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Le Festival international du jazz Münster (Théâtre Münster, 03 au 05/01/25)
Un petit accent belge…
A l’instar des années précédentes, le directeur artistique du festival Fritz Schmücker a présenté un kaléidoscope musical. Comme toujours lors de ce festival, il s’est concentré sur le jazz européen, ou plus précisément le jazz en provenance d’Europe. Le festival a notamment invité des musiciens de Belgique, d’Italie, de France, d’Espagne, des Pays-Bas, de Bosnie-Herzégovine, du Danemark et de Corée du Sud.
Spotlight 1 : Tyn Wybenga’s Brainteaser Orchestra Ft. Théo Ceccaldi (NL/IT/BE/ES/RO/DK/SI)
Autour du “chef d’orchestre” et compositeur Tyn Wybenga s’étaient réunis les musiciens mentionnés ci-dessous : Nicolò Ricci (saxophone ténor), Kika Sprangers (saxophone), Nabou Claerhout (trombone), originaire d’Anvers, Federico Calcagno (clarinette basse), trois violonistes (!) avec Pablo Rodriguez, Yanna Pelser et George Dumitriu, Pau Sola (violoncelle), Teis Semey (guitare), Jort Terwijn (basse), Jamie Peet (batterie) et enfin Aleksander Sever (vibraphoniste). Le violoniste français Théo Ceccaldi s’est joint à eux en tant qu’invité. Dans le cadre du festival, on a également pu l’entendre une nouvelle fois en trio avec son frère ainsi que le clarinettiste Yom (voir en bas de l’article). Les sonorités sombres, émises par la tromboniste, ont rempli la salle, accompagnées par les tourbillons turbulents des cymbales du batteur. Des violons lyriques ont côtoyé un violoncelle et une basse électrique perçante. Des cymbales ont été frappées sur le tic-tac. Le guitariste a fait résonner des riffs violents et des vagues de sons de cordes se sont déversées dans la salle de spectacle. Les sons du vibraphoniste se sont écoulés comme des cristaux, puis on a de nouveau perçu le souffle profond de Nabou Claerhout. L’orchestration a été à la fois présente et détachée. Il y a toujours eu de l’espace pour l’épanouissement sonore de chaque musicien, comme dans le premier morceau du concert. Puis, le violoncelliste Pau Sola a fait glisser son archet sur les cordes.
Par la suite, les lignes sonores se sont développées de manière ascendante et descendante. Une fusion s’est opérée entre la clarinette basse et les violons. A divers endroits, le dialogue était au centre de l’attention. Dans la voix ne transparaissaient ni lamentations ni sonorités swingantes, ce que la clarinette reproduit habituellement. Federico Calcagno a interprété de manière très dynamique la partie sonore qui lui était attribuée. Les sons de la fanfare, que l’on doit à Nabou Claerhou, se sont mêlés à la ronde des trois violonistes et du violoncelliste, qui se sont livrés à un furioso. Les sonorités graves des trombones ont finalement concentré tout ce que nous avions entendu jusqu’à présent. La prestation de Théo Ceccaldi, violoniste français invité et qui avait apporté deux compositions pour la soirée de concert avec le Brainteaser Orchestra, a été un réel ravissement pour les oreilles.
D’un point de vue purement visuel, Ceccaldi nous a fait penser à Nigel Kennedy, le célèbre violoniste britannique, tant il est vrai qu’ils s’embarrassent bien peu des conventions, de la tenue de scène ou encore du brushing de circonstance ! Ils sont tous deux rebelles, l’un dans le jazz, l’autre dans la musique classique. Des hachures de guitare légèrement atténuées et fragmentées se sont heurtées à un véritable pincement de cordes dont la rythmique a impressionné. Mais on pouvait aussi distinguer des coups d’archet classiques. A cela s’ajoutait le jeu aux claviers, rappelant un peu le son du synthétiseur et se rapprochant du jazz-rock. La répétition des motifs sonores, que l’on doit principalement à Ceccaldi, a aussi été très remarquée. Il y avait certainement quelque chose d’hypnotique dans cette prestation que l’on pourrait qualifier d’expérience « techno ». Au cours du concert, Ceccaldi a accentué le côté décalé. Il ne s’agissait pas tant de la fluidité mélodique que d’un « pogo sonore ». Le deuxième jour du festival s’est ouvert sur un concert au sein de la petite salle du théâtre de Münster. Après le quatuor de la tromboniste Nabou Claerhout, c’était au tour du « Chaerin Im Quartet » de laisser sa carte de visite musicale. Le pianiste espagnol Daniel Garcia Diego et son groupe se sont ensuite produits dans la grande salle.
