Mary Halvorson, Meltframe

Mary Halvorson, Meltframe

Mary Halvorson, Meltframe (Firehouse 12)

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“Meltframe” est plus qu’un album attendu. C’est une impatience. Depuis le temps que nous suivons la carrière fulgurante et sans borne de la guitariste Mary Halvorson, depuis que les louanges sont tressées, il y avait un secret espoir : celui du solo. Nous avons entendu la guitariste sous toutes les formes, ou peu s’en faut, tant malgré sa trentaine à peine dépassée sa discographie est pléthorique. Mais il manquait un jalon, un pièce de puzzle…  Celui de l’intime. On avait vu Halvorson en duo avec Jessica Pavone ou avec Stephan Crump, en trio avec Thumbscrewou avec Weasel Walter, en quartet avec son beau Reverse Blue, jusqu’à ses orchestres qui laissaient deviner une aventure prochaine en grande formation, qui pourrait permettre d’aller au bout de ses idées de compositrice hors-pair et célébrée…  On a souscrit aussi à ses aventures de sidewoman fidèle de ses alter-ego braxtoniens (Laubrock, Ho Bynum) où à d’autres pairs (Tom Rainey, Marc Ribot). Et puis avec Braxton bien sur, dont elle est sûrement la plus proche descendante en même temps qu’elle est une “nièce” de Derek Bailey, membre du cercle intime au sein du Diamond Curtain Wall et du fondateur 12+1tet, ainsi que des récents Sonic Genome ou Echo Echo Mirror House. On a entendu Mary Halvorson dans après toutes les conditions, entouré de toutes sortes de grands musiciens et on l’a toujours reconnu : ce style inimitable, serpentin, gracile tout en étant ferme, immédiatement émouvant et explosif. Il fallait qu’elle soit seule; et voici “Meltframe”. Sorti début septembre sur Firehouse 12 qui vit son “Ilusionnary Sea”, il est comme une carnet de note intime d’un parcours, d’un tribut à son univers musical qu’elle revisite et s’approprie comme pour mieux affirmer une chose simple : elle est libre, elle est une voix sans pareil et elle s’inscrit dans une lignée.
Le choix de Cascades, qu’Oliver Nelson enregistra avec Eric Dolphy sur” The Blues” et Abstract Truth en ouverture de ce voyage en 10 titres est significatif : une disto inhabituelle (ou alors avec ses projets Plymouth ou People…), puissante, ravageuse qui grasseye comme un vieux blues. Cascadeuse, c’est un fait, mais virtuose aussi. Une manière comme une autre de délimiter son champ d’action. On retrouvera quelques traces de cette rage sur cette reprise saisissante du Aisha de Mc Coy Tyner (“Olé!”, Coltrane) qu’on pourrait se passer en boucle : la guitare d’abord qui joue le thème avec cette douceur insistante qui lui est propre et qui évolue avec un rare raffinement vers un chaos électrique soudain, imprévisible, foudroyant, qui semble se cogner aux murs. Ça pourrait être un choix étonnant pour une compositrice de son acabit de faire un premier solo avec dix reprises. Mais à peine à-t-on écouté l’album dans son entièreté que ce choix tombe sous le sens. De Roscoe Mitchell (Leola) joué avec une sécheresse qui ne cesse de se frotter à l’écho jusqu’à cette visite amicale du Cheshire Hotel de Noël Akchoté, on ne peut que voir Meltframe comme un retour à la cartographie musicale, une activité chère aux compositions de la guitariste. Halvorson se situe, trace des voies. Construit des ponts. Donne à voir des perspectives. Elle embrasse de nombreux styles pour les faire siens et les organiser à sa main. Il y a un parallèle intéressant à faire de nouveau avec Braxton, et son rapport au standard, qu’on retrouve ici. Bien sur, “Meltframe” n’est pas In The Tradition : le When de Tomas Fujiwara qu’elle a d’ailleurs joué avec lui dans le quintet The Hook Up n’est qu’un standard en devenir… Mais que dire du Solitude de Duke Ellington, soyeux et onirique qu’elle prend à bras-le-corps et fait sien avec une simplicité désarmante. Elle s’approprie la musique qui l’a fait devenir cette musicienne unique. Elle la traduit pour sa guitare, et lui donne d’autres couleurs. Il y a bien sur des morceaux plus anodins, qui tiennent de la petite mélodie intérieure (Ida Lupino, Carla Bley… Qu’Akchoté à lui aussi joué), mais ils sont constitutifs d’un parcours et d’une légèreté hors du temps. Ceux-ci ne semblent pas avoir de limites.

Franpi Barriaux