Inimitable Lol Coxhill, la voix du spectral soprano.

Inimitable Lol Coxhill, la voix du spectral soprano.

Tristes nouvelles…

Affiche Inaudible

Lol Coxhilll a joué voici quelques mois à Bruxelles avec Max Eastley et Steve Beresford aux Ateliers Claus. Notre ami commun, Veryan Weston, vient de m’informer que Lol Coxhill, âgé de 79 ans, est hospitalisé depuis quelques semaines dans un triste état. Il semble cependant que sa forte constitution prenne le dessus au moment où je relis ces lignes. Atteint d’une affection rare qui a mis du temps à être diagnostiquée, il a de sérieux problèmes pour conserver ses repères dans la vie quotidienne. Inutile de vous dire qu’il en souffre, car sa conscience est toujours aussi vive. Sa compagne Ulrike a dû interrompre une bonne partie de ses activités professionnelles, sa présence étant devenue  indispensable. Il a obtenu l’aide du Musician’s Benevolent Fund, car ne jouant plus, il n’a donc plus de revenus. Veryan et Steve Beresford, deux parmi ses plus fidèles amis et collaborateurs depuis les années 1970, m’informent que la situation évolue positivement.

Fin 2001, Lol Coxhill eût déjà une sérieuse alerte et, contre toute attente, il se produisit en Belgique quelques jours après sa sortie d’hôpital dans un projet mémorable. Il est arrivé et est reparti le même jour, car sa situation était critique. Après le concert, il était complètement épuisé et inquiet. En 2006, il n’avait pu rejoindre son camarade Michel Doneda dans une tournée qui fût annulée et dont je fus le seul organisateur à maintenir la tenue du concert. Paul Lytton l’a remplacé à la dernière minute. Un des motifs de cette décision le fut par honneur et respect pour Lol Coxhill, un des artistes les plus profondément sincères du monde de la musique. Savoir que le concert était annulé, l’aurait encore mis plus mal à l’aise : the show must go on. Le public fût enchanté ! Veryan Weston m’expliqua que c’est très dur pour Lol Coxhill de refuser un gig, même le plus insignifiant, et cela même s’il a un grave problème de santé. A croire qu’il préfèrerait mourir sur scène. En effet, il faut savoir que Lol Coxhill est un artiste aussi légendaire que timide, et pas (très) entreprenant question business, même s’il parvenait à vivre de son art. Alors que ses collègues et des organisateurs l’invitent souvent à jouer dans son pays et à l’étranger, son statut de légende vivante ne le perturbe pas le moins du monde. Il semble le musicien le plus accommodant qui existe et pas prétentieux pour un sou. D’une simplicité à toute épreuve !

Lol Coxhill est le sommet du sax soprano comme ses deux amis Steve Lacy et Evan Parker dont il est le fan le plus inconditionnel. Il disait combien il aimait leur enregistrement en trio, « Three blokes », un sommet de sa vie musicale (FMP CD63 1992). Les trois sopranistes, Lacy, Parker et Coxhill y croisent leurs voix au point qu’il est difficile de les distinguer l’un de l’autre. Lol Coxhill lui accorde une grande importance surtout parce qu’il y fait des efforts démesurés pour s’inventer une surprise par rapport à sa « routine ». Evan Parker m’a déclaré avoir été marqué par ses concerts solos de saxophone dont il est le premier initiateur dans la scène du jazz contemporain avant Braxton (1968), Lacy (1972), Larry Stabbins (1973) et Parker lui-même (1975). Il y a été contraint dès le début des années 60, car, à cours d’argent, il faisait la manche dans la rue. Un de mes amis l’a croisé soufflant sur un trottoir près de Beaubourg, il y a une trentaine d’années. Aussi, bien avant le développement de la scène improvisée, Lol Coxhill expérimentait avec son saxophone et collaborait spontanément avec des poètes, des performers, des acteurs de façon complètement souterraine et informelle. On célèbre aujourd’hui le trio Joseph Holbrooke de Derek Bailey et Tony Oxley (64-67), la genèse d’AMM (1965), les beaux jours du Little Theatre Club et les moindres faits et gestes de Sun Ra à Chicago dès les années 50. Mon ami Massimo Ricci attire l’attention sur les haut faits précoces d’Alfred 23 Harth (à 17 ans). Je n’ai jamais rien lu à propos des premiers pas de Lol Coxhill dans l’expérimentation sonore : je vous promets d’investiguer.

