Joe Harriott & Amancio D’Silva, Hum Dono
Plus qu’une chronique…
Joe Harriott/Amancio D’Silva « Hum Dono », une réédition anglaise.
Pas un séjour à Londres sans un passage chez Ray. Avant d’être intégré dans la librairie Foyles (Charing Cross Road), le disquaire londonien « Ray’s Shop » avait sa boutique sur Shaftesbury Avenue : son côté vieillot n’avait d’égal que ses incroyables rayons de vinyls, une mine d’or pour les jazzophiles. Le déménagement dans Charing Cross avait un peu estompé le côté caverne d’Ali Baba, mais l’endroit ne manquait pas de charme et de surprises : un piano droit et une mini-scène accueillaient quelques groupes anglais lors de la sortie de leur album, on pouvait même tomber sur une star de passage ( je me souviens y avoir entendu Erik Truffaz et Ed Harcourt en duo pour la sortie de « In Between »). Transféré au deuxième étage depuis quelques mois pour faire place à un bar à sushis, la boutique a perdu un peu de son charme, mais renferme toujours des trésors, parmi lesquels ma première écoute de Gwylim Symcock ou de Liam Noble.
Ce jour-là tournait dans le lecteur de Ray un album d’un saxophoniste dont je n’avais jamais entendu le nom – Joe Harriott – associé à un guitariste tout aussi inconnu : Amancio D’Silva. Renseignements pris, Harriott est né en Jamaïque en 1928 et repose à Southampton depuis 1973, une courte vie qu’un crapuleux cancer a rongée. Arrivé en Angleterre avec une vague caraïbéenne à la tête desquels se trouvait Dizzy Reece, Joseph Arthurlin, dit Joe, se fait un nom comme disciple de Charlie Parker avant de virer au free jazz au début des années soixante. Quant à Amancio D’Silva, excellent guitariste indien né à Bombay, il rejoindra la fière Albion en 1967 seulement pour y travailler avec Stan Tracey et le susnommé Joe. « Hum Dono », publié en 1969 en pressage limité, est vite devenu un album mythique en Grande-Bretagne et sa rareté en a fait un « collector ». L’album est crédité aux deux musiciens, mais c’est le guitariste qui amène cinq des six compositions de l’album, la seule courte improvisation en duo rappelant la période free du saxophoniste étant signée par Joe Harriott et son batteur Bryan Spring –qui vaut à ce morceau un titre à l’humour pas trop britannique « Spring Low Sweet Harriott ». Avec « Stephano’s Dance », on entre dans la danse sur les vocalises de Norma Winstone présente sur trois titres, le trompettiste Ian Carr apparaissant brièvement sur les thèmes d’ouverture et de clôture de l’album. « N.N.N.T » est la seule pièce où on ne retrouve pas de consonances ethniques ( Inde ou Caraïbes). « Ballad for Goa » évoque la ville de naissance du guitariste avec une mélancolie proche du fado portugais et « Jaipur » termine l’album sur un rythme ondulant où Winstone et Carr interviennent discrètement mais toujours avec finesse, alors que Harriott s’envole dans un solo remarquable. « Hum Dono » sera le dernier enregistrement marquant du saxophoniste que cette réédition ressuscite avec d’autant plus de bonheur qu’il sera une découverte pour beaucoup de « continentaux ».
Publié chez Vocalion : www.duttonvocalion.co.uk
Jean-Pierre Goffin