John Mayall (1933 ‐ 2024) : pionnier du blues britannique + deux disques essentiels !
Londres entra en contact avec le folk-blues via Leadbelly et Big Bill Broonzy à partir de la fin des années 40, mais il faudra attendre les années 50 pour que le blues s’insinue timidement dans les clubs anglais. Ce furent des orchestres de jazz traditionnel comme ceux de Ken Colyer ou de Chris Barber qui commencèrent à réserver une place à ce genre musical (alors appelé Skiffle) au sein de leurs concerts, ouvrant par la même occasion la porte à des musiciens passionnés comme Alexis Korner et Cyril Davies qui resteront dans l’histoire comme les premiers évangélistes du blues britannique. Soutenu par des tournées de bluesmen plus électriques comme Muddy Waters, B.B. King ou Sonny Boy Williamson, le blues intéressa soudain une pléiade de jeunes musiciens anglais qui se mirent à collectionner les productions du label Chess et à en transposer les thèmes au sein de leurs propres groupes. Certains d’entre eux allaient devenir des légendes du Rock comme Keith Richard, Brian Jones et Mick Jagger qui fondèrent les Rolling Stones dès 1962, mais aussi Jimmy Page (Led Zeppelin), Alvin Lee (Ten Years After), Mick Abrahams et Ian Anderson (Jethro Tull), Jeff Beck ou Eric Burdon (Animals). D’autres allaient faire du blues l’essentiel de leur art et y resteraient fidèles au fil des années : John Mayall fut l’un d’entre eux.
Né le 29 novembre 1933 à Macclesfield, cité industrieuse près de Manchester en Angleterre, John Mayall s’était rapidement converti au blues en écoutant les 78-tours de son père. Diplômé des Beaux-Arts en 1963, il embrassa finalement une carrière musicale à Londres en ne jouant exclusivement que du blues qu’il écrivait et interprétait à la manière des bluesmen américains, mais en y apportant une touche moderne grâce à l’inclusion dans son groupe, the Bluesbreakers, de jeunes et talentueux instrumentistes britanniques. Après s’être installé en 1968 en Californie, John Mayall, chanteur, harmoniciste, claviériste, guitariste et auteur-compositeur, continuera dans la même voie, enregistrant au total plus de soixante disques en studio et en « live » dans lesquels le blues est revisité de toutes les manières possibles, en acoustique ou en électrique, en solo ou en groupe, et dans des styles allant du folk-blues traditionnel au blues-rock en passant par le jazz. Beaucoup d’entre eux remettent aussi en lumière certains bluesmen oubliés tandis qu’ils font découvrir de nouveaux talents qui entameront plus tard leur propre carrière en solo (Coco Montoya, Walter Trout, Buddy Whittington…). Âgé de 90 ans, le parrain du blues britannique s’est éteint le lundi 22 juillet 2024 dans sa maison de Californie. Quelques mois avant son décès, il a été annoncé qu’il rejoindrait cette année le panthéon des rockers (Rock & Roll Hall of Fame) dans la catégorie « influence musicale ».
John Mayall & The Bluesbreakers with Eric Clapton
(London / Deram)
UK 1966
Voici l’album séminal du British blues et probablement celui qui a eu le plus grand impact sur l’évolution du mouvement et même du blues en général. Bien que la prestation de John Mayall soit tout à fait honorable et que l’apport d’Hughie Flint (drums) et de John McVie (basse) ne saurait être occulté, la vraie vedette est Eric Clapton. Inspiré par Buddy Guy et les trois King (Albert, B.B. et Freddie), le guitariste domine littéralement le répertoire constitué de standards et de compositions du leader avec une puissance jamais entendue jusqu’ici. Et surtout, il y a ce son énorme et dévastateur ! Clapton a branché sa Gibson Les Paul dans un de ces nouveaux amplificateurs à tubes concoctés par Jim Marshall (surnommé « The Father of Loud ») et il a calé les potentiomètres à fond, inventant ainsi une tonalité qui définira celle de la plupart des grands albums de blues-rock électrique à venir. On peut d’ailleurs voir ce fameux ampli sur une photographie de studio au dos de la pochette, une image iconique qui contribuera largement à étendre sa renommée. Le disque a été réédité en compact dans une version remastérisée avec deux titres supplémentaires, soit au total 12 plages reprises en mono (avec une guitare très présente comme dans le LP original de juillet 1966) et en stéréo (avec une balance plus conventionnelle). A noter que Clapton y fait aussi ses débuts de chanteur sur une reprise de Robert Johnson intitulée « Rambling on My Mind », mais là, il n’a convaincu personne. Aucune importance d’ailleurs puisqu’après la sortie de ce magistral opus, il fut considéré comme le plus grand des guitaristes de rock à tel point qu’on pouvait même lire sur les murs de Londres : « Clapton is God ». Deux jours après la mort de son mentor, c’est un Clapton très ému, lui-même âgé de 79 ans, qui a rendu hommage à John Mayall dans une vidéo : « Merci John de m’avoir sauvé de l’oubli. J’étais un jeune homme, vers l’âge de 18 ou 19 ans, quand j’avais décidé d’arrêter la musique. Il m’a trouvé et m’a demandé de rejoindre son groupe, et je suis resté avec lui et j’ai appris tout ce dont j’avais besoin en termes de technique et de désir de jouer le genre de musique que j’aime. »
John Mayall
Blues from Laurel Canyon
London / Deram
UK 1969
John Mayall, au sommet de sa forme créatrice, abandonne sa section de cuivres et ses tendances jazzy (Bare Wires, également excellent) pour revenir à un blues épuré. Enregistré en 3 jours à l’été 1968 dans les studios Decca à Londres avec un nouveau line-up constitué depuis une semaine à peine, Blues from Laurel Canyon retrace avec simplicité et candeur les vacances de Mayall à Los Angeles et sa découverte de la cité des anges. Il retrouve par la même occasion une âme de bushman en visitant les canyons des alentours et préconise un retour à la nature avant de payer une visite à ses potes du groupe Canned Heat, attachés comme lui à la redécouverte d’un blues authentique (« The Bear » avec son introduction calquée sur le célèbre « On the Road Again »). Le guitariste Mick Taylor y délivre des solos maîtrisés dans un style fluide et avec un son splendide tandis que Mayall lui-même est parfait au chant, à l’harmonica, à l’orgue et à la seconde guitare. La musique coule d’un thème à l’autre sans interruption portée par une rythmique aussi subtile qu’efficace, composée de Colin Allen à la batterie et de Stephen Thompson à la basse. Mine de rien, Mayall, sans les Bluesbreakers, venait d’enregistrer son plus bel album et l’un des meilleurs du British blues mais il ne fera rien pour garder son quartet magique : dévoyé par Jagger, Mick Taylor rejoindra les Rolling Stones avec qui il enregistrera quelques-uns de leurs grands opus (« Sticky Fingers » et « Exile on Main Street ») tandis que Colin Allen intégrera l’éphémère mais excellent Stone The Crows avec la chanteuse Maggie Bell et le guitariste Les Harvey. Seul Thompson restera fidèle au bluesman pour un autre album exemplaire enregistré en acoustique et sans batterie (« The Turning Point », 1969).