Olivier Benoît, l’interview
Orchestre National de Jazz
L’interview d’Olivier Benoît
Propos recueillis par Claude Loxhay
Sur quels critères s’est faite la sélection des musiciens ?
Par appel à candidature: on a reçu plus de 300 candidatures . Nous avons tenu, avec Bruno Chevillon à faire le choix de la diversité, les musiciens s’inscrivant pleinement à leur manière, dans notre vision du jazz d’aujourd’hui.
Vous connaissiez bien certains musiciens (B. Chevillon, S. Agnel), d’autres moins: est-ce une volonté de provoquer des découvertes ?
C ‘est la conséquence de l’appel à candidature. Nous avons joué le jeu, écoutant chaque enregistrement, épluchant chaque candidature, prenant le parti de pouvoir choisir des musiciens que nous ne connaissions pas. Pour ma part, je ne connaissais pas la moitié des musiciens qui composent l’orchestre. Certains qui n’ont pas été pris ont pourtant été une découverte et nous ont interpelés. Mais un groupe, c’est aussi une alchimie, il a fallu faire des choix difficiles. cette expérience m’a permis de mieux connaître le paysage actuel.
A coup sûr, avec B. Chevillon et E. Echampard, vous avez opté pour une rythmique solide et expérimentée…
Oui, j’en suis ravi, l’avis de Bruno a bien entendu été déterminant pour le choix d’Eric Echampard. Il était important que le batteur, son alter ego, soit une personne avec laquelle il est en fusion. C’était un choix si évident vu l’immense talent d’Eric qu’il n’était paradoxalement pas simple de par leur histoire commune !
Vous avez dirigé d’autres grandes formations (comme Circum ou la Pieuvre), on aurait pu s’attendre à retrouver certains de ces musiciens…
Nous n’avons pas voulu faire un orchestre d’amis. Il est vraiment le fruit d’une sélection la plus intègre possible, c’est l’intérêt d’une décision partagée, qui limite le recrutement parce que l’on connait, Je ne fais plus partie de Circum Grand Orchestra mais je suis toujours investi dans La Pieuvre. J’ai été très présent toutes ces années dans le Nord: les musiciens de Muzzix continuent désormais leur aventure vers d’autres contrées, ils en avaient l’envie, et j’avais un besoin vital de repartir à l’aventure.
Vous avez opté pour une formation réduite (par rapport aux 20 musiciens de F. Jeanneau, 19 du 1er Barthélemy ou des 16 de Badault), est-ce un choix artistique: une volonté d’obtenir un son d’ensemble dense et compact plutôt qu’une division en sections comme dans les big bands traditionnels ?
C’est un choix prioritairement artistique: on est à mi-chemin entre le big band et le combo élargi. L’orchestre garde une certaine mobilité, les solistes ont pleinement leur place dans l’orchestre et ne sont pas des musiciens de sections. Etre plus nombreux aurait été compliqué pour diverses raisons, y compris économiques. Je tenais vraiment à ce que les individualités s’expriment : chaque musicien est exceptionnel, ils sont bien plus que des exécutants, ce sont des figures singulières.
Pensez-vous vous inscrire dans une certaine lignée par rapport aux autres ONJ ou marquer une volonté de rupture ? Une constante: un rôle important accordé aux instruments électriques (comme chez Barthélemy, A. Hervé etc) ?
Il y a probablement une rupture (non recherchée ceci dit) dans la mesure où je fais partie de cette génération de musiciens qui a grandi plus ou moins en collectif. Je suis un témoin de cette génération. Le rapport n’est probablement pas le même entre les musiciens, l’attention que l’on donne à la parole de chacun, même si l’ONJ n’est pas un collectif.
Vous avez la volonté de mélanger différents univers : l’énergie d’un certain rock, l’interactivité du jazz, l’invention de la musique improvisée… Quel rôle a pu jouer Fred van Hove dans ce choix de la musique improvisée ?
