
J’l’ai pas connu personnellement… : Luth
Les vagues sonores ondoyaient, allant et venant, transportant de loin en loin ce brûlot caracolant depuis le fond d’un studio où un jeune homme fumant cigarette sur cigarette s’affairait pour mettre la touche finale au mixage. Sur 1400 hrz ondes moyennes, la station de radio Luxembourg égrenait la playlist des airs nouveaux élus par le peuple. Beaucoup de fadaises, et puis ça : une intro guitares sèches superposées, un bref commentaire à l’électrique, et puis cette chanson, assez longue – elle était de Dylan-, où on devinait un paysage torturé se dissolvant dans un tourbillon saccadé s’enfonçant dans la nuit. « All along the watchtower » témoignait des sens en têtes chercheuses de notre bonhomme, allant de la science-fiction aux dernières découvertes relayées par les gens de rencontre. Jimi Hendrix se trouvait soudain adulé, là où, un an auparavant, il cherchait encore une chemise à se mettre, et moi je me trouvais soudain avec « Are you experienced » dans les mains, par le plus obscur des détours de l’existence, devant un truc qui allait droit au cœur. Il y eut diverses circonstances similaires, comme de rencontrer la musique de Wyatt, Riley, Bach, Dowland et qui sais-je encore… La guitare électrique a balayé tout sur son passage, comme d’autres instruments passés à la fée électricité.
Au milieu des années 80, un jeune Italien aura été, lui aussi, contaminé, notamment en entendant Jimi Hendrix. L’idée de jouer dans un groupe de rock lui semblait fascinante. Pourtant, il empruntera un chemin acoustique le ramenant à la Renaissance. Non seulement il creusera doctement – ses diplômes en témoignent – mais il cumulera avec la recherche en architecture. Rien que ça. Il se fait que le nom de Stefano Maiorana apparaît sur YouTube avec une « Hendrix suite for theorbo » avec des reprises comme « Castles made of sand » ou « Little wing », ce dernier sonnant de manière touchante ici. Ailleurs, des « mix » ouvrent sur des œuvres de Kapsberger ou de de Murcia, au théorbe ou à la guitare baroque. Et puis ses coreligionnaires – tant masculins que féminins – que je vous laisse découvrir. Qu’un monsieur doué se soit retourné sur ses anciennes amours n’est pas neuf ; ce qui l’est, c’est qu’il s’agit d’Hendrix. Il y a 60 ans encore, le rock était à bannir, et Hendrix en sera le suicidé d’époque.
Mais d’où sort ce théorbe ? Avant le piano, vil instrument à percussion, et intransportable, la famille des instruments à cordes pincées fut florissante, au moment où les apports d’autres continents, le développement des villes et l’esprit neuf émancipant la jeunesse allaient provoquer une renaissance des expressions. On retrouve les divers luths, archiluths, luths théorbés et théorbes sur pas mal d’illustrations d’époque. On composera pour luth du nord au sud, de la Renaissance à l’époque baroque. Son déclin sera attribué à la vertu intellectuelle isolant ce monde de « précieux », outre sa portée sonore le limitant aux salons.
Mon ami Renzo, dont j’espère pouvoir vous rapporter sa carrière de luthier et luthiste, me rapportait une anecdote funeste voulant qu’à l’époque du déclin, on retrouvait des corps de luths reconvertis en… vielles à roue. Ces instruments trouveront à traverser le temps, et des guitaristes de rock lorgneront avec gourmandise vers les compositeurs dont on continue de découvrir les répertoires. Ou les bien établis, comme Dowland, que je n’ai pas connu personnellement, dont Sting reprendra quelques morceaux choisis. Ici avec Edin Karamazov.
En prospectant YouTube, on tombe parfois sur des docs insoupçonnés ; ici Jan Akkerman, faisant un intermède lors d’une prestation pour une émission pop à la tv hollandaise avec Focus.
On le voit : on peut encore faire des trouvailles nous ramenant dans le monde de la musique acoustique, pavillons grands ouverts, à étriller à nouveau nos sens. Outre d’élargir notre connaissance de l’humain.