Manu Katché, let’s dance !
Manu Katché, let’s dance !
Qu’il joue avec Peter Gabriel, Sting, Joni Michell, Marcus Miller, Youssou N’Dour, Jan Garbarek ou sur ses propres productions chez ECM ou Anteprima, Manu Katché imprime de sa personnalité toutes les musiques auxquelles il touche. Il surprend aussi : entre «Neighbourhood», son premier opus chez ECM et son tout chaud – dans tous les sens du terme – « The ScOpe », les univers changent, mais toujours avec la même élégance. Rencontre.
Propos recueillis par Jean-Pierre Goffin
La pochette d’un album est toujours la première chose à laquelle on s’accroche, un élément pourtant souvent négligé. Pas chez vous. Est-ce bien vous sur la photo ?
C’est moi ! Elle a été réalisée par un photographe de mode que j’ai découvert en visitant une exposition photos à Paris, ce que je fais régulièrement. Il y avait plein de photos de femmes dénudées avec des stries et j’ai trouvé ça beau et impressionnant. J’ai contacté le photographe lorsqu’il s’est agi de préparer la couverture, j’avais envie de quelque chose un peu « roots », une façon de savoir d’où je viens, et aussi un truc un peu électro à cause de la musique de l’album. Ce principe de photo n’est pas du tout un truc fait à l’ordinateur, ce n’est pas un « plug in », je suis entré dans une cage noire avec les yeux fermés, il y a un tube néon devant lequel le photographe bouge très rapidement les mains, ce qui donne ces stries. Il n’y a pas d’ajout par ordinateur si ce n’est la petite tache de couleur. Sinon, c’est totalement argentique.
Le côté visuel a beaucoup d’importance chez vous.
Ça vient de loin… Ma maman travaillait chez Dior quand j’étais petit, j’étais donc toujours très bien habillé avec des matériaux de grande qualité car ma mère me faisait mes vêtements… ce dont j’ai souffert à l’adolescence, parce qu’elle ne voulait pas que je mette de jeans ! J’ai toujours évolué dans ce milieu proche de mon enfance, et j’ai toujours eu une sensibilité quant aux matières. J’ai aussi fait de la musique classique où il y a aussi un sens de l’esthétisme poussé ainsi qu’un sens de l’interprétation, de la précision, il y a peu de tolérance, ça donne un format. Je n’ai jamais fait de free, je préférais ce qui était structuré, ce qui est aussi lié à l’esthétisme, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Tout ça vient de mon enfance, de même qu’en faisant de la danse classique, j’ai développé une gestuelle, j’aime le rapport au corps, ce qui nous ramène à la batterie. Il y a plein de mecs qui sur cet instrument tapent sans lever la tête, sans sourire, sans penser que par la présence sur scène on transmet aussi quelque chose par sa manière d’être, par sa manière de s’habiller. Le regard que les gens ont sur moi en scène est important, je fonctionne comme ça. Il y a un sens chorégraphique, physique dans ma présence sur scène. Ça me vient sans doute de la période où je jouais avec Peter Gabriel… On jouait dans de grandes salles, et le batteur qui est souvent placé en retrait, doit frapper pour envoyer du son et pour marquer sa présence à ceux qui sont au fond de la salle. J’ai développé cette gestuelle à la batterie qui est un peu particulière et qui fonctionne avec mon jeu.
Il y a un côté carrément dansant sur ce nouvel album.
Les albums précédents sont un peu plus posés, on insistait plus sur les mélodies avec les cuivres en avant et moi en retrait. Ici, c’est plutôt l’inverse, la batterie est devant et avec les machines, il y a une volonté de « conviviale rythmique » et les instruments sont essentiellement électroniques, ce qui joue sur le son, même si il y a aussi des réminiscences harmoniques et mélodiques, mais ça sonne complètement différent des albums précédents.
Vous avez travaillé sur le son avec un jeune Belge qui se fait appeler Jim Henderson, en fait Elvin Galland.
