John Raby : Frank Zappa

John Raby : Frank Zappa

Il y a exactement trente ans que le guitariste compositeur américain nous quittait, terrassé par un cancer à l’âge de 52 ans. Sans prétention littéraire, mais exceptionnel et passionnant, ce livre publié quelque peu pour cette date anniversaire, se veut être une immersion dans le monde singulier de l’artiste. Et une divertissante plongée dans cet univers où plus de 500 chansons ont été publiées sur 60 albums. Et on ne parle ici que d’albums officiels publiés entre 1966 et 1993. (Il y a quelques exceptions en fin de livre dont le très bon « The Lost Episodes »)

En introduction, on nous signale qu’une lecture aléatoire de cette brique est possible. Faites-le si vous le désirez, mais je vous conseille cependant de lire les 90 premières pages avant de passer à la discographie ! Là, vous piochez selon vos désirs. Avant, découvrez son intérêt pour le compositeur Edgar Varèse, qui fut le déclencheur de tout et cela dès les 12 ans de Frank. Puis ce seront les délires sonores de John Cage, les mouvements Fluxus, Dada… Zappa est aussi intéressé par le rythm’n blues, le doo-wop, le blues, quelques musiques du monde, le classique contemporain et les jazzmen de la scène free. D’où l’ovni musical qu’il va devenir et qu’il résume ainsi : « Mon plus grand plaisir consiste à trouver les éléments les plus dissemblables pour les coller ensemble. Tout ce qui semble complètement impossible ». Quant à son côté humoristique / déconneur, il lui est venu du corrosif musicien Spike Jones.

Il va s’imposer deux lignes de conduite pour créer son univers musical et pictural. La première se nomme la « continuité conceptuelle ». Elle regroupe la nourriture, les voitures, les animaux, les corps humains et forcément tout ce qui se décline autour de ces sujets : la provocation, le malsain, le grivois, le dégoûtant, même la sexualité déviante ! Qu’il justifie. Mais peut-on toujours le croire ? Il utilise l’argot pour décrire des actes sexuels, car les « vrais » mots sont prohibés. Nous avons donc droit à des « prune-me » ou des « cheese-me » explicites dans les textes ! Sa seconde ligne est « l’éternité zappaienne » un rien moins intéressante mais convaincante, et peut-être une immense plaisanterie !  N’oubliez pas que chez lui l’humour est omniprésent, tout comme il l’est dans ce livre.

Zappa était aussi un homme d’affaires qui désirait tout contrôler afin de garder son indépendance. Il s’est retrouvé à la tête d’une unique, protéiforme et colossale « entreprise ». Il a souvent changé de maisons de disques, il a créé plusieurs labels et souvent changé de musiciens. Tel Jim Fielder qui est parti former Blood, Sweat and Tears. Un peu à la manière de Miles Davis, il a découvert de futurs grands noms : Adrian Belew, Terry Bozzio, George Duke, Steve Vai. Au début, il n’aimait pas Steve, il le payait pour des solos de guitares fournis à distance ! Si nous comprenons qu’il respectait le jeu de guitare de John McLaughlin, nous sommes surpris qu’il ait aimé quelques titres de Black Sabbath, d’AC/DC et le glam rock de Mott The Hoople ! Sa relation amour / haine avec Captain Beefheart est aussi évoquée dans la chronique de l’album « Bongo Fury ». Mais tellement de noms connus surgissent dans ce livre. Vous les découvrirez.

La plus imposante partie de cet ouvrage est consacrée à la discographie de Zappa. Elle commence avec cet incroyable double album qu’est « Freak Out » paru en 1966. Lisez-la parce qu’elle est un bon exemple de ce qui vous attend au fil des chroniques. À savoir : un descriptif intéressant de l’instant présent (ce qu’il y a dans la tête de Frank donc !), une mine de renseignements sur les musiciens, les conditions d’enregistrements, des infos sur les collages des pochettes ou qui figurent sur certaines photos (particulièrement croustillantes pour l’album « We’re only in it for the Money »), des notes si des différences existent entre le vinyle et la version CD, les traductions de certaines paroles et toujours beaucoup de citations farfelues ou pleines de bons sens. Chaque album est décrit soit brièvement (10 pages pour « Chunga’s Revenge ») soit plus longuement (20 pour « Uncle Meat ») et quand est évoqué « 200 Motels » on parle aussi du film. Sachez que ce livre est complété par une bibliographie, une sitographie et une vidéographie. Il y a même une liste de podcasts ! Une bible je vous dis !

J’ai envie de vous tenir en haleine encore un peu avec ses albums préférés : « Lumpy Gravy » paru en 1968 et son dernier « Civilization Phaze III » publié un an après sa mort et qu’il considérait, selon son épouse, comme son œuvre maîtresse. Où d’évoquer ce morceau, joué à trois en live, et qui consistait en une superposition de trois hymnes patriotiques américains en hommage au compositeur Charles Ives. Un joyeux chaos freak.

Je terminerai en vous parlant de l’expérience que j’ai faite : j’ai écouté 4 vinyles (« Hot Rats », « Apostrophe », « Sheik Yerbouti », « Joe’s Garage Act 1 ») en lisant les infos contenues dans cette bible. Ce fut vraiment passionnant.

La conclusion viendra du communiqué de presse « Cet ouvrage se veut un guide avec l’humour pour boussole ». Je n’ai pas trouvé mieux ! Ce livre est un régal !

John Raby
Frank Zappa
Le mot et le reste

38 €
ISBN : 978-2-38431-202-3
800 pages

Claudy Jalet