Julien Tassin en quête d’intériorité
«Quand on écoute un artiste jouer en solo, on est en contact direct avec ses émotions.»
Bonjour Julien, ton nouvel album « Primitv » qui sort ces jours-ci est ton troisième disque en solo. Un exercice difficile mais que tu sembles apprécier tout particulièrement. Peux-tu nous expliquer ce qui t’a amené à te lancer dans cette aventure en solitaire.
Julien Tassin : J’ai toujours été attiré par les performances en solo, quels que soient les genres musicaux. L’espace, les silences et l’intimité inhérents à cette formule. Quand on écoute un artiste jouer en solo, on est en contact direct avec ses émotions, ses intentions aussi. Il y a là-dedans une proximité qui m’a toujours touché. Il y a aussi une liberté totale qui est un atout mais qu’il faut aussi pouvoir canaliser. Depuis quelques années, cette idée de jouer seul était dans un coin de ma tête, je m’y essayais souvent à la maison. Puis, lors de l’écriture de mon premier disque solo, « Momentum », c’est devenu une évidence. La musique s’est imposée d’elle-même et l’album a été très vite enregistré.
Y-a-t-il un concept global qui sous-tend ce nouvel album ou les différents titres sont-ils, sur un plan conceptuel, totalement indépendants les uns des autres ?
J.T. : « Primitiv » traduit pour moi mon besoin d’essentiel. C’est une quête à l’intérieur de moi-même. De manière plus générale, cette musique parle de ce qu’on a tous en commun, nous les humains : le mouvement, les migrations, les mélanges, les conflits, la découverte, l’apprentissage, le travail… Et du fait que la musique soit une mosaïque en constante évolution qui est la conséquence de tout ça. C’est aussi une manière d’exprimer ma vision de la musique : un medium d’expression qui n’est pas figé et qui est le reflet d’un moment de notre histoire. C’est aussi ça qui m’a poussé à écrire une musique plus simple, minimale. Des thèmes de quelques notes pouvant être répétés à l’infini comme des mantras ou être dérivés selon l’instant.
«La musique doit s’imposer avant toute réflexion.»
Bien que variées sur le plan musical, toutes les compositions ont en commun un côté narratif qui les rend accueillantes et accessibles. C’est aussi une manière pour toi de toucher un plus large public ?
J.T. : Je pense en effet que cette musique peut parler à beaucoup de gens pour des raisons différentes. Les uns vont être accrochés par le côté acoustique/bluesy inhérent à l’instrument et à mon jeu, d’autres aux improvisations parfois aventureuses, d’autres encore aux rythmes,… Mais je n’y ai pas vraiment pensé en créant ce projet. Pour moi, la musique doit s’imposer avant toute réflexion.
Les différents morceaux laissent entendre des influences diverses, jazz mais aussi rock et folk. Comment définirais-tu ton style particulier de guitare ?
J.T. : C’est une question difficile. Je dirais que ma musique est au croisement du jazz, du blues acoustique et de l’improvisation libre. Je me sens inspiré aussi bien par les bluesmen des années 20/30 que par des musiciens « noise » de la scène actuelle.
Quels sont les guitares, effets et matériel que tu as utilisés sur cet album ?
J.T. : J’utilise une guitare acoustique sur tous les morceaux. Parfois, je « salis » le son en la préparant (en ajoutant une corde perpendiculairement aux autres par exemple) ou à l’aide d’une pédale de fuzz. Mais globalement, le son de l’album est acoustique.
Sur plusieurs morceaux, on t’entend chanter à l’unisson certaines phrases mélodiques. C’est beau et ça procure un surcroit d’intimité et de profondeur à la musique : comment t’es venue cette idée ?
J.T. : Quand j’improvise, j’entends des phrases dans ma tête et je les traduis sur l’instrument. Quand je chante ces phrases, il se passe quelque chose de différent : l’articulation est plus mélodique, lyrique et sinueuse. Elle me porte à des endroits souvent inattendus. Ça se fait spontanément, à un moment précis selon les besoins de l’improvisation.
«Je ne corrige rien. S’il y a des imperfections mais que l’émotion est là, c’est bon pour moi.»
Comment et où s’est effectué l’enregistrement de l’album ? Y-a-t-il eu plusieurs prises d’un même morceau, des réenregistrements (overdubbing),… ?
