Nabou : le trombone sans tabou !
D’abord un EP, « Hubert » (une réussite), puis cet album « You Know » qui révèle une tromboniste originale dans un trio soudé. Nabou Claerhout est une musicienne qui se construit un chemin dont elle nous parle.
«J’ai passé tant de temps dans ma chambre avec mon instrument que j’en suis réellement tombée amoureuse.»
C’est tout de même étonnant qu’une jeune fille de neuf ans choisisse le trombone comme instrument. Etait-ce vraiment votre premier choix ?
Nabou Claerhout : Ça s’est en fait passé comme ceci : j’avais des amis qui allaient à l’école de musique, une chose dont je ne connaissais même pas l’existence auparavant. Lorsque j’ai demandé à ma mère pour m’y inscrire, elle m’a dit qu’il fallait d’abord tomber amoureuse d’un instrument, difficile pour une enfant de huit ans… Le copain de ma sœur était batteur, mais ma mère trouvait que c’était trop bruyant. Puis il y a eu la harpe, mais c’était beaucoup trop cher. C’est ensuite le trombone qui est venu… Et lorsque ma mère me disait qu’il fallait tomber amoureuse d’un instrument, je comprends seulement maintenant ce que cela voulait dire : j’ai passé tant de temps dans ma chambre avec l’instrument que j’en suis réellement tombée amoureuse.
C’est un instrument qui a tout de même un volume sonore important.
N.C. : Oui, je m’en suis rendu compte avec le temps. Mais c’est un instrument que vous pouvez faire sonner très doux, très chaud… Ou alors super agressif. C’est ce que j’aime chez lui : il y a plusieurs façons de l’appréhender.
«Le trombone, c’est un peu comme une accolade que vous recevez de votre mère : il y a la chaleur, la vibration…»
Il y a aussi un côté spectaculaire de par le geste. C’est quelque chose que pas mal de trombonistes disent.
N.C. : Cela ne m’a pas vraiment touchée… Non, c’est vraiment le son. C’est un peu la voix d’une mère, c’est proche de la voix, plus qu’un piano ou qu’un violon. Le trombone c’est un peu comme une accolade que vous recevez de votre mère : il y a la chaleur, la vibration… Plus que le mouvement que l’instrument implique.
La recherche du son prend-elle le pas sur la mélodie ?
N.C. : Je ne peux pas être tout à fait d’accord car la mélodie est aussi très importante pour moi, tout autant que le son. Mais c’est vrai que le trombone offre beaucoup de possibilités de sonorités. Toutefois, le silence est aussi un son pour moi.
«Quand vous proposez vos compositions à d’autres musiciens, vous vous sentez nu, vous leur mettez dans les bras votre bébé pour en faire un projet.»
Vous avez opté pour la combinaison trombone/guitare qui n’est pas fréquente.
N.C. : C’est vrai que l’association trombone-guitare n’est pas courante. En réalité, je voulais d’abord former un quintet, avec guitare et piano, mais les choses ont évolué autrement. Quand vous proposez vos propres compostions à d’autres musiciens, vous vous sentez nu, vous leur mettez dans les mains votre bébé pour en faire un projet. C’est quelque chose que je devais faire avec des musiciens en qui j’avais vraiment confiance, et c’était le cas avec mon guitariste. Aussi, mon professeur me disait que former un groupe à quatre serait plus aisé pour les tournées et que dès lors avec un piano ce serait plus compliqué. Mais il y a aussi le fait que j’écoute beaucoup de saxophonistes et que beaucoup de saxophonistes jouent en quartet avec une guitare.
«Je n’ai jamais trop cherché à me plonger dans le monde des trombonistes.»
Vous parlez de saxophonistes, mais il y a des trombonistes qui vous ont influencée ?
N.C. : Bien sûr que j’ai écouté JJ Johnson et d’autres, mais je n’ai jamais ressenti à leur écoute ce que je ressens en écoutant Sonny Rollins, Wayne Shorter, ou des guitaristes comme Pat Metheny, Jim Hall. Je n’ai en fait jamais trop cherché à me plonger dans le monde des trombonistes… Je les ai écoutés bien sûr, ne fut-ce que pour la technique, mais comme je l’ai dit, j’éprouve plus de vibrations en écoutant d’autres instruments.
Parlez-nous du choix de la couverture.