On imagine mal que derrière un humour parfois délirant et le refus de mettre en scène sa musique avec des compositions, un discours esthétique, une attitude d’artiste « intéressant qui a quelque chose à dire », se cache un musicien exceptionnel. Quand il échauffe son instrument avant un concert, on croit entendre la sonorité la plus diaphane et classique possible, à la Dave Liebman ou un son aussi expressif que celui d’un Bechet. Son style en glissandi microtonaux permanents (quasi sur chaque note) est véritablement délibéré. Jouer avec un timbre aussi « chargé » et autant de glissements aussi précis par rapport aux intervalles tempérés dans toutes les gammes en gardant le contrôle du son tout en restant spontané, en bref souffler aussi faussement “faux” comme il le fait, est vraiment très, très difficile.

Label NATO

Coxhill a une oreille absolue et est capable d’adapter son jeu exactement sur toutes les variations d’hauteur même les plus infimes quant elles sont dues à un mauvais accordage, à une température glaciale ou à une acoustique capricieuse. Bien qu’il baigne avant tout dans la musique populaire et que ses connaissances sont avant tout basées sur son expérience, c’est un saxophoniste et un musicien de l’envergure d’un Steve Lacy et aussi original que lui par rapport à la tradition du jazz. Avec la seule différence, c’est que Lol n’a pas eu l’occasion de faire son expérience avec les géants de la scène New Yorkaise. Steve a côtoyé et joué avec Sonny Rollins, Thelonious Monk, Cecil Taylor, Mal Waldron, Gil Evans, Ornette, Cherry, Rex Stewart, Elvin Jones, Henry Grimes, Billy Higgins, Wayne Shorter etc… Lol Coxhill a joué dans un pick-up band accompagnant Rufus Thomas, un chanteur de soul music en tournée en Grande Bretagne et des gens comme Alexis Korner. Rufus Thomas ne s’en souvient même pas. Il était aussi un familier du légendaire Joe Harriott, ce saxophoniste jamaïcain qui jouait « avant-garde » avant qu’on ait entendu parler d’Ornette Coleman. Son approche mélodique dérive des biguines et des calypsos antillais, musiques qu’il a pratiquées avec de musiciens jamaïcains de Londres. Sa sonorité et ses inflexions font rêver à un air de biguine disséqué par un peintre expressionniste. La scène New Yorkaise nous a fait découvrir Joe Maneri, comme étant un prodige « microtonal » méconnu durant toute sa vie. C’est en effet un clarinettiste très original, mais au saxophone il ne tient pas du tout la comparaison avec notre britannique. Aucun saxophoniste aussi « abstrait » n’arrive à faire « chanter » ainsi ses sons extrêmes et ces aigus difficiles à émettre et qui émaillent ses improvisations comme les cailloux blancs du Petit Poucet.

Alors qu’il s’est fait connaître avec Kevin Ayers et le groupe Delivery et qu’il est lié à la scène de Canterbury (Wyatt, Soft Machine, Caravan etc..), ces références ne l’ont pas vraiment aidé à s’imposer internationalement comme Brötzmann ou Gustafsson. C’est pourquoi la récente initiative du label Nato, ce beau cédé en trio avec JT Bates et Barre Phillips, “The Rock on the Hill”, vient à point pour mettre en évidence l’universalité de cet artiste attachant. Nato et Jean Rochard ont publié des 17 cm des Melody Four (Coxhill, Tony Coe et Steve Beresford) avec des standards les plus improbables du répertoire réunis sous des thématiques farfelues. Car Lol Coxhill, pouvait chanter n’importe quelle chanson du répertoire des Rodgers, Cole Porter, Irving Berlin etc… en survolant la partition d’un coup d’oeil avec une belle voix aussi assurée qu’un Tony Bennett ou un Sinatra (au point de vue technique). Comme acteur, Coxhill est absolument incroyable, il aurait pu faire une carrière au théâtre ou au cinéma. Jadis, un 33 tours 17 cm est paru où on l’entend jouer tous les rôles d’un thriller de série Z (Murder in the Air). Il n’y a aucun saxophoniste continental européen qui peut lui être comparé, même si un Breuker était un solide client et Brötzmann est un artiste absolument original.  La plupart de ses confrères sont des amateurs à côté de ce type. Lol Coxhill, quoi qu’il joue, projette sa personnalité unique, que ce soit du jazz swing, de la variété, avec Kevin Ayers, Robert Wyatt ou Rico Rodriguez, avec les Damned, Derek Bailey ou dans ses duos récents souvent aussi abrupts que l’était Evan Parker au milieu des années 70. Boundless /Emanem avec le pianiste Veryan Weston ou son duo avec Stevie Wishart (violon et vièle à roue) dans Alone & Together en sont de bons exemples. Très peu de saxophonistes ont une voix aussi originale et aussi personnelle et de ce point de vue il partage cette caractéristique avec Steve Lacy, Ornette Coleman, Roscoe Mitchell, Gerry Mulligan, Sonny Rollins ou Lester Young : on le reconnaît indubitablement dès les premières secondes, quoi qu’il joue. Au blindfold test, ceux qui ont un peu écouté reconnaissent de suite Coltrane ou Evan Parker. Même les plus grands spécialistes hésitent souvent à distinguer la plupart de leurs confrères, même un Charlie Rouse chez Monk ou un solo de ténor de Roland Kirk sans ses stritch et manzello.