J.T. : Je l’ai enregistré seul dans un chalet (la Clairière). J’ai emprunté quelques micros à mon oncle et c’était parti. J’avais trois jours. En arrivant, j’avais 6 ou 7 morceaux. Le reste a été composé sur place. L’avantage de le faire seul est de pouvoir jouer à n’importe quelle heure, sans pression. Je pouvais m’y mettre à tout moment, m’arrêter et sortir puis recommencer. En général, j’enregistre deux ou trois prises pas plus et je laisse reposer. Puis je passe au morceau suivant. En fin de journée, je réécoute l’ensemble et je choisis la prise qui sera définitive. Je ne « corrige » rien. S’il y a des imperfections mais que l’émotion est là, c’est bon pour moi. Je ne cherche jamais la perfection d’exécution mais plutôt la version la plus « vraie » et la plus organique. Il y a de l’overdub sur un seul morceau (« Enfants »), qui nécessitait un peu plus d’entrain. Pour le reste c’est une seule guitare.
Avec le recul, depuis « Sweet Tension », ton premier disque en trio sorti en 2018, comment décrirais-tu l’évolution de ta musique ?
J.T. : Je dirais que ma musique est plus ouverte aujourd’hui et plus directe. Quand j’ai enregistré « Sweet Tension », mes influences premières étaient plus marquées. Je pense qu’avec le temps, elles se diluent, elles sont moins évidentes à la première écoute. Jouer avec le trio (avec Dré Pallemaerts et Nicolas Thys – NDLR) a beaucoup façonné mon approche actuelle de la musique, plus organique. Au fil des concerts et des albums, j’ai le sentiment que je dois de moins en moins « courir » après la musique, elle s’impose à moi.
«Des guitaristes comme Frisell, Mike Stern et Scofield m’ont aidé un peu à rentrer dans le jazz.»
Quels sont les guitaristes que tu écoutes le plus aujourd’hui et ceux qui ont influencé ta propre histoire ?
J.T. : Aujourd’hui, j’écoute beaucoup de guitaristes/groupes à tendance expérimentale comme Nels Cline, Mary Halvorson, Loren Connors, Marc Ribot, Fred Frith, Derek Bailey, Richard Dawson… aussi des guitaristes acoustiques comme Robbie Basho, John Fahey, Richard Bishop,… Mon premier grand choc « guitaristique » fut John Lee Hooker, puis Jimi Hendrix… Pendant des années, je ne voulais jouer que du blues, j’en étais complètement passionné. Je n’écoutais que ça et je voulais tout connaître ! Puis avec le temps, j’ai commencé à vraiment apprécier le jazz et à vouloir en comprendre et intégrer les codes, le langage. Des guitaristes comme Frisell, Mike Stern et Scofield ont construit des ponts entre le jazz et le blues-rock. Ils m’ont aidé un peu à rentrer dans le jazz… Puis je suis tombé amoureux de Joe pass, Django, Wes Montgomery et tous les autres…
En dehors des tournées de promotion de cet album, quels sont tes projets pour le futur ? Comptes-tu revenir à une formule en groupe ou poursuivre l’expérience en solo ?
J.T. : J’ai vraiment envie de pousser au plus loin cette formule solo. Je sens que j’ai encore beaucoup à explorer, notamment du côté de la guitare préparée. Certaines de mes nouvelles compositions appellent à de la percussion, c’est quelque chose que j’ai en tête pour le futur… Pour le reste, il y a quelques mois, le trompettiste américain Jason Palmer s’est joint à mon trio pour une tournée d’une semaine. Tout a été enregistré et peut-être qu’un disque en émergera. Il s’agit du prolongement naturel du travail avec Dré et Nic. Une toute nouvelle musique qui, j’espère, pourra reprendre vie sur scène bientôt. Je joue aussi en duo avec le guitariste Patrick Steenaerts et j’ai un autre duo avec le batteur Nicolas Chkifi. Il est prévu d’enregistrer un album avec ces deux projets cet automne.
Un grand merci Julien pour toutes ces précieuses informations et ces réponses précises. Je te souhaite une bonne continuation et beaucoup de succès avec ce nouvel album.
Julien Tassin
Primitiv
Ramble Records
En concert au Saint-Jazz Festival (Botanique, le 24 septembre), à la Chapelle de Verre (Braine-le-Comte), le 2 octobre et au Foyer culturel de Sprimont le 16 décembre.