
John Andrew Wilhite : Bristol Silence
Vous avez à peine posé l’aiguille sur le sillon du vinyle que de petits bruissements se font entendre, viennent perturber votre écoute. Comme si la surface du disque était rayée, empoussiérée. A travers ce brouillard vous parviennent des échos lointains d’un orchestre de salon. Quelque chose tourne. Quelque chose ne tourne pas rond. Il faut attendre la fin de l’ouverture éponyme de « Bristol Silence » pour qu’une musique se détache, décolle et porte, transporte la voix de la soprano Sofia Jernberg. C’est là que vous pénétrez dans le salon. Un vaste espace flanqué d’une scène basse et, sur ses côtés, d’arcades que prolongent de hauts murs ornés de motifs abstraits et de fresques symbolistes. C’est là, au cœur de l’Hôtel Bristol d’Oslo réquisitionné par l’occupant allemand, que l’orchestre jouait pour satisfaire l’humeur des officiers nazis. Le Bristolorkestret devait, après la guerre, devenir l’Orchestre de la Radio Norvégienne. Au même moment des heures sombres de l’occupation, le pianiste Robert Riefling, arrêté pour avoir aidé des Juifs à fuir vers la Suède, fut emprisonné en compagnie d’un piano dont on avait retiré les cordes et les marteaux. Un piano silencieux, comme pour attiser sa souffrance à ne pas pouvoir entendre les notes qu’il s’était résigné à jouer dans sa tête.
Le contrebassiste John Andrew Wilhite a composé cette suite narrative de neuf pièces où les climats sont pluriels, changeants. Des voix, des chants, des cuivres, des percussions, des cordes, un piano. Un libretto peu classique (supervisé par Wilhite et le dramaturge Finn Iunker) qui adapte le poème « Vår kveld » (notre soir) de l’écrivaine Gunvor Hofmo, reprend un court extrait de la « Tosca » de Puccini, une brève adaptation de Brecht, une inspiration de Joseph Santly et, en clôture, un très beau fragment du philosophe et poète Fred Moten. Autant de mots qui nous aident à comprendre qu’un silence longtemps couvé peut éclater tel un fracas assourdissant et révéler un passé enfui dans les limbes du temps. Un disque spirituel, dans le sens le plus vrai du terme.