Loriers/Postma/Aerts, Le peuple des silencieux
Nathalie Loriers, Tineke Postma, Philippe Aerts :
“Le peuple des silencieux” Live at Gaume (WERF)
Ces dernières années, on avait surtout entendu Nathalie Loriers en trio piano-basse-batterie (“Walking Through Walls”, “Silent Spring”, “Les trois petits singes”) ou en quartet avec Bert Joris (“Moments d’éternité”, avec, en plus, un quatuor à cordes). Pourtant, il ne faut pas oublier qu’elle avait enregistré ses premiers albums avec un saxophoniste (“Nymphéas” avec Kurt Van Herck, “Discoveries” avec Lee Konitz, “Dance Or Die” avec Jeroen Van Herzeele) mais sans toute fois aborder la formule d’un trio piano-saxophone-contrebasse. C’est la proposition que lui a faite Jean-Pierre Bissot, pour l’édition 2013, du Gaume Jazz Festival et dont le concert live sort aujourd’hui sur le label WERF. A la contrebasse, un fidèle complice, Philippe Aerts, l’assurance d’une parfaite fluidité mélodique. Aux saxophones soprano et alto, la Néerlandaise Tineke Postma, une musicienne à la discographie déjà abondante. Dès 2005, le magazine “papier” Jazzaround avait proposé la chronique de l’album “For The Rhythm”, gravé en compagnie du pianiste Rob Van Bavel et de l’Américaine Terri Lyne Carrington à la batterie ainsi que du dévédé “Live In Amsterdam”, enregistrement live réalisé au célèbre Bimhuis. Cette année, la volubile saxophoniste vient d’enregistrer “Sonic Halo”, avec le saxophoniste américain Greg Osby et avec Matt Mitchell, le pianiste de Dave Douglas. De sérieuses références pour cette musicienne formée au Conservatoire d’Amsterdam puis à la Manhattan School of Music avec des professeurs comme Dave Liebman et Chris Potter mais aussi un fameux sens de l’écoute et du partage: “This have been a magical encounter, dit Nathalie Loriers dans le texte de pochette. From the very first notes it proved easy, inspiring, swinging, conducive to novel explorations… always bearing in mind what kept each of us tick while leaving plenty of room for a cheerful, playful and challenging approach.” Au répertoire de l’album, outre une très belle version de How Deep Is The Ocean d’Irving Berlin, tout en équilibre entre sens du rythme et pureté de la ligne mélodique, cinq compositions originales de la Namuroise. Pour débuter, Canzoncina, un hommage intimiste à un pianiste qu’elle apprécie beaucoup, Enrico Pieranunzi, un des maîtres du lyrisme mélodique (ce morceau figurait déjà sur l’album “Les trois petits singes”). Cela nous vaut une très belle intro en piano solo, suivie bientôt par la contrebasse de Philippe Aerts et le soprano de Tineke Postma: les trois voix s’imbriquent les unes dans les autres avec une parfaite limpidité mélodique. Suit le thème Lennie Knows, plus swing, avec un beau soutien de la contrebasse et une envolée aérienne de l’alto. Vient ensuite Dinner With Ornette and Thelonious, une référence à laquelle on ne s’attendait pas fatalement, mais qui, après une belle intro de contrebasse, voit son thème sautillant être exposé à l’unisson par le piano et le soprano. Le titre éponyme a, quant à lui, été écrit en mémoire de Charlie Haden, en référence peut-être à la troublante mélodie de Silence, une composition que le contrebassiste a enregistrée, notamment, avec Chet Baker et Enrico Pieranunzi (album de 1989). Une longue plage remplie de mélancolie, dans laquelle piano et saxophone alto se répondent en parfaite complicité. Enfin, Funk For fun, au tempo volontiers funky, prouve que la Namuroise peut aussi bien swinguer, en parallèle avec l’envolée du soprano. La captation live, mixée au studio Igloo par Daniel Leon, a cet avantage de s’inscrire dans la durée (les six plages gravées ici vont de 8’30 à 12’15) et de permettre à chacun de s’exprimer ad libitum dans de somptueux solos. Le concert donné en octobre au Brugge Jazz Festival a montré tout le pouvoir créatif et réactif de chacun. A découvrir maintenant sur disque…
Claude Loxhay