Mais sans doute les critiques « sérieux », ceux qui accordent de l’importance avant tout aux artistes « sérieux », ceux qui véhiculent une image culturelle et un profil d’innovateur indiscutable (comme Lacy, Bill Dixon, Cecil Taylor, Braxton, AMM), se méfient-ils de ce comédien ingénu. Son concert solo à l’Unity Theatre était entièrement constitué d’entrées en scène et de faux départs devant un public qui se tenaient les côtes de rire. Un artiste qui fit longtemps équipe avec le musicien le plus provocant de la scène londonienne, Hugh Metcalfe, guitariste « sommaire » (Bobby Lapointe) et excentrique agitateur du Klinker Club. Tous deux remettent les pendules à l’heure au sein de Birdyak avec le poète sonore Bob Cobbing. Raconte-t-il ses débuts musicaux, il relate son premier gig d’enfant dans son jardin, quand il fit fuir les voisins invités avec une installation de percussions d’avant- garde suspendue au fil à linge. Aussi son prénom est Lowen : LOL sont les initiales de Lots Of Love, expression utilisée sur les cartes postales adressées aux amis et à la famille. Ce surnom lui a été attribué dès l’enfance car son amabilité désarmante faisait le bonheur des enfants du quartier. Un jour, alors qu’il était en compagnie de Veryan Weston, il dût choisir sa place dans des lits superposés : celui du haut ou celui du bas. La réponse fut immédiate : “I sleep in the bed UP because my father was in the Navy “. Le père de Veryan, lui, s’est distingué héroïquement dans l’armée de terre lors de la 2eme guerre mondiale.

FMP LABEL

Il lui est impossible de parler de lui-même, de ses projets, de sa carrière, sauf par allusion à des anecdotes étonnantes. Il disait simplement le bonheur qu’il avait à jouer avec un de ses musiciens ou amis préférés. De même, Lol Coxhill a horreur d’imposer sa virtuosité. Certains artistes la condamnent…. parfois parce qu’ils ont des lacunes… Lui, vraiment, il se refuse à en mettre plein la vue, si cela ne cadre pas avec l’aspect émotionnel et le sensible que lui dicte le moment présent. Pour s’exprimer, il savait prendre son temps ou nous surprendre sans crier gare. Alors qu’il reconnaît avoir eu du mal à se détacher du contexte mélodique et d’une approche « jammeuse » de l’impro liée à la tradition du jazz, c’est sur le tard que son propos se radicalisera comme le témoignent ses récents cédés pour Emanem. Il faut faire aussi une mention spéciale à ses disques nato tels les superbes Dunois Solos, Chantenay 80 avec Raymond Boni et Maurice Horsthuys et Café de la Place où on l’entend avec l’accordéoniste Mike Adcock, sans oublier Lid, un concert solo de 1978 publié par Andrea Centazzo sur son label Ictus, et les French Gigs en duo avec Fred Frith (AAYA). Sans l’insistance de Jean Rochard et son label nato, l’activité de Lol Coxhill aurait été mal documentée. Martin Davison, le boss d’Emanem, a l’entière confiance de Lol Coxhill, que le projet soit initié par Coxhill lui-même ou par Davidson. C’est pourquoi on y trouve une mine “coxhillienne” indispensable des années 1990 et 2000 et qui couronne toute sa carrière.

Jean-Michel Van Schouwburg  http://orynx-improvandsounds.blogspot.com/

 

Lol Coxhill filmed by Helen Petts at her house in London on the 19th February 2011