Next.Ape : L’attente récompensée
Next.Ape, enfin ! Sur les rails en 2017, édition d’un EP en 2019, des concerts époustouflants… en attendant un CD annoncé en 2020… et sorti en 2023. Ce foutu Covid. Mais l’attente valait le coup : un disque qui secoue le cocotier jazz/rock/hip-hop/psyché/pop/électro…
Rencontre avec Veronika Harcsa et Antoine Pierre.
«Quand je jouais du saxophone, j’avais toujours peur de jouer en public. Mais je n’ai jamais eu le trac pour le chant. Je n’ai jamais compris d’où venait cette différence…» Veronika Harcsa
Veronika, voilà quelques années que tu fais partie du paysage musical belge. Peux-tu évoquer ton parcours avant ton arrivée ?
Veronika Harcsa : J’ai étudié un peu les maths, puis l’informatique à l’université technique. Avant cela, à 8 ou 9 ans, j’ai commencé les leçons de piano. Puis comme je voulais essayer un autre instrument, j’ai commencé le saxophone, parce que ça avait l’air beau. C’est via cet instrument que j’ai commencé à écouter du jazz et, au cours, à improviser. Mes parents eux étaient plutôt intéressés par la musique classique. J’ai débuté le chant à 15-16 ans, le chant classique, mais ça a été tout de suite un peu difficile pour moi car ma tessiture était trop petite, ça ne venait pas naturellement. J’ai alors commencé à chanter du jazz vers 17 ans et ça a été une vraie révélation pour moi. Quand je jouais du saxophone, j’avais toujours peur de jouer en public mais je n’ai jamais eu le trac pour le chant. Je n’ai jamais compris cette différence. En même temps, j’ai continué mes études à l’université mais la musique devenait petit à petit plus qu’un hobby. J’ai alors présenté l’examen d’entrée au département jazz du Conservatoire de Budapest et j’ai été admise. Ça a été un signe pour moi car des musiciens m’ont convaincue que je pouvais y arriver, alors que je commençais relativement tard, j’avais 21 ans. J’ai vraiment tout donné, je me suis dit que je voulais travailler pour devenir chanteuse.
Comment as-tu géré ta technique pour le Conservatoire ?
V.H. : Le fait de ne pas avoir vraiment une technique au départ a été à la fois un avantage et un désavantage : il fallait vraiment travailler pour chanter des choses plus compliquées. Mais d’un autre côté, j’avais une voix très naturelle, spontanée qui était différente de celle des autres étudiantes. J’ai essayé d’avoir les deux, la technique et ma voix naturelle pour chanter ce que j’avais dans ma tête. Je suis venue alors en Belgique pour un master chez David Linx.
Antoine Pierre : Tu m’as dit qu’au début tu n’avais qu’un « range » d’une octave.
V.H. : Oui c’est vraiment ça, j’étais très limitée, mais les cours m’ont beaucoup aidée. Et puis en Belgique j’ai rencontré des gens qui ont tout de suite eu confiance en moi, comme Kris Defoort. Je suis toujours dans le processus des cours parce que je veux encore améliorer ma voix. Je travaille dans plusieurs genres. Avec Antoine, c’est plutôt expérimental et électronique. Et en même temps, je travaille avec des musiciens classiques ou des musiciens de jazz.
«S’il n’y avait pas eu Veronika, il n’y aurait eu aucune voix.» Antoine Pierre
Antoine, Next.Ape existerait-il là sans Veronika ?
A.P. : Pas comme c’est là. Quand en 2017 Fanny du Marni m’a proposé de créer un projet, j’ai voulu présenter quelque chose de différent de ce que faisait URBEX, plus alternatif, plus pop-rock. S’il n’y avait pas eu Veronika, il n’y aurait pas eu de voix. Au début, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre puis on a créé quelque chose avec elle. S’il y a encore un ou deux morceaux de 2017 dans notre répertoire d’aujourd’hui, c’est beaucoup, alors qu’à l’époque il y avait quinze morceaux. Next Ape est devenu ce qu’il est devenu parce qu’on a tous mis notre énergie dans ce projet-là. Quand j’écoute la musique du disque qui va sortir, j’entends vraiment le son du groupe qui est là, et c’est vraiment une belle surprise car ce son s’est vraiment construit avec le temps, avec les textes que Veronika a écrits et du coup les mélodies qui vont avec. C’est un travail collectif : j’écris des maquettes avec des lignes de base et des idées de rythmes que j’envoie aux autres musiciens. Lorenzo, par exemple, y ajoute de la guitare, Veronika écrit des textes. C’est un truc vraiment collectif.
Ça a terriblement évolué avec le temps, je me souviens du concert au REFLEKTOR où l’équipe n’était pas la même.
A.P. : Cédric n’était pas là et il y avait Ben Wendel au saxophone. En fait quand on a fait la tournée du REFLEKTOR, c’était une partie du répertoire du disque de maintenant et en partie de l’EP.
