Manu Katché, l’initiation par les rythmes.
120 concerts à travers le monde, de New York à Tel-Aviv, et de Montréal à Tokyo, Manu Katché poursuit son travail de médiateur des musiques actuelles grâce à « One Shot Not », émission musicale produite par Arte TV, de retour dans la grille des programme, et pour cet été, on peut déjà annoncer une carte blanche à Juans Les Pins !
Depuis le début de sa carrière, d’Alain Souchon à Sting, en passant par Peter Gabriel ou Joni Mitchell, et, pour les plus férus, le groupe Zao, à l’avant-garde du jazz-rock européen, tous ces univers musicaux ont été contaminés par la science des rythmes de Manu Katché. D’origine sociale modeste, Katché suivra tout de même une formation classique, notamment au piano, et, pour arrondir ses fins de mois, il n’hésitera pas à mouiller sa chemise devant les pistes de danses ou au service d’artistes de la variété française. Une véritable école de vie qui va conforter son appétence pour la diversité et son rejet de l’intolérance.
Manu Katché signe la majorité des compositions pour « Third Round », dernier album enregistré pour le label ECM (Editions of Contemporary Music). Rappelons ici que la collaboration de Manu Katché avec ECM – label a profondément marqué le jazz de la fin du XXème siècle – commence déjà à la fin des années 1980. En effet, au volant de sa voiture, Manfred Eicher, le fondateur d’ECM, entend un titre de Robbie Robertson, diffusé par une radio munichoise. Il s’arrête sur le bas-côté de la route pour pouvoir noter le titre de l’album. Intrigué par le jeu du batteur, Eicher fera tout pour le rencontrer.
Même si l’adoubement définitif prendra du temps, dès 1990, on retrouve Manu Katché sur l’album « I Took Up the Runes » du saxophoniste norvégien Jan Garbarek, une des grandes stars du catalogue munichois ECM, avec un certain Keith Jarrett. En 2005, vient enfin la consécration pour Manu Katché, avec « Neighbourhood », premier cédé à son nom et avec ses compositions !
Entre les enregistrements de l’émission « One Shot Not » et ses concerts en clubs, avant la déferlante des festivals de jazz de cet été, Manu Katché sait se rendre magnifiquement disponible pour répondre aux questions, grâce à la magie de la Grande Toile !
Dans une interview pour Jazzman, vous définissiez votre jeu ainsi « … je suis devenu un batteur de rock avec une attitude… » Le jazz comme attitude, s’agit-il d’une vision du monde, d’une appréhension des musiques actuelles avant tout ouverte ? « Batteur de rock », est-ce pour souligner une préférence pour les rythmes binaires ?
L’attitude est ce que vous proposez avec votre instrument, c’est-à-dire dans quelle direction vous voulez aller et de quelle couleur vous voulez peindre tel ou tel morceau.
L’attitude « Jazz » dont ont dit de moi certains artistes rocks anglo saxons, exprime la liberté de mes patterns et ma manière de mettre en forme les morceaux joués… effectivement plus libre que le classique (rock beat) souvent employé dans la musique rock !
Plus loin dans cet entretien avec Francisco Cruz, vous commentez les nombreuses collaborations dans le domaine de la variété en mettant en avant la réalité de la vie au quotidien, le besoin de subvenir à ses besoins et à ceux d’une famille… mais ne pensez-vous pas que la pratique des bals du 14 juillet, entre autres, peut-être un excellent apprentissage pour un musicien de jazz ?
Je n’en sais rien et n’ai aucun avis là-dessus. Ce que je crois en revanche c’est qu’il n’y a absolument aucune règle pour atteindre son but musicalement, (conservatoire, bals, jams, groupes, etc…) tout est au bon dès l’instant où l’on sait quel but on veut atteindre!
L’œuvre de Miles Davis, une de vos références majeures, présente plusieurs périodes. Vous êtes plus « Kind Of Blue », « Bitches Brew » ou « Doo-bop »?
J’apprécie énormément les trois périodes citées! Je suis très respectueux de cet artiste et de ce qu’il a réussi à mener tout au long de sa vie musicale! en perpétuelle recherche et remise en question.
Ne partagez-vous pas avec Miles le goût de la “note juste”, l’économie et la précision plutôt que l’avalanche de notes et d’accords ?
Oui, mais je ne crois certainement pas être le seul… Il me semble important et primordial, dans la musique, de ressentir les choses et les espaces, si tout est rempli, il n’y a plus d’air et de fait les silences disparaissent, alors que c’est grâce aux silences que les notes de musique ont leur raison d’être!
L’émission « One Shot Not » constitue-t-elle une carte blanche permanente pour Manu Katché ou composez-vous le programme avec une équipe ? À partir de quels critères ?
L’idée de « One shot not » est la mienne, je l’ai proposée et ARTE a accepté de la diffuser. Il est vrai que cela ressemble à une carte blanche, mais j’ai une programmatrice qui travaille avec moi et qui de concert établi une liste d’invités cohérente musicalement et artistiquement pour chaque numéro; quoi qu’il en soit j’ai « le final cut », de la programmation,du tournage et du montage. Les critères de choix sont les miens, les invités que je choisis doivent être capables de performer « Live » et avant tout, que leur musique me touche, effectivement, si je ne suis pas sensible à leur musique, je n’ai aucune raison de les programmer.
