Lander Gyselink & Fulco Ottervanger : Le cas Beraadgeslagen

Lander Gyselink & Fulco Ottervanger : Le cas Beraadgeslagen

Lander Gyselink © Quentin Perot

Ça tourne ! Alors ? Comment ça va les gars ?

Fulco Ottervanger : J’ai trop mangé.

Lander Gyselink : Oui

F.O. : Et j’étais déjà fatigué aujourd’hui.

L.G. : Oh, vraiment ?

F.O. : Oui, je suis trop crevé aujourd’hui.

L.G. : Pourquoi ?

F.O. : On fait trop de choses. On va dormir trop tard.

Ouais, et puis il y a la saison. Il fait froid, la pluie…

F.O. : Oui, peut-être.

Alors… Je suis Quentin, de Liège, je suis photographe et chroniqueur pour JazzMania, mais je suppose que vous savez tout ça. Je tiens tout d’abord à vous féliciter tous les deux pour la quantité impressionnante de projets dans lesquels vous vous impliquez.

F.O. : More is better !

Oui !

L.G. : Ça fait bizarre de se faire féliciter pour ça !

J’ai eu une petite discussion avec Jérémy Alonzi, de Experimental Tropic Blues Band et de plein d’autres projets. Il se définit comme un « Yes man », quelqu’un qui ne sait dire que « Oui ». Est-ce que c’est une des raisons pour lesquelles vous vous investissez dans autant de projets, parce que vous ne savez pas dire non ?

F.O. : Non, je pense que nous sommes tous les deux capables de dire non. Ça a sans doute pris plusieurs années pour apprendre ça, je pense qu’on est passés par là, et qu’à un moment, on ne savait pas dire non. Mais malgré tout, on est dans trop de trucs ! On dit quand même trop souvent oui !

L.G. : Je pense qu’on dit oui aux choses auxquelles on ne peut pas dire non, premièrement. Après, je pense qu’on dit oui parce qu’il y a de beaux projets qui viennent à nous. Nous avons cette chance qu’on nous offre ces opportunités qui nous empêchent de rester dans notre zone de confort, et là, c’est très difficile de dire non, parce que tu vois, et je crois qu’on est assez semblables de ce côté-là, il y a une opportunité d’évoluer en tant qu’artiste, d’exploiter de nouveaux mediums, de nouvelles approches, et c’est très difficile de dire non, parce que tu entrevois ce que tu vas pouvoir apprendre avec ce nouveau projet, de nouveaux instruments, une approche différente. Si tu as beaucoup de ce genre d’opportunités qui se présentent, alors c’est difficile de dire non. Mais pour de nouveaux groupes, c’est assez bien de dire non.

«C’est quand quelque chose ne fonctionne pas et que je dois faire en sorte que ça marche que je me sens bien.» (Fulco Ottervanger)

En fait, c’est exactement comme lui, vous ne vous investissez que dans des projets dans lesquels vous êtes vraiment intéressés, et vous avez cette chance qu’on ne vous propose que des projets susceptibles de vous intéresser.

F.O. : Si on nous propose un projet dans lequel on n’est pas intéressés, on dit non. Et pour finir, je voudrais rebondir sur « des projets qui nous maintiennent hors de notre zone de confort », des projets qui nous permettent d’apprendre : mais C’EST notre zone de confort. Pour moi, d’une certaine manière, c’est quand quelque chose ne fonctionne pas et que je dois faire en sorte que ça marche que je me sens bien. Il est là, le confort pour moi. Ça vous rend créatif. Ça demande une grande créativité.

Vous jouez dans de nombreux styles, qui vont du free jazz à des choses beaucoup plus « carrées », comme Lander & Adriaan, qui est beaucoup plus « dancefloorable », attention, ce n’est pas une insulte, c’est simplement que les rythmes sont beaucoup plus simples à lire pour le commun des mortels. Comment est-ce que vous gérez la grande variété de styles ? Est-ce que vous devez segmenter tout ou est-ce que tout se fond en une seule source où vous allez puiser de projet en projet ?