Fred Van Hove, extraordinaire pianiste a été avec Annick Nozati, la personne qui m’a fait découvrir la musique improvisée. Je repense avec émotion à ces premières rencontres à l’université de Lille, moi qui avais une soif irrépressible d’aventure, d’inconnu, après des années d’autarcie artistique !
Certains ONJ avaient choisi de revisiter une certain répertoire (Monk, Mingus Ellington chez Badault, Led Zeppelin chez Tortillier, R. Wyatt chez Yvinec), vous avez choisi d’écrire un répertoire entièrement original…
Oui c’est mon obsession de compositeur : donner l’espace aux créateurs d’aujourd’hui pour exister. Je ne serai pas le seul à écrire pour l’orchestre. J’avoue avoir du mal psychologiquement à retravailler, arranger des musiques de compositeurs pour lesquels j’ai la plus profonde admiration. J’aurais tendance à penser que leur oeuvre est intouchable, qu’eux seuls pouvaient la jouer, la comprendre. C’est faux probablement; il y a de notables exceptions surtout dans le jazz, une musique qui à la fois vénère et démythifie.
Après Paris, une autre ville Berlin…?
Oui Berlin dès novembre, puis Rome en 2015, puis une autre encore, c’est en cours de réflexion.
Vous comptez accueillir des invités, comme Bart Maris, comment s’est fixé votre choix ?
Bart Marris et Phil Minton sont de grands grand improvisateurs, figures libertaires, touche-à-tout. Djillvibe est un artiste que j’ai rencontré à Berlin, un personnage étonnant qui à la fois connait très bien la scène impro mais est aussi producteur de musique électronique, je tiens à ce qu’un personnage comme lui se retrouve avec nous tous, puisse nous interpeler à sa manière. Je veux un programme léger, libre, différent de “Europa Paris” pour cette ouverture de saison dans notre nouveau lieu de résidence, le Carreau du Temple, le 26 septembre 2014, soirée à laquelle ils seront conviés.
Vous avez participé à l’ONJ de Paolo Damiani, quel souvenir en gardez-vous ?
Excellent ! Les musiciens que faisaient partie de l’orchestre à cette époque sont aujourd’hui des figures de la scène jazz européenne : Thomas de Pourquery, Médéric Collignon, Christophe Marguet, Régis Huby, Gianluca Petrella… A y repenser, ce fut une grand chance pour moi de faire partie de cette aventure et cela me sert beaucoup aujourd’hui en ce qui concerne le rapport avec les musiciens de l’ONJ actuel. Je m’efforce de ne pas perdre de vue une seule seconde, qui ils sont, les individualités, ce qui les motive dans un orchestre tel que le celui-là.
Personnellement, je vous ai découvert grâce à l’album “Franche Musique” de J. Mahieux, quel rôle a-t-il joué pour vous ?
Jacques a été tout comme Fred Van Hove pour l’improvisation mon guide. Un très grand batteur, avec un son incroyable à mi-chemin entre le jazz et la pop anglaise qu’il connait si bien, un homme d’une grande culture, Jacques m’a aussi appris le plaisir de jouer. Je me souviens encore des premiers jours chez lui en 1992. Nous répétions avec Nicolas, son fils, avec qui j’ai parcouru un long chemin et pour qui j’ai également beaucoup d’affection et d’admiration. Je n’en dormais pas la nuit: c’était un rêve. Un jour, en 1998, Jacques a décidé de monter son groupe avec Nicolas et Vincent Mascard. c’était en parallèle de mes rencontres avec Christophe Marguet, Philippe Deschepper, Claude Tchamitchian mais aussi Jean-Luc Guionnet et Sophie Agnel, la concrétisation d’un projet qui a mûri lentement.
Un rêve: un album Europa Bruxelles. Est-ce possible?
Je connais bien Michel Massot, pour avoir joué et enregistré avec lui dans le sextet de Christophe Marguet. La Belgique est un vivier de musiciens passionnants ! Ce serait effectivement une belle aventure ! Y a-t-il un festival susceptible de nous accueillir ?