Quelles rencontres se sont déroulées et concrétisées grâce à l’émission ?
Jusqu’à présent, la personne que je revois régulièrement est l’artiste Fink. Je ne demande pas aux artistes de vouloir systématiquement collaborer avec moi, mais il y a en a beaucoup avec lesquels des idées de projets ont été évoquées, pour le moment je suis en tournée avec mon quartet et ne suis pas disponible pour m’en occuper…
Avez-vous ressenti des attitudes hostiles à la sortie de votre premier album jazz… le lot des artistes qui ne peuvent se contenter d’une étiquette ?
Je ne l’ai pas ressenti, je l’ai lu dans certaines critiques (plutôt très mal écrites d’ailleurs), par des gens se prenant pour des journalistes critiques musicaux, mais qui ne sont finalement que des musiciens frustrés de n’avoir pas réussi à pénétrer le monde de la musique, et lorsque quelqu’un comme moi à la chance et le privilège d’évoluer en faisant des choses remarquées, ils ne peuvent s’empêcher d’être négatifs de façon gratuite sans aucune analyse, souvent à côté du sujet avec un manque réel de distance et de pertinence, simplement par jalousie et amertume!!
Quels sont vos rapports aux nouvelles technologies de l’informatique ? Utilisez-vous un MP3 ? Comment composez-vous le contenu de ce lecteur ? Un mélange de « classiques » et de nouveautés ?
Bien entendu comme la plupart de la population, j’utilise un lecteur MP3 et je télécharge « légalement » de la musique en ligne. Le contenu de mon lecteur est très éclectique, de la musique classique en passant par la pop, la Soul, le folk, la world et le Jazz, des années 60 à nos jours en revanche ne figurent pas les albums sur lesquels j’ai joué !
Vous composez au piano, utilisez-vous un logiciel particulier pour l’écriture et l’arrangement… transmettez-vous vos premières ébauches par Internet pour les partager avec vos complices avant d’entrer en studio ?
Je compose effectivement au piano, pour réellement entendre les accords sonner. Une fois que je suis satisfait de la base harmonique et que la mélodie fonctionne, j’utilise le logiciel « Logic » et enregistre piano, basse, batterie et l’instrument soliste. Quand tous les morceaux sont terminés, j’édite les partitions pour chaque instrumentiste et je leur envoie le tout afin qu’ils puissent déjà discerner dans quelle ambiance, j’ai envie de me diriger.
Avez-vous déjà eu l’occasion de jouer avec Toots Thielemans ? J’ai souvent eu l’occasion de dialoguer avec Toots sur son travail quotidien, sa façon de rester curieux, ouvert aux nouvelles générations… Croyez-vous aussi à la « healing force » de la musique, des musiques ?
Malheureusement, jamais, c’est drôle, car hier j’écoutais justement un morceau avec lui et Pat Metheny…
Le travail quotidien, outre la pratique de son instrument, c’est à mon sens tout ce que la vie propose!, cinéma, théâtre, livres, rencontres, voyages, etc… Chaque chose est riche en expériences et souvent ce que l’on en retire, sans le savoir, va enrichir notre sensibilité et notre émotion, en prise directe avec la manière de délivrer son art quel qu’il soit. Pour la musique des musiques « Healing force », je n’en ai pas fait l’expérience à ce jour, donc je resterai pour l’instant: plutôt neutre et sans avis….
Comme observateur des scènes musicales, une impression domine : le décloisonnement entre genres et styles semble s’installer durablement, tant entre musiciens (ce qui n’est pas une nouveauté) mais surtout aussi au niveau des publics. Les jeunes générations reproduisent ce qu’Internet leur permet : le zapping. Partagez-vous ce sentiment ?
Il est évident que depuis la généralisation d’internet, les gens de tout âge et de tous bords prennent l’habitude de mélanger les genres, leur oreille se forme doucement à cette nouvelle tendance. Il est plus qu’important de ne pas mettre de côté et oublier les maitres et références qui nous ont permis d’en arriver là aujourd’hui, mais sincèrement je pense que les mélanges peuvent être positifs et créatifs dès l’instant ou ils sont réalisés par envie et par plaisir et non dans une démarche économique et commerciale, dans ce sens uniquement, ils sont l’avenir !
(un premier extrait de cet entretien a été publié en juillet 2010 dans la version bilingue et papier de Jazzaround – les informations ont été mises à jour)
Entourage totalement renouvelé pour ce troisième album publié chez Ecm : des musiciens plus proches du répertoire décloisonné de Manu Katché, comme le bassiste Pino Palladino ou le pianiste Jason Rebello, tous deux aux confins de la soul et du jazz. Mais aussi le saxophoniste Tore Brunborg, lyrique, au jeu plus retenu que Jan Garbarek, ainsi que le guitariste Jacob Young, né en Norvège (Lillehammer), mais de père américain, membre de l’écurie ECM depuis 2004, avec l’album « Evening Falls ». On regrettera cependant de n’entendre la voix de Kami Lyle que pour Stay With You ! Ce « Third Round » confirme les couleurs dominantes de l’univers musical de Manu Katché. Un son et des vibrations qui lui sont propres et participent à un genre que l’on pourrait définir, sans connotation péjorative, comme un jazz pour tous.