N.C. : C’est une question étonnante, c’est la première fois qu’on me la pose ! Sur mon EP « Hubert », il y a aussi de la lumière, la couleur jaune. J’aime l’idée de mettre des couleurs, jaune et bleu, puis maintenant rouge et bleu. J’ai travaillé avec la même artiste que pour le précédent et je lui ai demandé une photo avec le rouge d’un feu routier. Elle m’a proposé différentes options, avec seulement un feu rouge, puis avec un tram, et avec un building, toujours en travaillant le rouge et le bleu. Je pense qu’avec la couverture de « Hubert » et celle-ci, vous pouvez deviner qui on est, notre jeunesse (on n’a pas trente ans), c’est frais. Notre premier disque a entièrement été réalisé à Londres. Il y a donc ce sentiment urbain qu’on retrouve ici aussi. Vous savez, lorsque je vais chez un disquaire, je suis d’abord attirée par les pochettes.
«La chose la plus importante dans ma musique est qu’on y sente une certaine vibration.»
Vous êtes l’unique compositrice des titres de l’album. Ça s’est fait pendant le lockdown ?
N.C. : Non, Je n’ai pas composé pendant le lockdown, tout était composé avant. Je compose la nuit car je me sens plus concentrée. La chose la plus importante dans ma musique est qu’on y sente une certaine vibration. Pendant la journée, il y a le bruit de la rue, des voisins, du petit ami… Alors que pendant la nuit, tout est super calme : j’éteins les lampes, je garde juste une petite lumière… Ça semble très romantique, mais ça m’aide à me concentrer sur la vibration et surtout de ne pas en sortir. Bien sûr, je ne compose pas la nuit au trombone ! J’ai mon casque audio et mon piano… C’est ainsi que je compose la plupart du temps.
Les titres, vous les choisissez la nuit ? Pourquoi tel titre ou tel autre ? « K.I.P. » (le poulet en néerlandais) par exemple ?
N.C. : Concernant « K.I.P. », il y a un rapport avec mes études au Conservatoire d’Anvers. J’étudie un « drum-system » mis au point par Mark Guiliana appelé « D.R.O.P. » (D pour dynamic, R pour rate, O pour orchestration et P pour phrasing). J’ai trouvé ça amusant et c’est pour cette raison que j’ai choisi le titre « K.I.P. » … Mais je n’ai jamais trouvé de mot pour chaque lettre ! En fait, quand vous commencez à jouer une nouvelle composition avec le groupe, il n’y a pas de titre. C’est après qu’on se dit qu’il en faut un… et j’avoue que je ne suis pas toujours heureuse du titre que je donne ! « Chill » par exemple : je trouve que c’est un mauvais titre pour une chanson, mais c’est quelque chose qui avait du sens pour moi. Les compositions viennent parfois de quelque chose que j’ai vécu dans ma vie.
Il y a une dynamique très forte sur l’album, mais c’est aussi parfois très romantique comme cette magnifique ballade « Will We Remember You ? »
N.C. : Ce titre est venu après la composition, l’enregistrement et le mixage. J’y ai senti un peu de nostalgie : « Will We Remember You ? ». Mais j’ai aussi pensé à « Remember You », ou « Do I Remember You ? ». Nous connaissons tous une personne que nous avons aimée, qui nous a quitté et nous nous questionnons : est-ce que je t’aimerai toujours dans dix ans ? Sera-t-on encore ce que nous sommes aujourd’hui ? Est-ce que je reconnaîtrai encore ta voix ? C’est ce que j’ai ressenti avec cette ballade.
«Il y a encore des problèmes lorsqu’on est femme dans la musique.»
On a tendance dans la presse à résumer votre trajet en quelques mots : femme, d’origine africaine, qui joue du trombone. Ça ne vous agace pas un peu ?
N.C. : Non, parce que c’est exact. Oui, parce que ça fonctionne comme ça pour moi et pas pour un homme blanc qui joue du trombone. Il y a encore des problèmes lorsqu’on est femme dans la musique : pas mal de musiciennes en parlent et c’est dur… Heureusement, de mon côté, j’ai de la chance. C’est un peu triste : la seule chose que j’aie d’africain c’est la couleur de ma peau, celle de mon père dont je ne connais rien. Je suis à moitié belge et à moitié africaine, mais personne ne parle de la face belge. Je suis fière des deux faces de ma personne, mais pourquoi ne parler que d’une seule. J’aimerais simplement qu’on dise que je suis tromboniste belge, mais je suis fière d’être ce que je suis.
Nabou en concert : le 18 décembre au See Festival (Bozar, Bruxelles), le 11 février au Belgian Jazz Meeting (Namur) et le 18 mars au Leuven Jazz.
Nabou
You Know
Outnote Records