Marine Horbaczewski
Marine Horbaczewski,
Coup de foudre pour le violoncelle.
Marine Horbaczewski est un parfait exemple de la politique de décloisonnement du Conservatoire de Liège, de cette volonté de croiser formation classique rigoureuse, science de l’improvisation et ouverture vers la musique contemporaine et le jazz. Ce qu’illustrent les différentes formations auxquelles elle participe. La violoncelliste liégeoise évoque son parcours et ses perspectives.
Propos recueillis par Claude Loxhay
Photos de Robert Hansenne
Comment as-tu décidé de te consacrer au violoncelle ?
Au départ, je voulais jouer de la contrebasse, pour le son grave de l’instrument, pour le plaisir de jouer d’un gros instrument. Mais, quand, à dix ans, je suis arrivée à l’Académie, le professeur m’a dit: “Tu es trop petite pour jouer de la contrebasse.” Il avait un violoncelle à prêter. J’ai tout de suite été séduite par cet instrument. Ce fut un vrai coup de foudre: le fait physiquement de jouer, de sentir les vibrations des cordes quand on les frotte. J’avais des parents mélomanes qui écoutaient beaucoup de musique classique, moi, j’étais surtout attirée par l’instrument, par le son et non par un style de musique. J’avais simplement envie d’entrer dans le monde de la musique en général.
Tu as poursuivi tes études au Conservatoire de Liège, un bel exemple de décloisonnement…
Tout à fait. Le Conservatoire de Liège est un exemple formidable de volonté de décloisonnement, notamment depuis Henri Pousseur, avec la possibilité de recevoir un enseignement rigoureux, exigeant, alliant technique et esprit d’ouverture, avec des professeurs extraordinaires qui pratiquaient eux-mêmes la musique dans des ensembles prestigieux, qui voulaient transmettre ce que eux vivaient. Des professeurs comme Garrett List, Michel Massot, Jean-Pierre Peuvion ou François Deppe, avec un esprit d’ouverture sur le jazz, la musique contemporaine et l’improvisation. Il ne s’agissait pas seulement d’une initiation mais d’une volonté de plonger totalement dans cette pratique avec des personnes qui la vivaient intégralement. J’ai donc suivi une formation classique, mais j’ai aussi intégré la classe d’improvisation de Garrett List, la classe de musique de chambre de Jean-Pierre Peuvion dont dépendait la classe de rock de chambre de Michel Massot. J’ai eu aussi cours avec François Deppe de l’Ensemble Ictus qui collabore avec la Compagnie de danse Rosas d’Anna Teresa de Keersmaecker.
De là découle toute une série de rencontres…
Oui, c’est le cas pour le trio avec Michel Massot et Tuur Florizoone. Une rencontre intervenue à la fin de mes études. Michel faisait alors des tournées en solo. Il m’a proposé de me joindre à lui pour deux ou trois morceaux, après deux sets joués en solo. Un professeur peut ressentir certaines affinités avec ses élèves, le tout est de voir ce que cela peut donner en concert. De son côté, Tuur avait envie de jouer en duo avec Michel, ce qu’ils ont fait pour des musiques de film. Lors d’un concert en solo, Michel nous a proposé de nous joindre à lui: c’est comme cela que le trio s’est formé. Le trio est fondé sur un vrai échange de rôle. Au départ, je ne composais pas, alors que Michel et Tuur étaient des compositeurs prolifiques. Ils m’ont incité à écrire également et m’ont donné confiance. Je me suis mise à composer pour le deuxième album, Balades éphémères. Le trio repose sur un travail collectif: composition et arrangement. On fait aussi ensemble la répartition des voix. Personne n’est cantonné dans une fonction, on peut changer les rôles. On a tous les trois la même amplitude de registre, dans les sons aigus comme graves. Chaque instrument bénéficie d’un large spectre sonore. Après les deux premiers albums, la chanteuse lyrique Claron Mc Fadden nous a proposé de collaborer à un de ses projets. Elle connaissait Tuur et avait découvert le trio. Elle a eu l’idée de recueillir, de manière anonyme, des secrets de vie, au travers de boîtes à secrets déposées en Belgique comme en Hollande où elle habite. On les a dépouillés ensemble, pour en faire un choix. Chacun a fait des propositions, elle a travaillé sur les textes et nous trois sur la musique. Le projet a abouti à des concerts et à un spectacle présenté dans des théâtres, avec une scénographie comprenant des projections. C’est aussi au travers du Conservatoire que j’ai pu rencontrer Emmanuel Baily, Laurent Meunier, Manu Louis, Aurélie Charneux ou Adrien Lambinet. Tout cela a joué un grand rôle dans ma carrière, comme cela a été le cas avec L’An Vert, dès son ouverture: Grâce à Jo qui nous a ouvert ses portes, on a pu improviser, expérimenter sur scène. Il nous a accordé une grande confiance et beaucoup de soutien.
La rencontre avec Emmanuel Baily a débouché sur le quartet Wang Wei, avec Laurent Meunier et Xavier Rogé. Comment est né le nom du groupe ?
C’est Emmanuel qui a découvert les poèmes de cet artiste du VIIIe siècle, qui était à la fois peintre, musicien, calligraphe et poète. La lecture de ces poèmes a débouché sur une série d’images qui lui ont inspiré des compositions, entre musique classique, jazz et musique contemporaine. Une musique centrée sur l’évocation de sentiments. On a pu voyager avec ce projet et provoquer des rencontres pluridisciplinaires. Par exemple, deux années consécutives, on est allé en Thaïlande. A Bangkok, on a rencontré des danseuses venant de Chine, de Malaisie, de New York, de Londres et des îles Féroé. On a rencontré des peintres et des réalisateurs de film, ce qui nous a permis de remporter un prix. On a aussi collaboré avec la danseuse Yi-Phun Chiem, on a notamment été invité au Théâtre des Doms d’Avignon.
