Luciano Biondini, Senza Fine

Luciano Biondini, Senza Fine

Luciano Biondini, Senza Fine (Intakt Records)

WWW.INTAKTREC.CH

Né le 1er janvier 1971 à Spoleto, Luciano Biondini fait partie, aux côtés de Richard Galliano, Jean-Louis Matinier ou Vincent Peirani en France, de Gianni Coscia et Antonello Salis en Italie ou Tuur Florizoone chez nous, de ces musiciens qui ont rendu toutes ses lettres de noblesse à ce que certains appellent le “piano du pauvre”, en révolutionnant à la fois ses répertoires et sa technique de jeu. S’il a principalement été révélé au grand public au travers de sa collaboration avec le joueur d’oud Rabih Abou Khalil (“Morton’s Feet”, avec Giovanni Mirabassi et Michel Godard), Luciano Biondini s’est aussi révélé un partenaire idéal au sein de duos empathiques : avec le saxophoniste argentin Javier Girotto, le trompettiste italien Fabrizio Bosso, le contrebassiste français Renaud Garcia Fons ou sa compatriote Rita Marcotulli (splendide album “La Strada Invisible”). La complicité avec ses partenaires est particulièrement palpable en concert live. Que ce soit avec Javier Girotto (Festival Jazz Brugge 2010) ou Rita Marcotulli (Jazz Brugge 2014), c’est les yeux dans les yeux avec le partenaire qu’il joue, c’est dans le regard de l’autre qu’il lit sa partition. Mais Biondini est aussi un véritable expert du solo comme le montre ce “Senza Fine” enregistré en décembre 2014, pour Intakt, label suisse pour lequel il avait déjà gravé les albums “Mavi” et “What’s There What Is Not”, en trio avec Michel Godard (tuba, serpent, basse électrique) et Lucas Niggli (batterie). Au travers de cet album solo, Biondini revisite, de manière très personnelle, une série de grands succès de quelques chanteurs-compositeurs populaires italiens, ces “cantautori” qui ont inspiré Paolo Fresu, Enrico Rava ou Tiziana Ghiglioni (son album dédié aux chansons de Luigi Tenco, en compagnie de Gianluigi Trovesi et Paolo Fresu). C’est le cas de Senza Fine, qui donne son titre à l’album, et Che cosa c’è, chansons écrites par Gino Paoli dans les années 1960 et typiques de l’âge d’or de la chanson italienne, celui du Festival de San Remo. Il reprend aussi La lontananza et Tu si’na Cosa Grande de Domenico Modugno, l’auteur des légendaires Volare et Ciao, Ciao Bambina; des titres de Fiorenzo Carpi, comme ce Gepetto composé pour “Le Aventure Di Pinocchio”; d’Eugenio De Curtis (Non Ti Scordar Di Me qu’interpréta notamment Luciano Pavarotti); de Pino Daniele (Napule è) et le thème central de “Cinema Paradiso” écrit par Ennio Morricone. A ces thèmes populaires, viennent s’ajouter trois courtes compositions de Biondini (Stagione, Libero 1, Libero 2) qui s’inscrivent parfaitement dans cette volonté de trouver son inspiration dans cette tradition populaire ancestrale si typique du bassin méditerranéen. Si parfois Biondini se limite à interpréter la mélodie stricto sensu (In Cerca Di Cibo, La Lontananza, Napule è), il la développe souvent de manière totalement personnelle, en la prolongeant dans de surprenantes improvisations (les quelque deux minutes trente de Senza Fine, Che cosa c’è ou Lucignolo passent à 5 à 6 minutes). Il fait alors preuve d’une étonnante indépendance entre les deux mains : il réussit cette performance de jouer la ligne mélodique d’une main, tout en répétant en parallèle, de l’autre, un motif obsessionnel de basse, tel un bourdon. Parfois, la mélodie s’accompagne d’un motif rythmique, en utilisant le corps de l’accordéon comme instrument de percussion (Libero 1). En fait, que ce soit sur tempo lent (Cinema Paradiso) ou rapide (Napule è, Senza Fine), il se dédouble pour dialoguer avec lui-même. Un album gorgé d’émotion.

Claude Loxhay