John Beasley & Frankfurt Radio Big Band : Returning to Forever

John Beasley & Frankfurt Radio Big Band : Returning to Forever

Candid

On peut trouver excentrique l’idée d’adapter pour un large ensemble des morceaux de Return to Forever. Après tout, ce groupe emblématique de la fusion des années 70, qui mêlait la complexité du jazz et l’énergie du rock, produisait dans ses deux dernières incarnations une musique dense et turbulente à base de synthés et de guitare électrique qui devait beaucoup à la virtuosité de ses incroyables musiciens (Chick Corea en tête, mais aussi Stanley Clarke, Al Di Meola et Lenny White). Mais ce serait oublier que le succès immensément populaire de ce quartet s’explique aussi par les formidables compositions du leader, bâties sur des mélodies accrocheuses, nourries de funk et de rythmes latins et habillées d’harmonies savantes mêlant électrique et acoustique. Si certains de ces thèmes ont été repris par plusieurs artistes dans diverses configurations, ils n’avaient jamais fait jusqu’ici l’objet d’interprétations par une large formation. C’est chose faite avec ce disque du pianiste, compositeur, arrangeur, conducteur et producteur John Beasley dont le projet a par ailleurs été adoubé par Chick Corea lui-même.

John Beasley n’aurait pu mieux choisir que de s’associer au Frankfurt Radio Big Band, formidable machine capable de relever tous les défis et de transcender avec aisance et professionnalisme les frontières stylistiques. Ecoutez dans le complexe « No Mystery » la gestion subtile de la masse orchestrale (17 musiciens) et les soli impeccables de basse et de guitare. Aucune lourdeur, uniquement de la profondeur. Le titre éponyme, qui figurait sur le premier album, « Return to Forever » de 1972, est une autre petite merveille de légèreté avec un groove sinueux, un solo de flûte qui n’est pas sans évoque Joe Farrell sur l’original et une impro mémorable de trombone par Christian Jaksjø. Quant à « Vulcan Worlds », une composition de Stanley Clarke incluse sur « Where Have I Known You Before » de 1974 et l’unique morceau sur cet album qui n’est pas de Corea, c’est une pièce funky dont les riffs bénéficient de la puissance de l’orchestre. Synthés et guitare électrique s’en donnent à cœur joie sur une rythmique élastique également propice à une envolée remarquable du saxophoniste ténor Steffen Weber.

Il ne fait aucun doute que le maestro Chick Corea aurait apprécié ces reprises aussi dynamiques que nuancées auxquelles il avait souhaité contribuer. Décédé en février 2021, le maestro n’aura pas eu le temps d’entendre ces arrangements orchestraux de son œuvre, mais on peut aisément imaginer qu’il en aurait été enchanté.

Pierre Dulieu