Kris Defoort, The Box !
Kris Defoort: un coffret de 3 albums De Werf
K. Defoort Trio, Live in Bruges
K. Defoort Solo Piano, Live in Tokyo
Defoort-Turner-Thys-Black, New Sound Plaza
Avec ses deux opéras (“The Woman Who Walked Into Doors”, “The House Of Sleeping Beauties”) et son album “ConVerSations/ConSerVations” enregistré avec le quatuor Danel et la soprano Claron Mc Fadden, Kris Defoort avait surtout mis en évidence son talent de compositeur et son versant musique classique contemporaine. Avec ce coffret, produit par le label brugeois De Werf, il marque un retour au jazz et à l’improvisation, démontrant, au travers de trois formats différents, qu’il reste l’un de nos pianistes les plus originaux et un musicien complet qui bouscule les frontières entre écriture et improvisation, entre jazz, rock et musique improvisée.
En solo d’abord, avec ce “Live In Tokyo” enregistré en décembre 2010 : six longues plages largement dédiées à l’improvisation (Improvisation Upon C, Improvisation Upon Sea) mais au cours desquels il manifeste aussi son attachement à Monk (Reflections) comme aux mélodies empruntées à la musique pop (Sometimes It Snows in April de Prince, déjà présent sur l’album KD’s Decade, gravé en trio en 1994 !). Balançant entre piano stride (Reflections) et musique méditative (Butterflies Chronicles), ce live se termine par Oh, Lucky Me, un thème qu’il joue aussi avec son quartet, en compagnie du saxophoniste Mark Turner.
Ensuite, le pianiste brugeois présente son nouveau trio avec ce “Live in Bruges” enregistré en novembre 2011. A la basse électrique, on retrouve Nicolas Thys et, à la batterie, le jeune Lander Gyselinck que l’on a découvert au sein du Lab Trio avec Bram de Looze et sur quelques plages du cédé “‘Itinerari Siciliani” de Pierre Vaiana. Voilà un batteur pour le moins original, spécialiste des rythmes décalés et dont le jeu se rapproche de celui de batteurs américains comme Jim Black ou Joey Baron. Au répertoire, une série de thèmes originaux, dont certains inspirés par le voyage au Japon (Tokyo Dreams Ouverture, Tokyo Dreams Epilogue), et six compositions-improvisations collectives qui illustrent bien l’interaction entre les trois compères. Avec cette rythmique atypique, Kris Defoort bouleverse complètement le format du trio intimiste à la Bill Evans et apporte à ses compositions un groove détonant (Le lendemain du lendemain, Bebop Dreams) qui alterne avec des plages empreintes d’une profonde sérénité méditative (Le vent des Landes, Diepblauwe Sehnsucht). Le troisième cédé marque lui un retour au quartet avec Mark Turner (saxophone ténor), Nicolas Thys (contrebasse, basse électrique) et Jim Black (batterie), dont le premier album avait intégré le coffret-anthologie “The Finest in Belgian Jazz” de 2002.
A l’époque, Kris Defoort avait expliqué l’origine de ce projet lors d’une interview accordée à Jazzaround : “Je sortais de deux longues phases de compositions pour grand ensembles : “Passages” et puis l’opéra “The Woman Who Walked Into Doors”. J’avais envie d’une formation plus restreinte et, au niveau de l’écriture, je voulais composer juste des prétextes pour pouvoir jouer du piano et improviser. Un quartet permet une grande flexibilité. En plus, j’adore jouer avec Mark : son jeu m’inspire beaucoup. Par ailleurs, j’avais vraiment envie de jouer avec Jim Black. Jim fait partie de la nouvelle génération de batteurs, il a un groove énorme, il a aussi une oreille très ouverte, sans barrière entre swing, musique contemporaine ou rock.”
Ce New Sound Plaza comprend deux inédits, Oh Lucky Me et De Roze Roos (ce dernier enregistré au Jazz Middelheim de 2003) et six “alternate takes” de compositions présentes sur l’album de 2002. Une manière de saisir toute l’importance des passages improvisés, surtout dans les créations collectives (Eswar Einmal, Floating) Mais aussi dans cet arrangement très personnel du Subconsciuoslee de Lee Konitz. Le thème peut être exposé avec un lyrisme serein (Sound Plaza, Tranen) et, alors, Mark Turner rappelle la sonorité de Warne Marsh mais la rythmique impose très vite un tempo d’enfer qui fait exploser cette belle ordonnance. “C’est fou de voir un noir américain comme Mark s’être ainsi plongé dans l’univers de Tristano et de la West Coast. Mais il a eu aussi sa phase John Coltrane et Joe Henderson. Il a assimilé toutes ces influences et, à partir de là, il s’est construit un style qui s’est cristallisé de manière très personnelle. Tout est là, la tradition comme l’ouverture d’esprit.” La mélodie peut même prendre une allure enfantine (Blues Is On the Way, De Roze Roos) avant de s’ouvrir vers des horizons plus tourmentés : “Blues Is On the Way est un morceau imaginé par mon fils de sept ans, une mélodie d’enfant très simple à laquelle j’ai ajouté une coda.” On replonge dans cet univers de 2002 sans sentir d’hiatus : de subtils ponts se construisent entre les trois albums. Qu’il s’agisse des prestations en solo, en trio ou en quartet, ce coffret illustre à merveille les différentes facettes du talent de Kris Defoort et son approche iconoclaste du piano.
Claude Loxhay
En studio… dans la langue de Vondel, grâce à Cobra.be (VRT)