Garrett List, tu l’as retrouvé pour Orchestra Vivo…
Depuis longtemps, Garrett avait le rêve de former un orchestre qui irait à la rencontre du public, sans code d’accès. D’habitude les formations ont une amplification, un grand orchestre possède sa propre puissance sonore, il voulait avoir cette force acoustique, avec des musiques écrites par les membres de l’orchestre: une musique vivante aux inspirations diverses. Pour le moment, l’orchestre est en “stand by”.
Une autre rencontre importante, c’est celle de Guillaume Vierset et son Harvest Group…
Guillaume vient d’une autre génération, celle d’Antoine Pierre, Igor Gehenot ou Félix Zurstrassen, plus jeune que nous. Un jour, Antoine, qui est proche de Guillaume, a remplacé Xavier Rogé au sein de Wang Wei. On a répété chez lui. Ce qui a créé un lien. Par ailleurs, Guillaume enseigne à l’Académie de Saint-Gilles, comme moi, en musique de chambre, improvisation et violoncelle. Pour son projet Harvest Group, il entendait des cordes, qui donnent une touche plus “classique”. Au départ, on a fait des reprises de Neil Young et Nick Drake dont le groupe comprenait un violoncelle, dans la tradition des songwriters, avec un côté folk et le côté mélancolique du violoncelle. C’est une belle rencontre, un groupe qui ‘ouvre de plus en plus, même si c’est Guillaume qui compose: il nous laisse une grande place dans l’apport du son d’ensemble. Chacun essaye de trouver un mélange de sons original, par exemple, entre le violoncelle et le saxophone soprano de Matthieu Robert et côtoyer Yannick Peeters à la contrebasse, c’st merveilleux. Elle a un beau son: on forme d’ailleurs un duo autour de mes propres compositions. Au sein du Harvest, on trouve un son électrique, plus rock, plus dissonnant, ce qui permet des espaces d’explorations.
Tu as aussi cité Manu Louis, une autre rencontre…
C’est un tout autre registre. Manu, c’est la folie assumée, la possibilité d’explorer d’autres registres et d’expérimenter. C’est l’époque du Color Café, qui organisait régulièrement des concerts. Tout était permis. Sa musique est un mélange entre rock, jazz et musique de chambre. On avait alors un groupe qui s’appelait Gardenning Group, un “groupe de jardin”, avec, au violon, Martin Lauwers qui fait partie de Music 4 a While avec Johan Dupont. On jouait dans les jardins des gens, une musique acoustique et tendre.
Tu as aussi cité Aurélie Charneux…
Avec elle, on a un beau projet qui s’appelle La mère de nos mères, un autre mélange de choses. Aurélie aime écrire et elle le fait très bien. Le projet est d’évoquer l’évolution de la femme, de son rôle, de manière poétique et décalée. On a joué en trio, avec Stephan Pougin aux percussions puis avec des voix: des slameuses, une chanteuse et une comédienne. Aurélie, on se connaît depuis le Coservatoire: on est proches. C’est quelqu’un qui mélange formation classique, musiques du monde, improvisation et jazz.
As-tu des projets de groupe personnel ?
J’ai toujours eu envie d’enrichir les projets d’autres musiciens. Je commence à composer et j’ai eu l’idée de former un duo avec Yannick Peeters, violoncelle et contrebasse. Et puis, il y a un groupe dans lequel tous se retrouvent à part égale: Bow, un quintet, soit un quatuor à cordes (avec Margaret Hermant et Benoît Leseure au violon et Jean-François Durdu à l’alto) et une contrebasse (Cyrille de Haes). On pratique la composition instantanée, une recherche sonore et d’harmonie. On pratique l’improvisation libre. En duo, avec Toine Thys, à l’An Vert, on a aussi expérmenté: partir de rien, si ce n’est du son, improviser et voir ce que cela donne.
Tu viens de terminer une tournée avec le Harvest Group, quelles sont les autres dates en perspective ?
On a une date importante pour laquelle on espère un large public: le 14 février, avec Wang Wei, à la Cité Miroir de Liège, une salle plus grande que l’An Vert ou le Pelzer: un Wang Wei qui s’ouvre, avec de nouvelles compositions, un nouveau souffle. Du 14 au 18 janvier, je serai au Théâtre National, pour le spectacle L’Attentat, l’adaptation du roman de Yasmina Khadra, l’histoire de l’époux d’une kamikaze. Fabian Fiorini a composé la musique, pour une formation avec Laurent Blondiau à la trompette, Célestin Massot, le fils de Michel aux percussions et la chanteuse lyrique, Julie Calbete. La mise en scène est de Vincent Hennebicq. C’est la reprise d’un spectacle créé l’an dernier. Ensuite, le 22 mai, le groupe Bow présente son premier album, enregistré sur le label Sub Rosa: une chouette possibilité de découvrir cette formation à cordes.
Dates à retenir
14-18 janvier: “L’attentat” au Théâtre National (musique de Fabien Fiorini)
14 février: Wang Wei, Liège, Cité Miroir
22 mai: Bow, Liège, l’An Vert
Discographie sélective
“Wang Wei 4tet”, Homerecords, 2010
Trio Florizoone-Horbaczewski-Massot : “Cinema Novo” (2008), “Balades éphémères” (2013), “Secrets” (avec Claron Mc Fadden, 2017)
Guillaume Vierset Harvest Group : “Songwriter” (2015), “Nacimiento Road” (2019)
Garrett List : “Orchestra Vivo”
Manu Louis : “Gardenning Group”