F.O. : Principalement ça. Le dernier truc que tu as dit. (Un seul « blob » de savoirs et de savoir-faire ndlr.), mais… il y a aussi un bon paquet de « temps » de transition. J’en ai besoin. C’est comme un exercice. Il faut changer de projet, y rentrer à nouveau. Par exemple, certains groupes nécessitent plus d’impro cérébrale, et même physique, corporelle.

L.G. : Oui, les muscles ! Il faut les activer et passer par une transition pour parvenir à se mettre dans cet état de disponibilité et être prêt. Pas vrai ?

F.O. : Oui ! Tout à fait !

L.G. : On répétait le mois dernier pour le duo, et on arrangeait tous nos instruments, et on en était à se demander « Où est passé ce muscle ? Et celui-là ?… Il est quelque part par là, mais où ? (rires) Et il faut presque tout recommencer.

F.O. : Oui, et il y a beaucoup de muscles ! Et puis il y a les muscles, mais il y a aussi la musique et l’aspect technique.

Donc vous avez besoin d’une transition…

F.O. : Oui, il y a une sorte de cross-fading dans mes mains.

Est-ce que ça vous serait possible de jouer un projet free-jazz et enchaîner sur ce projet ou un autre juste après ?

F.O. : Oui, on le fait tout le temps.

L.G. : Oui, on passe tout le temps d’un projet à l’autre. On joue ceci, on joue ça, mais j’aime ça ! Mais par exemple sur des projets vraiment d’impro, des projets où on écrit la musique en live, c’est vrai que c’est difficile de monter sur scène et performer. C’est pour moi une des choses les plus difficiles.

F.O. : Quand j’écris, j’aime avoir genre deux semaines pour plonger plus profondément dans la musique, partir à 2 ou 3 heures du matin

Vous jouez ensemble depuis de nombreuses années, ce n’est pas le seul projet sur lequel vous travaillez ensemble…

F.O. : Non, c’est le seul…

«Ça serait tellement marrant si on mettait toutes les personnes à qui j’ai proposé de jouer dans Stuff. et qui ont dit non.» (Lander Gyselink)

J’étais persuadé que tu avais joué dans Stuff. (Rémanence mémorielle, mon cerveau me joue des tours. Ils ont partagé la scène sur le même festival, mais leurs interactions hors de Beraadgeslagen s’arrêtent là.)

F.O. : Non, j’ai raté le bateau sur ce coup-là ! J’ai dit non. (rires)

L.G. : Ah oui ?

F.O. : Oui, tu m’as proposé de rentrer dans le projet, et j’ai décliné.

L.G. : Ça serait tellement marrant, différent si on mettait toutes les personnes à qui j’ai proposé en premier, et qui ont dit non. Il y aurait toi, à la basse, il y aurait probablement Dries (Laheye, ndlr.), et au saxophone, il y aurait sûrement Steven (Delannoye, ndlr).

J’espère ne pas avoir remué le couteau dans la plaie…

F.O. : Non, non ! Absolument pas !

Comment vous êtes-vous rencontrés, et comment en êtes-vous arrivés à monter un projet ensemble ?

F.O. : En rue ! On marchait l’un à côté de l’autre. On allait à un concert, et on est tombés l’un sur l’autre. Lander était toujours à l’école (secondaire), et j’étais en première au Conservatoire, à peu près. On a commencé à parler de la vie dans le monde de la musique, comment arriver à vivre de sa musique, de faire jouer nos projets, trouver des scènes, comprendre comment ça marche, on a causé de « Mice » de Zappa, ce genre de trucs… Après, on s’est retrouvé de nombreuses fois.

L.G. : Oui, chez toi. Pour jammer. On jammait tout le temps. J’avais aux alentours de 18-19 ans à ce moment-là.

Vous vous connaissez depuis vraiment longtemps. Vous avez fait votre voyage musical ensemble en fait.

F.O. : Oui, ça fait vraiment longtemps. Et puis on a mis 10 ou 11 ans pour sortir quelque chose. On a commencé à la maison, puis on a joué dans des bars. On a fait des petits trucs, et on a enregistré quelques trucs, mais c’est tout.

