Le label Laborie sort deux disques de pianistes
Encore peu connu chez nous bien qu’il se soit déjà produit en Belgique, le pianiste Simon Denizart en est à son quatrième album. Les trois premiers ayant été produits au Canada où il a beaucoup joué, notamment au Festival de Rimouski, bien connu des fidèles du « Jazz à Verviers » qui organise des échanges avec ce festival des bords du Saint-Laurent. Après deux albums en trio et un solo, voici le pianiste dans une formule à deux. Ici, ni contrebassiste, ni souffleur, mais bien un percussionniste spécialiste de la calebasse, Elli Miller Maboungou. Ayant lui aussi beaucoup travaillé au Canada, Elli a son propre groupe afro-jazz, « Jazzamboka », et a remporté un prix de « la meilleure composition » au réputé Festival de Jazz de Montréal. Intituler son album « Nomad » est plein de sens pour ces deux artistes, un d’origine africaine et l’autre qui, depuis sa France natale, a parcouru les routes du Canada, de l’Ouest américain et du Maroc. Dès la première écoute, on est intrigué par les sonorités originales du duo. Si le piano domine, il laisse souvent, au cours de longues phrases répétitives, la possibilité aux percussions de participer au discours, ce qui est le cas dès le titre éponyme « Nomad » qui ouvre l’album en un moment de douce rêverie alanguie. « Last Night in Houston » s’étire sur une obsédante phrase ponctuée d’accords, suivie d’un jeu percussif sur lequel Elli prend du plaisir à jouer le contrepoint. « Square Viger » joue sur le contraste entre dynamique de l’intro et partie centrale plus lyrique. Et puis quel beau moment de quiétude avec « Manon » et son final tout en toucher. « Oldfield 2.0 » n’a pas besoin de longs discours, la référence est là. « Lost in Chegaga » est sans doute le moment où la virtuosité d’Elli Miller Maboungou est le plus mise en évidence, avant le final « Outro », trente secondes de délicatesse pour clôturer cet album court – 36’40 – mais d’une belle intensité. Une musique qui va directement à l’essentiel, pleine d’images, d’énergie et aux sonorités souvent inédites.
Autre découverte du label de Jean-Michel Leygonie, ce trio Rouge, formé de Madeleine Cazenave au piano, Sylvain Didou à la contrebasse et Boris Louvet à la batterie. De formation classique (Conservatoire de La Rochelle, puis Toulouse et Bordeaux) Madeleine Cazenave élargit sa palette, s’étendant autant de Satie à Ravel, que de Chick Corea (surtout les « Children’s Songs ») au « Köln Concert » de Keith Jarrett, se nourrissant autant des impressionnistes français que de l’improvisation. Déjà sur « Petit Jour », se ressentent ces influences au travers d’un toucher superbe, d’une texture sonore d’un grand lyrisme tout au long de ces huit minutes qui en paraissent trois. « Etincelles » avec son petit air hispanisant offre l’espace à un solo de batterie sur une phrase obsédante au piano qui contraste avec le solo de contrebasse posé sur le jeu du clavier. « Abysses » est construit sur un accompagnement de piano qui met en évidence le jeu de Sylvain Didou à la contrebasse, à la fois à l’archet et en pizzicati, entre grincements de cordes et clarté du grave. « Brumaire », au départ d’une mélodie simple qui colle à l’oreille, quasi romantique, s’envole sur un tempo énergique avant un final apaisé, superbe. « Cavale » contrairement à ce que le titre laisse imaginer, n’a rien d’une envolée chevaleresque, mais clôture l’album tout en finesse et en douceur, sur un tapis déposé par les balais de Boris Louvet, quoique… De petits instants rythmiquement forts viennent chambouler l’écoute, attirant encore un peu plus l’auditeur à la découverte d’une pianiste originale, au jeu à la fois imprégné de poésie, de jubilation, de nuages et d’éclaircies.