Très doué, ce petit Belge ! (NDLR : Elvin est le fils du batteur Stéphane Galland) On s’est rencontré sur «Unstatic», il a eu envie de remixer des tracks façon électro. Ensuite, je lui ai demandé de travailler sur mon nouvel album. On a commencé par cinq titres qu’on a emmené ensemble jusqu’au mixage, fait en Belgique. Ça ne me plaisait pas trop, j’avais besoin de quelque chose qui me définisse, que je puisse revendiquer… et j’ai décidé de recommencer à zéro et on est arrivé à quelque chose qui fonctionne avec ce que je suis. En mêlant mon expérience et sa jeunesse, sa spontanéité, on est arrivé à quelque chose qui marche bien, et Elvin est carrément sur scène avec nous lors des concerts. On a les computers, les machines, les claviers sur scène, on a la voix de sa sœur Keyla, on a les visuels synchro avec la musique. La matière de « Scope » est sur scène, avec aussi de larges plages d’improvisation. A quatre, on fait le travail de dix sur scène !
Vous avez aussi écrit des textes.
J’ai toujours écrit. J’ai écrit un livre et un autre sortira en novembre chez Grasset. Pour l’album, c’est venu au moment de la composition, ça fonctionnait bien… Mais il y a aussi le texte de Jazzy Bazz sur Paris Me Manque et de Jonanth Brooke sur Let Love Rule. Je ne connaissais pas cette chanteuse que j’ai découverte aux Etats-Unis lors d’un concert et j’ai trouvé sa voix superbe, de la folk blanche américaine où on retrouve l’héritage de Joni Mitchell, cette musique très présente aux USA qui va vers la country. Quand j’ai écrit cette chanson, la voix de mec ne collait pas et mon producteur a suggéré que je lui envoie un e-mail, et elle a répondu tout de suite. Je lui ai envoyé les pistes et le lendemain, elle me les renvoyait avec sa voix et son texte… Une voix pure et profonde que j’adore, c’était ce que je pouvais imaginer. Malheureusement, comme elle habite à Minneapolis, c’est difficile de l’avoir sur scène ici.
Sur Vice, vous avez fait appel à Faada Freddy.
Je l’ai rencontré au Sénégal. Il a un vrai positionnement dans sa manière de chanter, loin des griots africains, assez moderne. Quand on a fait le morceau avec des réminiscences africaines, j’ai pensé à une voix qui vient de là-bas. Je l’ai contacté et lui ai laissé carte blanche. Il chante beaucoup plus calme sur Vice que sur ses propres albums, je le connaissais dans son registre et je ne savais pas ce que ça allait donner dans ma musique. C’est un personnage discret qui fait plein de choses différentes.
Rap, slam, Afrique, folk, mais un son d’ensemble qui colle, me semble-t-il, à l’esthétique de Bristol, Portishead, Massive Attack…
C’est un beau compliment, j’adore, je n’y ai pas pensé. Le liant est pour moi la batterie avec un mix de qualité… C’est drôle de dire ça pour Bristol, parce que j’ai fait un projet il y a environ un mois avec le guitariste de Portishead, Adrian Utley. La scène de Bristol est une belle scène qui influence pas mal le jazz.
On parle d’album de plaisir… mais avez-vous déjà réalisé des albums sans plaisir ?
C’est un album de plaisir partagé, ça veut dire que le rendu sur scène donne du plaisir au spectateur, si il a envie de bouger, il bouge, envie de danser, il danse… Les albums précédents étaient aussi des albums de plaisir, le plaisir un peu plus pointu d’écouter avec des références musicales, culturelles… « Scope » parait plus simpliste, même si il ne l’est pas, mais il est dans l’accessibilité. Les albums ECM étaient sans doute un peu plus difficiles d’accès, alors qu’ici, le plaisir de taper dans les mains, il est immédiat.
Manu Kartché sera en concert au « Dinant Jazz » le 27 juillet avec Alex Tassel et le 28 juillet avec son nouveau projet « The ScOpe ».
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