Beraadgeslagen © Quentin Perot

Donc, la question où je mentionne que le groupe existe depuis 7 ans, on est bien d’accord qu’on ne compte que depuis la sortie de votre premier album, vous travaillez ensemble depuis bien plus longtemps que ça. Ce qui est assez impressionnant, généralement les groupes qui se forment très jeunes ne durent pas longtemps, parfois quelques mois.

L.G. : Et il y en a d’autres qui durent pour toujours !

Je pense même que vous êtes un des seuls groupes que je connaisse qui soit resté si longtemps ensemble, mais qui s’est formé à un moment où ses membres étaient si jeunes. Un des seuls autres groupes que je connais dont les membres sont restés ensemble depuis le début avec de nouveaux arrivants mais peu de départs, c’est Jaga Jazzist.

F.O. : Ils jouent toujours ?

Je les ai vus ici même il y a quelques mois (à Het Depot, voir le reportage JazzMania à ce sujet).

L.G. : C’est marrant ça, le mec qui mixe nos albums, c’est Jørgen Træen, le mec qui mixe la musique de Jaga Jazzist. Maus aussi, peut-être qu’ils… enfin, je ne peux parler que pour nous, notre carrière musicale a démarré de manière très relaxante, très « low-profile », on était un groupe du genre « on fait ce qu’on veut, on ne fait aucun compromis ». Quand on commence à faire, ne fût-ce que de petits compromis, peut-être même pas artistiquement, mais ne fût-ce que pour vivre, on a beaucoup plus l’impression de travailler. On va au travail. Le fait qu’on ait laissé cet espace totalement ouvert, peut-être aussi parce qu’on n’était pas super ambitieux, je pense que sur le long terme, c’est le meilleur scénario.

Je pense aussi que c’est un bon investissement que de prendre le temps.

L.G. : Oui, et il faut faire attention de ne pas se professionnaliser trop vite, en tous cas pour moi, mais je pense aussi que c’est le cas pour le groupe, on fait un pas en arrière. Si la professionnalisation arrive trop vite, que ce soit d’un point de vue du management, ou des opportunités, le fait de jouer tout le temps, ça peut tuer l’âme et l’intention musicale des artistes et des groupes, mais aussi leur volonté de jouer ensemble.

«On ne peut plus vraiment dire qu’on joue de la musique bizarre dans les bars pour vingt personnes…» (Lander Gyselink)

La clef est donc de faire avancer sa propre barque à sa propre vitesse.

L.G. : Oui, même si on ne peut plus vraiment dire qu’on joue de la musique bizarre dans des bars pour vingt personnes. On ne fait plus ça, sans doute parce qu’il fallait qu’on survive. Ça nous a permis de répéter et exercer des choses essentielles, mais aussi tester, essayer et expérimenter des choses le plus souvent possible. Par exemple, qu’est-ce qui rend un concert parfait ? C’est beaucoup de choses, mais c’est surtout être libre.

F.O. : ÊTRE BIZARRE ! Pas bizarre exprès, mais bizarre.

Est-ce que le fait de gagner un Prix dans un festival de Jazz…

L.G. : On a gagné un prix ?

Oui, ce n’était pas un concours, mais vous avez reçu un prix…

F.O. : Pour l’album, c’est ça ?

Oui, le premier, « Duizeldorp ».

L.G. : Ah oui, c’était pour le « best artwork » !

F.O. : Non, je pense que c’était pour la musique.

Oui, je pense que c’était un prix pour le « meilleur premier album ».

L.G. : Hu ?

F.O. : Oui !

L.G. : Je crois que j’ai oublié, en fait…

Donc, je peux sauter la question où je vous demandais si ça avait été un tournant dans votre carrière…

F.O. : Non !

… le moment où vous êtes devenus presque sérieux, mais si vous ne vous en souvenez même pas, j’imagine que non. (rires)

F.O. : Mais ça nous a permis de voir que notre musique plaisait à une audience plus large, donc c’est cool.

Fulco Ottervanger © Quentin Perot

Justement, à ce propos, votre premier album, qui a conquis beaucoup de monde, pour ma part, je le trouvais plus rude que le second. Il était moins dans le compromis.

