La Suspendida: An opera in jazz and metal for female soloist and chorus

La Suspendida: An opera in jazz and metal for female soloist and chorus

Franchement, je ne savais pas comment j’allais vous faire une chronique de cet opéra. Comment évoquer cette densité ? Comment trouver un fil conducteur pour que les choses ne vous soient pas trop confuses ? Comment évoquer tous les aspects de cette œuvre et vous informer à bon escient ? Puis une idée m’est venue… et si je scindais tout cela en quatre actes ! Il me semble que je suis parti dans le bon en établissant ce « plan descriptif ». Vous me suivez ?

Kilter © France Paquay

Les instigateurs et les participants

Ce sont les trois membres du groupe de jazz metal avant-gardiste new-yorkais Kilter qui sont à la base de cet opéra. Le trio est composé du Français Laurent David à la basse électrique, de Kenny Grohowsky à la batterie et d’Ed RosenBerg III au saxophone ténor et à une seconde basse. Des musiciens qui ont joué entre autres avec Ibrahim Maalouf, Yael Naim et John Zorn. Ils sont les compositeurs de la musique de cet opéra. Dans le titre vous avez remarqué la présence d’une chanteuse soliste. Il s’agit d’Andromeda Anarchia, une Suissesse, chanteuse soprano, résidente new-yorkaise mais qui a également suivi des cours de chants en jazz, en heavy metal et en extrême metal. Se spécialisant même dans le scream metal ! De l’opéra aux cris et rugissements de l’avant-garde metal, cette fille sait tout chanter ! Ici, elle a le rôle de « l’héroïne », Maria Elena, La Suspendida, La Femme Suspendue. Derrière elle se produit le Growlers Choir, nommé ici The Choir Of The Dead. Une chorale composée d’une dizaine de chanteurs issus de la scène metal et qui sont responsables des cris et autres grognements ! Le tout est complété avec Seven)Suns, un quatuor à cordes qui comprend deux violons, un alto et un violoncelle. Quant au livret de l’opéra, il a été écrit par William Berger, auteur pour le Metropolitan Opera, amateur de musique classique mais aussi metalleux !

L’histoire

Elle est basée sur une histoire vraie. Il y a une centaine d’années, aux Etats-Unis, la jeune Maria Elena contracte la tuberculose, maladie incurable à l’époque. A l’hôpital, elle est soignée par un immigré allemand, Carl Tanzler, non médecin, qui lui prodigue des soins alternatifs, mais surtout qui en tombe amoureux. Après quelques années, la jeune femme décède, il paye tous les frais, lui fait ériger un mausolée… Deux ans plus tard, il déterre le cadavre, lui refait une fausse peau, utilise des onguents, la « refaçonne » et pose sur elle des actes de nécrophilie ! Des scènes «  d’amour » macabres. Je vous passe de nombreux détails… Après neuf ans, il est arrêté mais pas condamné, car aucune loi écrite ne réprimande ses actes. On le retrouve mort, à 75 ans, avec un cadavre à ses côtés portant un masque de mort de Maria Elena ! Au fil des ans, l’histoire s’est « consolidée, modifiée » suscitant de nombreux écrits, des reportages, même des chansons dans le milieu alternatif ou le death metal ! Notamment de The Black Dahlia Murder. L’histoire de cet opéra se passe après la mort de Maria Elena. Elle est l’héroïne de ce livret, alors qu’elle est « suspendue » entre le monde des morts et celui des vivants. Elle y attend Carl et quand il va arriver, après son décès, c’est elle qui va le « chevaucher », stupéfiant les morts qui les regardent. Je ne vous dévoile pas la suite. Un thème complexe, morbide. Une histoire de « mauvais goût », choquante, incroyable et heureusement, complètement surréaliste.

La musique

Kilter
La Suspendida : An opera in jazz and metal for female soloist and chorus
Silent Pendulum Records

Pendant 80 minutes et tout au long des 17 titres, nous pourrons suivre l’histoire, en anglais, sur le livret inclus avec le CD. Quant à la musique, elle passe d’une violence metal extrême à des moments plus retenus, un peu classique, à du jazz free assourdissant. Elle est susceptible d’intéresser aussi bien un public de metalleux, que des jazzmen ou des accros d’opéras. A la condition d’être curieux, d’accepter le dépassement des normes, peu importe le genre musical proposé. La chanteuse soliste est tout simplement incroyable, elle s’adapte au metal, au doom, à l’opéra, modifiant sans cesse sa voix soutenue par ce chœur qui pousse des cris et grogne ! Quelques petits détails sur certains titres pour vous initier : « Limbo » est une longue mélopée grave, sinistre, une complainte venue des ténèbres. « Interlude : Arrival » est du pur doom avec une basse super grave, « Laudes Mortuorum & Roll Call of the Newly Dead » fait la part belle au jazz et au saxophone, les violences vocales parcourent de nombreux titres (« Arguments at the Gates of Death part 2 » et « part 3 »). Quant à « Interlude : Climax » il est de facture plus opéra classique. Retenez, en résumé, que vous allez vivre des trips hallucinés au sein d’une musique qui déverse son metal, son jazz, son classique dans un même chaudron.

Le livre

William Berger
L’histoire de Marie Elena et de l’opéra jazz-métal de Kilter

12 €
ISBN : 979-88-64547-66-3
150 pages

Ecrit par Wiliam Berger, ce livre de 140 pages complète le CD. Intitulé « L’histoire de Marie Elena et de l’opéra jazz-métal de Kilter. La Suspendida », il est un ajout important à la compréhension de l’ensemble. Il y a l’histoire détaillée de ce « couple » et de leur famille, tout est utile à connaître. Il y a des notes informatives des créateurs, une lettre écrite depuis « La Frontière ». Le texte de l’opéra est reproduit en anglais, mais la traduction française lui fait face, une belle initiative pour ceux qui ne comprennent pas l’anglais car elle leur permet de suivre l’histoire. Le livre se clôt avec de succinctes biographies des collaborateurs. Un « plus » vraiment bénéfique. Cet ambitieux projet n’a été joué qu’une seule fois sur scène et ce ne sera pas évident de le faire tourner. Comment accueillir cette « troupe » dans des conditions optimales ? Rêvons quand même qu’un jour l’occasion leur soit donnée de se produire, et que nous soit donnée la possibilité d’écouter et de regarder sur scène cette œuvre, d’une inédite originalité.

Claudy Jalet