Jazz!Brugge 2014, le triathlon !

Jazz!Brugge 2014, le triathlon !

Jazz Brugge 2-5 octobre: une forme de triathlon.

(c) Sarah Bauwens

Jazz Brugge présente une réelle spécificité dans le paysage des festivals belges : une manifestation bisannuelle entièrement consacrée aux musiciens européens et aux différentes facettes de la scène actuelle. Une sorte de triathlon qui permet aux participants, musiciens comme membres du public, de passer d’une discipline à l’autre, d’un style à son opposé. A titre d’exemple, de la musique intimiste, un tantinet cérébrale du duo Lucian Ban – Mat Maneri à l’exubérance débridée du Flat Earth Society revisitant le répertoire de Frank Zappa. Un festival qui, comme le triathlon, se déroule aussi en trois temps : à midi, concerts de découvertes festives dans la très belle salle voûtée des greniers du Sint Janshospitaal; ensuite, à 19 h00, plongée intimiste dans l’univers du piano dans la salle de musique de chambre du Concertgebouw et, à partir de 20h30, concert de “prestige” dans la grande salle inuaugurée en 2002, lorsque la Venise du Nord fut décrétée, à juste titre, capitale européenne de la culture. La salle du Sint Janshospitaal est propice à un échange interactif spontané entre musiciens et public, ce dont ont pu parfaitement se rendre compte les 4 groupes programmés là-bas.

MAAK SPIRIT4tet

Début en fanfare, avec le quintet de Mâäk : Laurent Blondiau,  Guillaume Orti, Jeroen van Herzeele expansifs à souhait et un Michel Massot survolté : ce dernier joignant, en fin de concert, un expressif pas de danse à la musique de transe du groupe. Ensuite, vint un Han Bennink explosif, en compagnie de Jaak Sooäär : du magma sonore du guitariste estonien, surgissent, au fil du temps, le souvenir de grands classiques, de Darn That Dream au… Bluesette de Toots, une belge dédicace oblige en premier rappel, il y en eut un second sur lequel Han finit couché sur la scène ! Enfin, les trios Mediums (un Vincent Courtois lyrique au violoncelle, entouré des saxophonistes ténors Daniel Erdmann et Robin Fincker) et Libero (Andy Sheppards, charmeur, en compagnie de Michel Benita et d’un Sebastian Rochford tout en nuances).

Dans la salle en colimaçon de la Kamermusieksaal, place au Steinway dans tous ses états : registre lyrique avec Nathalie Loriers, en compagnie de Philip Aerts et de Tineke Postma, pour un répertoire largement emprunté à son nouvel album WERF, entre un hommage à Enrico Pieranunzi (Canzoncina) et à Charlie Haden (Le peuple des silencieux), explosion free de Georg Graewe avec Ernst Reijseger (cello) et Gerry Hemingway (batterie, marimba) mais, surtout jouissive envolée mélodique entre Rita Marcotulli et Luciano Biondini (accordéon), en parfaite communion empathique : un des grands moments du festival. Dans la grande salle, une même impression de contrastes, mais avec un public parfois moins réceptif. L’Heptatomic d’Eve Beuvens présente assurément une facette plus aventureuse de la pianiste que celle des Sidewinders hard bop mais son concert, aux yeux de certains observateurs, fut moins convaincant qu’en Gaume, il est vrai que Sylvain Debaisieux succédait, pour la première fois, à Gregor Siedl au saxophone ténor. Mention spéciale à Laurent Blondiau (trompette) et à Benjamin Sauzereau (guitare).

NATHALIE LORIERS & PHILIPPE AERTS

Avec une excentrique plongée dans l’univers de Frank Zappa, le Flat Earth Society (F.E.S.) a eu, comme à l’accoutumée,  son lot de partisans enthousiastes, même si son invité spécial, Mauro Pawlowski, guitariste de dEUS, a pu paraître, en dehors des parties chantées, fort discret aux côtés du très remuant Wim Willaert. Le Finlandais Verneri Pohjola, avec sa sonorité volontairement voilée, est apparu comme l’une des révélations du festival, bien épaulé par le jeu inventif d’Aki Risanen au piano. En parfaite symbiose avec la guitare flamenco de Kiko Ruiz, les percussions colorées de Pascal Rollando et, surtout, l’accordéon de David Venitucci, Renaud Garcia Fons a fait preuve de toute sa virtuosité, à l’archet comme en pizzicato sur sa contrebasse à cinq cordes : assurément le musicien le plus applaudi de la grande salle au cours d’un concert que son sonorisateur plaçait parmi ses cinq meilleures. Les Scandinaves d’Atomic ont fait preuve de toute leur explosivité (Frederik Ljungkvist au ténor et à la clarinette, Magnus Broo à la trompette avec une prédilection pour les aigus), dans la lignée un peu convenue d’un certain free à l’américaine. Légère déception pour le Devil Quartet par rapport au succès rencontré auprès du public ardent de Jazz à Liège : non pas au niveau de la performance bien réelle des musiciens (à mon sens, Paolo Fresu possède, avec Enrica Rava, le plus beau son de trompette depuis Miles), mais d’une sonorisation un peu trop puissante à certains égards et aussi d’une certaine mollesse du public, peut-être peu friand des manipulatuons sonores de la trompette bouchée comme du bugle : pas de rappel et donc pas de totale Satisfaction (celle des “pierres qui roulent”). Admirablement secondée par son trio suisse (Colin Vallon, Patrice Moret et Norbert Pfammatter), Elina Duni a exalté, avec conviction, ses racines albanaises : des textes volontiers engagés, empreints d’une émotion sincère. Privée un moment de micro, elle a su captiver le public en version totalement acoustique. Enfin, Tomasz Stanko, en parfaite communion avec l’exubérance de Marcin Wasilewski au piano, a fait preuve de toute son aisance technique. Après un parcours pour le moins éclectique, du free du Globe Unity Orchestra au jazz rock, il est revenu à un jazz plus traditionnel, comme l’avait montré l’album enregistré avec Manu Katché pour le label munichois ECM.

MICHEL MASSOT

Au total, un beau kaléidoscope musical par rapport auquel chacun réagit à sa façon. Personnellement, à côté de réelles découvertes (V. Pohjola par exemple) et de grandes confirmations (l’exubérance insatiable de Han Bennink comme la virtuosité de Garcia Fons) mes coups de coeur vont aux réelles performances empathiques de Mâäk (un vrai collectif interactif), aux trios  Mediums et Libero comme à la magie émotionnelle de ce couple fusionnel entre Rita Marcotulli et Luciano Biondini. Un mot enfin pour l’accueil chaleureux des organisateurs et le plaisir de retrouver, d’édition en édition, les mêmes passionnés d’aventures musicales.
Claude Loxhay