L.G. : Le premier album ? Oui, j’ai entendu récemment, de la part de personnes qui sont principalement plus dans l’avant-garde, qu’ils préféraient le premier au deuxième. C’est une discussion qui revient assez souvent, même.

F.O. : « Duizeldorp » ?

L.G. : Oui. Beaucoup de gens !

F.O. : Je ne comprends pas, c’est le même style de musique !

L.G. : Oui, pareil pour moi, ce sont les deux mêmes. Mais peut-être qu’on était moins exigeants sur les prises, les sons, la manière dont on jouait, et tout ça fait qu’on jouait peut-être moins bien. C’était un peu plus nonchalant, et on nous entend sans doute un peu plus les deux individus que nous sommes plutôt que le concept de l’album. Cette fois, on est vraiment les gardiens du concept du son, des morceaux, de l’album. Est-ce que vous voulez entendre Fulco & Lander ou est-ce que vous voulez plonger dans cette grande histoire où deux êtres se dissolvent en quelque sorte ? Je pense qu’on est devenus meilleurs dans la fabrication d’albums. Et ceux qui arrivent à entendre les deux musiciens dans celui-ci… (et Lander fit une moue interrogative en guise de réponse à sa propre question, ndlr.). Quand ils écoutent le premier album, ok, mais ici, quand ils entendent « Franse Vaart », c’est une véritable histoire qu’on raconte. Ça part à gauche, ça part à droite…

F.O. : Ça unifie aussi les limites d’un genre « téléphoné ». C’est encore trop étrange pour définir un style à proprement parler mais c’est ça, on est peut-être plus dans un style téléphoné. On s’approche des limites…

L.G. : … du genre pastiche / collage. Mais avec « Duizeldorp » aussi ! On était aussi pastiche, mais on était beaucoup plus rudes, bruts, et pas assez expérimentés dans le pastiche, et c’est aussi pourquoi c’est plus rude.

Personnellement, je trouve que c’est plus brutal. Brutal comme le brutalisme en architecture : les choses s‘imposent, elles sont là, mais aucune discussion ni compromis ne sont possibles. C’est ça et rien d’autre, et je pense que dans ce dernier album, on perçoit plus de sensibilité, qui permet à l’auditeur de trouver plus de choses que juste le côté monolithique de « Duizeldorp ».

F.O. : Ah oui, sans doute !

L.G. : Oui, le premier est sans doute plus monolithique, parce que les choses sont juste « BAM ! » : là et il y a tous ces chemins différents pour y parvenir. C’est aussi l’accumulation de toute cette énergie, de tout ce qu’on voulait faire depuis toutes ces années rassemblées en une seule fois. Ici, on a travaillé pendant deux ou trois ans sur cet album en particulier. En soi, pour nous, cet album est le même que le premier, c’est juste que…

… celui-ci a évolué.

L.G. : … oui. Les choses qu’on a envie de faire, on les fait.

Vous procédez toujours de la même manière, mais ce qui en sort est différent.

L.G. : Oui, on peut dire ça, notre musique a évolué.

F.O. : Oui.

L.G. : C’est bien aussi de savoir qu’il y a des gens qui aiment les choses très brutales, parce qu’on entend souvent que les gens veulent nous voir en concert, mais moins nous entendre sur album dans leur salon.

F.O. : Et pourtant, « Duizeldorp » était déjà très travaillé.

L.G. : Je trouve que c’était plus long que pour « Duizeldorp ». On était très maniéré dans l’editing. On a passé quelque chose comme deux mois sur « Altijd Bewust Bewegen ».

F.O. : Ah ouais ?

L.G. : Oui. Mais on savait ce qu’on voulait faire au départ. Plus que pour « Duizeldorp ».

La conception du premier s’est plus faite comme elle venait, alors que pour le deuxième, vous aviez donc un projet plus défini, vous saviez ce dont vous aviez envie et ce que vous vouliez faire.

L.G. : Oui, c’est tout à fait ça.

Vous n’avez pas l’impression que la scène Jazz est en train de vivre une seconde vie actuellement ?

F.O. : Je crois que ça a toujours été le cas. Le Jazz ne s’est jamais arrêté. Le Jazz a toujours été une recherche de nouveaux sons, de nouvelles choses.