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Nicoló Ricci & Nabou Claerhout © Ferdinand Dupuis-Panther
Spotlight 2: Claerhout / Baas / Gaddum / Peet (BE/NL)
Le concert acoustique a débuté avec l’interprétation de « Greyhair, blue shirt and brown glasses ». Les formes sonores à ondes longues du trombone se sont mêlées aux gouttes d’eau qui perlèrent des cordes de la guitare. Une basse bien ancrée s’est également distinguée. Ensuite, le batteur Jamie Peet nous a gratifiés d’une frénésie de cymbales. Il a semblé accélérer le tempo ici et là, en incitant les autres musiciens à suivre le rythme. Puis, un peu plus loin dans le morceau, Glen Gaddum nous a offert quelques envolées en basse fréquence. Mais c’est la soufflerie de Nabou Claerhout qui nous a laissé l’impression auditive la plus forte.
Le solo du guitariste Reinier Baas, en particulier, nous a transportés dans une suite de moments mélodiques fluides et nous avons eu l’impression de suivre des méandres sonores. Ici et là, on percevait aussi des sauts périlleux de vagues sonores. Certains auditeurs ont sans doute songé aux impressionnantes estampes japonaises représentant des motifs marins. Ce que nous avons entendu dans le deuxième morceau, dont l’ouverture était assurée par le guitariste, rappelle un peu les bardes des années 1970 et leurs chansons. On aurait dit que la tromboniste reprenait les lignes lyriques de la chanson. Sur de longues périodes, le quatuor s’est transformé en trio. A cette occasion, on a pu apprécier un solo de basse très détaillé. Par ailleurs, il n’y avait aucune trace d’austérité et de restriction que l’on aurait pu associer au titre « Orthodoxe ». Faute d’une idée de titre percutante pour la composition, le morceau suivant en est resté à “1.0-2.0-3.0” (Nabou Claerhout). Certains auditeurs dans la salle se sont probablement demandé où se trouvait le cor des Alpes. Il est vrai que la tromboniste a créé, par moments, une atmosphère sonore ressemblant aux concerts de cor des Alpes. L’impression auditive qui nous a été transmise, lors de la chanson “F*cker” (Nabou Claerhout), n’avait rien d’une transition « zappaesque ». Et nos oreilles se sont régalées lors du jeu du guitariste, qui nous a également fait croire qu’il jouait des airs italiens sur une mandoline. Mais tout cela a été brisé par les sonorités émises par la tromboniste. Tout portait à croire qu’elle lançait un véritable « air de trombone ».
Spotlight 3: Chaerin Im Quartet (KR/NL/BE/DK)
Sans la pianiste Chaerin Im, indisponible, un trio composé du guitariste néerlandais Siebren Smink, du bassiste électrique belge Matteo Mazzú et du batteur d’origine danoise Ludvig Søndergaard nous a d’abord emmenés dans un voyage sonore très marqué par le jeu de pédales et de curseurs de modulations électroniques. Parfois, on avait l’impression d’entendre des sons sphériques et des motifs sonores échantillonnés. Que l’on entende le guitariste ou le bassiste électrique jouer, il y avait toujours des extensions et des mutations électroniques. Des tentatives de transe se sont heurtées à des lignes de basse et à des percussions douces.
Puis, au milieu du processus sonore, la pianiste est entrée sur scène telle une diva en se comportant comme si elle était importante. Elle a dirigé le son en jouant du synthé et sur un piano à queue. Au cours du concert, l’idée d’un reloading 2.0 de compositions d’Alan Parsons Project et de Mike Oldfield a fait son apparition. Mais « Tubular Bells », c’était hier … Les attentes envers le quatuor auraient-elles changé ? Oui, la musique présentée était bel et bien de la pop, mais nous ne dirons pas s’il s’agissait de l’indie pop. Les compositions semblaient être rythmées de A à Z, sans gestes sonores sauvages, sans extravagances. Quant au saxophoniste ténor Nicolo Ricci, il a joué avec verve et conféré une autre dimension sonore aux deux derniers morceaux.
