Jazz pour ne pas perdre le Nord

Jazz pour ne pas perdre le Nord

Quelques sorties récentes qui nous éclairent sur la richesse du jazz scandinave.

Anne Efternoler & Lige Born
Hobby Horse Records

La trompettiste Anne Efternoler est une des figures les plus connues de la musique improvisée des pays scandinaves, mais aussi réputée pour sa tendance à défier l’impossible… Formule vers laquelle elle tend dans son premier album intitulé « Anne Efternoler & Lige Born » avec un quartet sans doute inédit composé de sa trompette et de trois contrebassistes et non des moindres : Thomas Morgan souvent entendu aux côtés de Bill Frisell, le Danois Anders Christensen qu’on a vu récemment aux côtés de Jakob Bro et Brian Blade à Flagey, et aussi partenaire de Joe Lovano ou Tom Harrell, et Richard Andersson qui a enregistré avec Tony Malaby et Jerry Bergonzi. Voilà bien le genre de line-up où on s’attend à ce que ces trois-là se marchent sur les pieds… Et bien détrompez-vous, voici un des disques les plus fascinants qui m’ait été donné d’écouter cet hiver ! « J’aime comment, en art, on peut rejeter toutes les conventions, même les lois de la nature et décider juste que c’est possible ! C’est tellement libératoire ! » dit la trompettiste. Composé d’improvisations libres qui explorent l’espace, la pulsation, l’élan, la respiration et les textures, la musique de Anne Efternoler dégage une sérénité peu commune et une personnalité très forte dans l’écriture des parties composées. Quant aux contrebassistes, ils se partagent en équilibre l’espace avec élégance et finesse. Un disque qu’on dépose sur son lecteur avec curiosité et qu’on a du mal à remettre dans sa (jolie) pochette.

Jacob Roved Quintet
Dawn
AMP Music & Records

Plus classique, mais tout aussi intéressante est la découverte du quintet du batteur danois Jacob Roved sur l’album « Dawn ». Roved avait déjà sorti en 2015 un album hommage à Billy Strayhorn, avec lequel il avait tourné dans les pays scandinaves et en France. Quatre musiciens danois ici, avec Thomas Fryland à la trompette et au bugle, Rasmus Ehlers Nielsen au piano et Jesper Bodilsen à la contrebasse (qu’on a notamment entendu dans le trio de Stefano Bollani sur « Mi Ritorno in Mente »). Et puis un quatrième larron bien connu chez nous pour ses nombreux enregistrements, notamment avec l’ACT Big Band, le trio de Philippe Aerts ou celui de Frank Vaganée et plus loin « No Maybe » avec Richard Rousselet. On apprécie particulièrement ses interventions en finesse à la clarinette. Car cet album est un moment délicat au titre judicieux : entre le moment du rêve et de l’éveil. « Dawn » est un beau moment entre le rêve et la réalité, sur une pulsion lente et harmonieuse : « Breeze », « Shadow Motion », « Prelude » et le final « A Short Moment » dessinent parfaitement les contours d’une musique atmosphérique très agréable à écouter.

Katu Kaiku
Broken Piece
Eclipse Music / Xango Music

Katu Kaiku est un trio finlandais fondé en 2013 et qui en est à son troisième album intitulé « Broken Piece ». Composé de Adele Sauros aux sax ténor et soprano, de Mikael Saastamoinen à la basse électrique et Erik Fräki à la batterie, le trio est passé d’une période acoustique à ses débuts à un deuxième album plus électrique « Broken Piece » serait bien un mix de ces deux périodes avec une basse aux accents souvent groovy et un sax qui se confine dans un style plus acoustique et constamment tourné vers la mélodie, le batteur dessinant discrètement l’atmosphère de beaucoup de thèmes. La musique de « Katu Kaiku », entièrement composée par la saxophoniste et le bassiste, est comparée à celle du « Cinematic Orchestra » en version réduite. Le côté imagé de la musique est en effet réellement prenant et efficace.

Sofia Perhomaa
Tempujja
Eclipse Music / Xango Music

On reprochera parfois à nos chanteuses de ne pas s’exprimer en français. Sofia Perhomaa, elle, chante en finnois, et il faut bien le reconnaître, on aurait aimé comprendre les textes… Alors, vive l’anglais ! La chanteuse finlandaise sort un premier album avec neuf compositions personnelles, plutôt classiques avec un côté plus pop que jazz et un quintet d’où ressort surtout le guitariste Otto Porkkala. L’album s’ouvre sur un titre bluesy, une ambiance qu’on retrouvera sur presque tout l’album. Il y a un penchant Diana Krall sur certains titres comme le deuxième « Piikatyttö Kuuraa » qui fait penser au « Temptation » de l’album « The Girl in the Other Room ». Jolis passages au clavier électrique de Ida Alanen, mais on se situe dans l’ensemble dans de la variété d’honnête qualité.

Titoks
Gypsy Jazz
Autoproduction

Formé en 2016 en trio, « Titoks » est le tout premier groupe de jazz estonien à se consacrer à la musique de Reinhardt-Grappelli. De trio, le groupe est devenu quartet pour cet album : violon, deux guitares et contrebasse. Le programme est essentiellement tourné vers celui du Hot Club de France : « Nuages », bien sûr, mais aussi des titres moins rabâchés comme « Eveline » de Grappelli ou « Django’s Tiger » et « My Sweet » de Reinhardt, mais aussi des ouvertures vers Bireli Lagrene avec « Made in France » ou quelques écarts avec « Choro Blues » de Ainar Toit et « Charleston » de James Johnson. C’est plutôt virtuose et agréable à écouter et, pour les avoir vus en live, ça vous chauffe une salle en quelques minutes.

Jean-Pierre Goffin