«Je pense que le jazz est devenu plus facile d’accès, il n’est plus réservé à une élite culturelle.» (Fulco Ottervanger)

Tout à fait. Ce que je voulais dire, c’est l’intérêt du grand public pour le Jazz qui est en train de revenir, le style Jazz n’a jamais été autant streamé sur les grandes plateformes.

L.G. : Ah ouais ? Tu crois ?

F.O. : Je pense que le Jazz est devenu plus facile d’accès, il n’est plus réservé à une élite culturelle. Mais il est aussi devenu plus lisse, c’est plus un produit. Il est rendu plus accessible.

L.G. : Et le Jazz est un genre qui va peut-être absorber plus de styles, qui va se fondre avec d’autres genres contemporains et c’est aussi pour ça que le Jazz gagne une audience plus large.

Oui, je pense d’ailleurs que le Jazz est un des genres les plus flexibles, et il peut réellement apporter beaucoup aux autres genres tout en restant subtil comme dans le post-rock ou d’autres styles où les choses sont suggérées et ne font qu’influencer sans dénaturer.

F.O. : Oui, je suis tout à fait d’accord.

L.G. : Je pensais en fait que le Jazz était en train de mourir.

F.O. : Oui, moi aussi. Et il est toujours plus ou moins en train de mourir.

L.G. : C’est d’ailleurs contradictoire, parce qu’il vit et perdure autant qu’il est en train de mourir.

F.O. : C’est pas faux, il faut creuser de plus en plus profondément pour la recherche mélodique, mais je pense que l’écoute du Jazz est aussi en train de mourir.

Je pense que ce qui est en train de mourir, c’est l’image collective du « vieux Jazz à papa ». Le reste des influences avec d’autres genres contemporains, lui continue d’évoluer. Ce qui finalement vaut aussi pour les autres styles. Le Jazz classique est très inscrit dans une période, et tous les styles qui sont ancrés dans une période sont destinés à disparaître avec cette période…

L.G. : … et il continue d’évoluer en même temps.

Là où je veux en venir en fait, c’est souligner la transition du Jazz classique qui est voué à disparaître et mute vers quelque chose de vraiment nouveau.

L.G. : Pour être tout à fait honnêtes, c’est une des dernières choses auxquelles on pense en tant que musiciens, et pourtant, c’est une des premières choses dont on nous parle en interview. C’est vraiment une question dont nous discutons peu, voire pas. On peut difficilement s’en foutre plus.

Beraadgeslagen © Quentin Perot

J’imagine bien que vous faites de la musique pour ce qu’elle vous procure, pas pour placer un produit dans un segment.

L.G. : C’est ça. Faire du Jazz, c’est plus un engagement sur la manière dont nous voyons la musique plutôt que la manière dont nous la jouons.

F.O. : C’est plus une question de possibilités. Et encore ! Tu prends un mec qui fait de la musique Ambient, il a certainement plus d’aptitudes à percevoir les textures. La diversité est partout.

Comment est-ce que vous écrivez, comment est-ce que vous composez ? Est-ce que vous avez besoin de vous trouver tous les deux physiquement au même endroit pendant des jours, ou comme certains, vous pouvez travailler de votre côté et vous envoyer des choses sur lesquelles vous bossez dans votre coin, puis vous les renvoyer, etc. ?

F.O. : La première solution ! On s’enferme ensemble, on jamme, on s’enthousiasme « Hey, c’est quoi que tu viens de faire ? Refais-le ! J’aimerais essayer ça ou ça ! » puis on le répète, puis on l’enregistre, puis on le laisse là pendant quelques années, ou mois, ou semaines, on le ressort, parfois on en fait quelque chose, parfois, pas.

L.G. : On utilise aussi beaucoup nos téléphones pour enregistrer, c’est facile. Ça intensifie le moment. C’est super compressé, on nous entend parler. Au final, ça donne quelque chose de très brutal, et on est facilement emportés par cette énergie, et on se demande « Waw, c’était quoi ça ? ». Ça arrive aussi qu’on répète quelque chose pour un autre projet. C’est comme un gamin à qui tu demandes de ranger sa chambre. Il va commencer, mais il va toujours trouver quelque chose pour jouer, pour s’échapper. En fait, ça renouvelle son imaginaire et sa fantaisie. C’est d’ailleurs la meilleure manière d’écrire. C’est comme ça qu’on a écrit « Isabellade ». En une demi-journée, à peu près.

