Jazz Ladies, The Singing Pianists 1926-1961

Jazz Ladies, The Singing Pianists 1926-1961

Frémeaux et Associés – Catalogue : FA5776

Voici un coffret de 3 albums avec 76 faces et un livret bien détaillé – sous la plume avisée de J.P. Ricard et Jean Buzelin – qui promet pas mal de plaisir d’écoute à ses acquéreurs. Il illustre le parcours difficile, quasi surhumain, des femmes dans le milieu super-machiste du jazz, du blues, du gospel et du R&B ! Des obstacles insurmontables ont jalonné le chemin des femmes instrumentistes (pianos, trompettes, saxophones, trombones, guitares, drums…) dans leur volonté d’intégrer des orchestres existants, d’en fonder elles-mêmes, ou simplement de démontrer qu’elles étaient tout aussi à la hauteur que les hommes dans leur domaine. Ce sont les chanteuses-pianistes qui ont ouvert la voie, non sans mal ! Honte à vous messieurs ! Les albums de ce coffret montrent à quel point les talents féminins foisonnaient, que ce soit avant ou après la 2è guerre mondiale.

Le premier album couvre la période 1926-1961 avec une seule face de 1926, un superbe « It’s All Right Now » d’Arizona Dranes, une chanteuse aveugle de Dallas, pianiste de gospel inspirée par le ragtime et le boogie. Puis on a des faces de 1935 à 1961, dont 4 faces musclées de Cleo Brown en 1935, 2 faces de Lil Armstrong (dont une de 1938 et un bluesy « Clip Joint » de 1961), 4 faces d’Una Mae Carlisle, dont un remarquable « I’m a Good Good Woman » (avec Ray Nance tp) et l’humoristique « Papa’s In Bed With His Britches On » (avec Al Casey, gt). On a aussi 5 faces de Julia Lee, dont un mémorable « Gotta Gimme Watcha’ Got » qui casse la baraque, et un beau solo (vo,p) sur « Nobody Knows You »…  Suivent 2 faces de Paula Watson avec Tiny Webb (gt) et 4 faces de Camille Howard avec Roy Milton. On a aussi d’autres faces Gospel avec Mme Ira Mae Littlejohn (l’inspiré « I Want to See Jesus », 1947), Clara Ward en grande forme (« Blessed Assuranced » 1959) et 2 faces émouvantes d’Aretha Franklin à ses débuts en 1956 (« While the Blood Runs Warm » et « Yield Not to Temptation »). Une belle sélection de 26 faces dont beaucoup sont rarement disponibles.

Le CD 2 couvre la période 1930-1961, il est plus jazzy mais pas que, avec 5 faces de Martha Davis dont un beau « Kitchen Blues » (1947) et 5 faces de Nelly Lutcher dont la voix acidulée de petite fille espiègle avait beaucoup de succès dans les années 50. Elle nous offre ici, entre autres, un « Hurry On Down » (1947) qui déménage. Rose Murphy aussi avait une voix mutine de gamine effrontée, favorisant gazouillis et onomatopées. Elle figure ici avec 4 faces dont ses 2 plus grands succès commerciaux en club et en disque, le désopilant « Busy Line » et « I Wanna Be Loved By You ». Au fait,« Frantic » Fay Thomas rejoint le club avec ses bruits de bouche et sa gouaille dans un très bluesy « I Lost My Sugar in Salt Lake City » (1949). De LaVergne Smith, on ne connaît pas grand-chose si ce n’est qu’elle est native de la Nouvelle Orleans. Elle se produisait dans les clubs du Quartier Français dans les années 40 et 50, notamment à l’Absinthe House, avec un répertoire intimiste proche du blues, comme le montrent ses 2 faces de 1954 reprises ici : « Blues in the Night » et « One for the Road ». Cerise sur le gâteau, Hadda Brooks est là aussi avec 2 slow blues de 1946-47 bien mis en valeur par le guitariste Teddy Bunn : « That’s My Desire » et « Trust in Me ». Côté « Blues Roots », Louise Johnson brille dans le syncopé « On the Wall » (1930), Kansas City Kitty est convaincante dans « Double Trouble Blues » (1934) de même que Victoria Spivey dans « That Man » (1961), sans oublier Georgia White pour 2 titres.

Le CD3 revisite la période 1944-1961 avec des pointures comme Nina Simone sur 5 faces (1957-61), dont une version swingante du « Mood Indigo » de D.Ellington, le pétillant « Love Me Or Leave Me » up-tempo, etc… Jazz avec Marguerite « Blossom » Dearie, qui fut un temps l’épouse de Bobby Jaspar. Elle est présente avec 5 faces, toutes avec Ray Brown (bs), dont « Plus je t’embrasse » (1957) et un « Someone to Watch Over Me » (1959) en slow avec Kenny Burrell (gt). Jazz encore avec le Jeri Southern Trio (2 faces, 1955), avec Audrey Morris (2 faces,1955) et Shirley Horn (5 titres,1960 et 1961). Et pour conclure, les « Boogie-Woogie Roots » avec Christine Chapman, dans un « Bootin’ the Boogie » (1944) décapant, Lillette Thomas avec « Boogie Woogie Time Down South » (1946) et Madona Martin avec « Madonna’s Boogie » (1949) qui sont dans la même veine festive, voire endiablée. Quant aux 2 faces de Katie Webster qui mettent un terme en fanfare à ce 3è volet du coffret, elles laissent un goût de trop peu : « Baby Come On » (1960) et « The Katy Lee » (1961).

Robert Sacre