’espace, je voulais donner des atmosphères très planantes et l’apport du synthé, qu’il fait de manière très discrète, pour créer des ambiances, un soutenu harmonique, en-dessous du piano, peut être intéressante. C’est un travail auquel on va  s’attacher pendant l’enregistrement, pour savoir comment bien faire sonner cet apport du synthé.

Alex, dans votre discographie, il y a beaucoup d’enregistrements avec le saxophoniste Guillaume Naturel…

Alex : Oui, et je continue à travailler avec Guillaume. Je joue avec lui depuis 1999 et on a eu un groupe plus électro, avec DJ Cam, et, pour le moment, on joue avec le comédien Jacques Gamblin, dans le spectacle « Ce que le djazz a fait à ma jambe ». Guillaume, c’est la seconde moitié de moi-même : on se connaît vraiment bien et on a fait aussi un gros travail de producteur, comme Daniel Romeo ou Eric Legnini : des titres de hip hop, de nu-soul, des musiques à l’avant-garde dans les années 2000, des albums avec lesquels on a eu des prix, comme les Victoires de la Musique ou le UK Hip Hop Award, pour l’album Soulshine, avec DJ Cam et Cameo. C’est d’ailleurs drôle de se retrouver avec Igor par l’intermédiaire de Daniel : Igor est un ancien élève d’Eric.

(c) Roger Vantilt

Igor, tu as eu pas mal de dates : Marni, Nandrin, Dinant avec le quartet et puis, à Liège, dans des configurations différentes…

Igor : Oui, je suis venu au Château du Waroux, à l’invitation du Centre Culturel d’Ans, en compagnie de Nicolas Kummert, avec qui j’ai eu l’occasion de partir au Brésil cette année, pour une tournée : on avait monté un répertoire en duo. Puis, en décembre, on a joué avec le quartet à la Salle Académique de l’Université de Liège. On a  joué aussi, le 3 décembre, à Charleroi, au Palais des Beaux-Arts. L’album sortira en mars prochain et on a déjà deux dates, une à l’Ancienne Belgique, le 11 mars et puis, le 17, à Sprimont.

IGOR GEHENOT ON TOUR