F.O. : Oui, je me souviens, ça a pris à peu près deux heures.

L.G. : Oui, on bossait sur un truc, je ne sais plus qui a dû partir plus tôt, on est restés juste nous deux, on a bossé sur un autre morceau, puis on s’est dit « Tiens, c’est pas mal, ça ! »

Une sorte de procrastination, mais productive.

L.G. : Oui, exactement. C’est la meilleure manière.

Un peu comme on dirait à de jeunes parents, vous venez de sortir votre second album, « Alors, le prochain ? C’est pour quand ? ». Vous avez déjà des projets ?

F.O. : Je voudrais que ce soit une fille ! Ou asexuel !

Blague à part, je pense sincèrement que vous avez déjà répondu à cette question quand vous avez dit que vous faisiez les choses comme elles venaient et qu’il n’y a donc pas vraiment de plan.

F.O. : N’attendez rien !

Eh bien donc, on va faire ça, on va attendre de ne rien attendre. Ça sortira quand ça sortira, si ça sort, et ça sera bien !

L.G. : Oui, et avant tout, notre but est de comprendre cet album. Comprendre ce qu’on a fait. On va devoir le jouer encore et encore, et en fait le processus commence là. Ça commence quand on joue. L’album était fini il y a longtemps déjà, et en le répétant, on avait déjà envie de faire de nouveaux sons, de la nouvelle musique.

Donc, à partir du moment où c’est fait, ce n’est plus challengeant. Il n’y a pas d’intérêt à refaire de la musique qui est déjà devenue vieille.

L.G. : Oui, mais en jouant les anciens morceaux, de nouvelles choses se produisent, et c’est encore un « Different Kind of Monster », qui est aussi un film documentaire, mais ça n’a rien à voir (rires) (« Some Kind of Monster » sur/de Metallica, ndlr.). Quand on conçoit, qu’on enregistre, qu’on passe par toutes les étapes de production, puis qu’on lance le CD, on se dit que c’est cool. Ensuite, quand on le joue en live, on sait que les choses ont déjà changé.

F.O. : Sans compter que l’album a quelque chose comme 150 pistes enregistrées, donc…

L.G. : Oui, en fait chaque morceau joué en live est une sorte d’hommage à ce que devrait être le morceau, en sachant qu’il ne pourra jamais être ce qu’il était, tout simplement parce qu’on n’est que 2 sur scène, et que c’est impossible de jouer tout.

F.O. : Et surtout s’assurer qu’on prend du plaisir à jouer.

Ça me fait penser au groupe Glauque. Ils ont écrit leurs morceaux, les ont joués, mais n’ont jamais eu le temps d’enregistrer parce qu’ils tournaient et se produisaient. Puis est arrivé ce confinement, donc ils ont eu le temps d’enregistrer, et quand ils sont passés en studio, ils se sont rendu compte que ces morceaux avaient évolué. Ils ont donc décidé d’enregistrer deux versions de certains de leurs morceaux, ce qui apporte une vraie nouvelle dimension à leur musique.

F.O. : Oh ça c’est cool !

Je ne peux que vous inviter à découvrir ce groupe ! Lander, Fulco, merci beaucoup pour ce moment. Je vous souhaite un super concert ! Après une semaine où votre vinyle a tourné non-stop sur ma platine, je suis impatient de vous écouter en live !

F.O. : Oh merci, c’est sympa, ça !

L.G. : Et merci d’avoir fait le déplacement jusqu’ici !

Ce n’est pas si loin, le plus difficile a été de s’extirper des travaux du tram. (rire collégial)

Prochainement, ici même, vous découvrirez un rapide compte rendu du concert donné op Het Depot in Leuven ce soir-là.

Beraadgeslagen
Altijd Bewust Bewegen
W.E.R.F. / N.E.W.S.

Propos recueillis par Quentin Perot