Spotlight 4: Daniel García Diego Sextet (ES/NL/IR/BA)
Dans la grande salle, qui affichait complet pour l’occasion, le pianiste espagnol Daniel García s’est présenté avec son sextet : Reinier Baas (guitare), Arin Keshishi (saxophone), Miron Rafajlović (trompette), Shayan Fathi (batterie et percussions) et Delaram Kafashzadeh (chants). Ces musiciens ont allumé une véritable « flamme musicale » avec une suite en plusieurs parties, grâce notamment au brio du trompettiste et du guitariste. La narration musicale que nous a présentée le sextet nous a fait penser à l’époque d’Al Andalus, ne fût-ce que très sporadiquement. Et lorsque Delaram Kafashzadeh élevait sa voix, parfois plaintive, on percevait le flamenco, mais aussi le fado dans toute sa mélancolie. La vocaliste, emportée dans ses onomatopées – ou chantait-elle même en arabe ? – s’est jointe aux sonorités finement ciselées de la trompette.
Daniel García a joué habilement du clavier du piano à queue, tout comme il a su saisir le corps de l’instrument pour en pincer les cordes tendues. L’auditeur a vécu des moments de rock, grâce, entre autres, à Reinier Baas. De temps en temps, on aurait cru percevoir des fragments de « Friday Night in San Francisco ». Le pianiste, quant à lui, semblait parfois s’aventurer dans les contrées de la musique classique et jouer « à la Chopin ». Le jour de la clôture du festival, le prix Westfalen Jazz de cette année a été remis à la pianiste et vocaliste Clara Haberkamp dans la grande salle. Après le concert des lauréats, la scène accueillait YOM x CECCALDI BROTHERS.
Spotlight 5 : Clara Haberkamp TRIO (DE/NO)
Comme nous l’a expliqué Clara Haberkamp, des compositions de l’album « Plateaux » ont été présentées. Nous avons commencé par écouter « Fantasme ». Ce que nous avons perçu en termes de sonorités est en partie méditatif et légèrement mélancolique. Le batteur a joué tout en douceur, n’hésitant pas à caresser les cymbales et les peaux avec des mouvements organiques et à danser légèrement avec les baguettes. Le trio a ensuite interprété “Cycle”. La basse frottée a brisé le son ruisselant des touches. Les bords des cymbales ont été brièvement touchés. Cela n’a pas forcément produit un son durable. Pourtant, peu à peu, la dynamique s’est installée et a fait son lit. Les sonorités ont ruisselé vers un fleuve puis se sont écoulées dans un delta. Marlene Dietrich n’a pas été enregistrée avec sa voix lorsque Friedrich Holländer a joué « Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt », en variant le thème à de multiples reprises. On en est resté à une interprétation instrumentale – et c’était très bien ainsi. D’une certaine manière, la muse légère n’était pas une expérience unique.
Avec une interprétation de « If You Could Read My Mind », du chanteur et compositeur folk canadien Gordon Lightfoot, l’auditeur a véritablement plongé dans l’univers de la culture pop. Et le titre « Danny Boy », l’hymne national non officiel de l’Irlande, selon Clara Haberkamp, s’y prêtait admirablement.
Spotlight 6 : Yom X Ceccaldi Brothers (FR)
Le trio composé du clarinettiste Yom et des frères Ceccaldi, Théo (violon) et Valentin Ceccaldi (violoncelle), a donné une représentation de concert intitulée « Rythme du silence ». Au commencement, tout n’était que silence pur, recueillement et méditation. La salle était alors profondément silencieuse. Ce n’est qu’après cette phase de concentration que Valentin Ceccaldi a commencé à tirer un plong profond de son violoncelle. Cela ressemblait à la chute, maintes fois amplifiée, d’une goutte d’eau dans un lac. Le jeu du violoncelliste nous a également fait penser à une horloge qui sonne les heures.
Puis, Yom nous a offert des sons de flûte, un tantinet orientaux, même s’il jouait sur une clarinette. Cet instrument ne sonnait-il pas presque comme une zuma ? En même temps, il semblait y avoir ici et là des emprunts à la musique klezmer. Les passages sonores que Théo Ceccaldi a tirés de son violon, moins avec le coup d’archet qu’en le pinçant et en le frappant avec les doigts comme une guitare, étaient fascinants. C’était aussi à lui de participer au processus dynamique de la soirée. Le violoncelliste, quant à lui, dictait plutôt le rythme, stoïquement. Il se substituait, en quelque sorte, au percussionniste.