«Next.Ape est comme une grande famille. Il nous manque juste le camping-car pour partir en vacances ensemble !» Antoine Pierre
Comment Cédric Raymond a-t-il intégré le groupe ?
A.P. : Quand on est allés en studio, on a ajouté des claviers et on s’est dit que c’était dommage de perdre ce quelque chose sur scène, de jouer en concert et de ne pas avoir la même puissance sonore. Et un jour, en buvant quelques verres, Cédric était présent… J’ai dit à Lorenzo que ce serait bien d’ajouter des claviers. On l’a proposé à Cédric et c’était ok ! Cédric est arrivé pendant le confinement. Depuis qu’il est là, il y a quelque chose en plus : il met une « vibe » en plus, pas seulement au niveau musical mais aussi humainement. C’était le jeton qui manquait. C’est comme une grande famille, il nous manque le camping-car pour partir en vacances ensemble !
Difficile de mettre une étiquette sur cette musique… Crossover c’est un peu facile. Qu’est ce qui t’a amené vers ça ?
A.P. : Dans le tronc commun, il y a Radiohead, la musique trip-hop, Massive Attack, Portishead…
V.H. : On pourrait aussi citer Pink Floyd.
A.P. : Oui, tout à fait. En fait, pop expérimental n’est pas mal, mais c’est relatif, il y a un truc rock, indie aussi.
Il y a beaucoup de choses à écouter à la fois dans votre musique.
A.P. : La manière d’écouter de la musique a très fort changé. On passe des mois à confectionner un album, à construire un storytelling, en se disant qu’à la track 5 on arrivera à un plateau, puis on descend, puis on remonte… On confectionne quelque chose et finalement tes morceaux se retrouvent dans des playlists. J’ai l’impression que ce qu’on fait, on le fait pour les music lovers et pour nous. Le tirage vinyle et cds restera relativement réduit. C’est une période challenge quant à savoir quel support est le plus adapté à ce que la musique demande. Du coup, je reviens à la question, c’est très difficile de définir un style. Quand je pose la question à d’autres personnes, les réponses sont toutes différentes.
Finalement il y a les textes qui donnent une direction.
V.H. : 80% des textes sont écrits par moi.
«Il y a tant d’angoisse autour de nous… Il faut chercher des solutions.» Veronika Harcsa
Ils laissent une impression de positif…
V.H. : C’est très bien de le voir comme ça. Honnêtement, il y a quand même pas mal d’angoisse, avec « Falling Stars » par exemple. On cherche une solution, il y a tant d’angoisse autour de nous, la guerre, les migrants, la situation climatique… Il faut chercher des solutions. Ne restons pas dans l’angoisse, que pouvons-nous faire ? A quoi peut-on croire ?
A.P. : L’ambiance qu’on a voulu mettre dans le disque se trouve aussi dans la photo. L’idée est d’avoir un peu une espèce de scène post-apocalyptique où tout indique que c’est la merde, mais où aussi tu arraches la dernière page pour tout recommencer. Ce que je trouve difficile dans la musique et dans les textes, c’est d’avoir un message qui nous représente et qui nous importe mais sans être moralisateur et sans dire « il faut faire ceci ou cela ». Un peu comme si on était nos propres thérapeutes. On essaie de se faire du bien.
Le format est curieusement un format plutôt radio.
V.H. : Toutes les musiques étaient là et puis on a écrit les textes dessus. Il se fait que ces morceaux font plus ou moins trois minutes.
A.P. : J’ai été assez obsessionnel en studio quant à la longueur des morceaux. Je souhaitais un format compact, j’avais l’impression que je me dispersais dans plein de choses. Et ça a donné une contrainte à Veronika pour les textes.
V.H. : Parfois il y a des rêves conscients. J’aime les textes qui sont entre rêves et réalités, pas top directs, une sorte de sentiment collectif que j’essaie de placer dans les textes.
Antoine, heureux que la sortie approche ?
A.P. : En relisant les communiqués de presse de 2019, on y lit « avant la sortie de l’album en 2020… » et on est en 2023 ! Ça a été une période angoissante, mais on y est arrivés !
Quels sont les concerts de sortie prévus ?
A.P. : La date de sortie de l’album est le 31 mars. Le concert officiel de sortie aura lieu à l’AB le 17 mai, un double concert avec « Edges » de Guillaume Vierset. On joue aussi au Bimhuis à Amsterdam, au Bijloke à Gand, le Gaume au mois d’août… Avant 2020, tu préparais ta tournée avant la sortie du disque… Tout a changé : disque, puis tournée. Maintenant, tu fais comme tu peux… Je suis ultra fier du disque, je me réjouis de tenir l’objet en main.
Next.Ape
The Fourth Wall
Shapes No Frame