Jazz in Istanbul, chroniques stambouliotes.

En guise d’apéritif, et dans le cadre du développement européen à partir des sites de http://www.citizenjazz.com et de JazzaroundPress, nous publions ici la première partie d’un “carnet de bord” de Raphaëlle T. et Alix de Cazotte, membres de l’équipe de rédacteurs du webzine le plus “visité” de France et de Navarre ! Témoins privilégiées de la dix-huitième édition du festival international de jazz d’Istanbul, Raphaëlle et Alix proposent de partager leurs expériences en plusieurs épisodes. Nous prolongerons donc cette passerelle par la mise en ligne d’extraits de chaque partie.

Atterrissage rapide, sans fioritures. Le rapide survol de la ville confirme les couleurs rêvées rouge et or — la pollution en plus. Les valises crissent sur le sol des couloirs de l’aéroport. Une grande et sulfureuse blonde sur papier glacé au jean doté semble-t-il d’un pouvoir de séduction dont nous, pauvres mortels, sommes cruellement dépourvus, nous indique le chemin vers la douane, aussitôt suivie par une somptueuse créature aux bijoux étincelants, à la peau mate et au regard noir, coiffée d’un riche voile multicolore. Ces deux publicités juxtaposées révèlent d’emblée tout le suc de la ville : ici, on aperçoit parfois deux jeunes femmes se promener bras dessus bras dessous, l’une en robe légère, l’autre voilée et habillée de la tête aux pieds. Ici, on aperçoit surtout des contrastes par milliers. Bienvenue à Istanbul.

Istanbul Jazz Festival 2011

 

À la fois byzantine et ottomane, à l’image de Sainte-Sophie où les écritures arabes cohabitent avec les mosaïques chrétiennes, Istanbul abrite tout et son contraire. Entre les mille mosquées se glissent nombre d’églises grecques et arméniennes, logées dans les interstices noueux de souriants pavés, lesquels sont autant de terrasses improvisées où circulent rakı [1], mezze [2], dolmas [3] et autres baklavas [4]… Istanbul, écrin d’un rêve rouge et or aux parfums éthérés, entre danses lascives et musiques bigarrées ? Que nenni ! Lorsqu’on s’arrache au spectacle de la forêt de minarets pour reporter son regard sur le bitume brûlant, une mer labyrinthique d’étals de poissons, d’épices, de chaussures, de jouets, de poubelles renversées, de troquets étriqués, de voitures klaxonnantes, d’amuseurs escrocs, de sourcils froncés et de thés fumants s’étend à l’infini. Ici ça pue, ça hurle, ça rit, bref, ça vit. Souvent, un oud, une zurna ou une clarinette se joignent à la fête.

En turc, jazz, c’est « caz ». L’« Istanbul Caz Festival » est placardé sur tous les murs de la ville. L’affiche représente un cœur composé d’une multitude d’instruments de musique ; sur écran, il bat la mesure. Il s’agit du plus important festival de jazz annuel de la région avec l’Akbank Caz Festival, qui a lieu en octobre. Comme le Rock’n Coke festival (le Rock en Seine local), il porte les couleurs de ses sponsors. La programmation — en est-ce une conséquence ? — est plutôt grand public : Jamie Cullum et Diane Reeves partagent ses nombreuses scènes avec Lizz Wright ou Herbie Hancock, mais aussi Joss StoneJavier Limon et Paul Simon. Jazz, rock, pop, musique du monde…

Jamie Cullum

tout y passe. Le mois de juillet est ainsi rythmé par les concerts, dont la plupart ont lieu sur la rive européenne de la ville : dans la rue, au Harbiye Cemil Topuzlu Open Air Theatre, immense amphithéâtre non loin du centre, à côté du musée d’art contemporain installé le long du Bosphore, l’Istanbul Modern, ou encore au salon IKSV, situé au rez-de-chaussée de l’immeuble de la Fondation d’Istanbul pour la Culture et les Arts ou İstanbul Kültür Sanat Vakfı, qui domine la Corne d’Or. Celui-ci se transforme pour l’occasion en « Avrupa Caz Kulübü », c’est-à-dire « club de jazz européen » : chaque groupe – turc – s’y produit avec un invité de marque, tel Ibrahim Maalouf ou Stefano Di Battista.
Mais, à côté de l’institution, de nombreuses fourmis travaillent à construire une musique moins étiquetée et moins étiquetable, qui va de l’improvisation au rock indépendant en passant par ce qu’İlhan Erşahin appelle l’« indie jazz ».

Panorama en sept chapitres de la scène jazzistique stambouliote :

1 – Le Nardis Jazz Club
2 – Le Spiral Quartet
3 – L’Istanbul Jazz Festival
4 – İlhan Erşahin et Nublu
5 – Entretien avec Arto Tunçboyacıyan
6 – Umut Çağlar et konstruKt
7 – Entretien avec Oğuz Büyükberber.

 

Nardis Jazz Club

 

C’est au Nardis, incontournable club de jazz de la capitale culturelle de la Turquie, que s’est produit pour l’ouverture de l’Istanbul Jazz Festival le Spiral Quartet de Philippe Poussard, un Français qui aime les turqueries. Jazz, world, improvisation libre ? Si on trouve un peu de tout au programme du festival, au Nardis, c’est le jazz, rien que le jazz, tout le jazz. À quelques rues de là, au Babylon, les frontières des genres sont plus souples. Mixité, hybridité, échange : voici les maîtres mots des grands compositeurs de l’instant que sont İlhan Erşahin et Arto Tunçboyacıyan. Le premier, né en Suède et installé à New York, mélange dub, électro et jazz grâce à ses claviers et à son saxophone ; le second, multi-instrumentiste, chante d’une voix venue du fond des âges, empreinte de l’histoire de son pays, l’Arménie. Chez Umut Çağlar, le parti pris est encore plus radical : la musique sera libre ou ne sera pas. Fondateur du label re:konstruKt, le guitariste brosse en quelques mots le portrait de la scène turque la plus improvisée. Enfin, nous avons demandé à Oğuz Büyükberber de faire la synthèse d’un paysage aussi riche que contrasté : évoquant son propre parcours, ce clarinettiste, qui peut se retrouver aussi bien à l’affiche du Nardis que sur un disque re:konstruKt, nous parle de son pays, et, bien sûr, de sa musique.


Quelques indications phonétiques simples et utiles à la lecture de ces chroniques :

  • le « ı » de « rakı » se prononce « eu »
  • « u » se prononce « ou » et « ü » se prononce « u »
  • « İlhan Erşahin » se prononce « Ilhane Erchaïne » (« ş » se dit « ch »)
  • « Arto Tunçboyacıyan » se prononce « Arto Tounchboyadjian »
  • « Umut Çağlar » se prononce « Oumoute Tchalar » (la lettre « ğ » ne se prononce pas).

[1] Alcool fort qui ressemble au pastis et se boit dilué.

[2] Assortiment d’apéritifs, à la manière des antipastis italiens.

[3] Feuilles de vignes farcies au riz.

[4] Pâtisseries feuilletées, souvent au miel ou à la pistache.

Raphaëlle T. & Alix de Cazotte