Orchestra Nazionale Della Luna

Orchestra Nazionale Della Luna

Orchestra nazionale della luna

Manu Hermia-Kari Ikonen- Sébastien Boisseau – Teun Verbruggen

JAZZ AVATAR

Cet Orchestra nazionale della luna a une consonance italienne assez évidente, pourtant il est constitué d’un saxophoniste-flûtiste né à Rocourt (Liège), d’un pianiste-claviériste finlandais, d’un contrebassiste français né à Lille et d’un batteur né à Braschaat (Anvers). Manu Hermia est bien connu pour son éclectisme : coltranien avec Rajazz, bop avec son quintet, musique du monde avec Murmure de l’Orient et électro-mondialiste avec Slang. Mais il y a aussi, chez lui, une tentation libertaire : son trio avec Manolo Cabras et Joao Lobo (album “Austerity”), sa rencontre avec les Français Valentin Ceccaldi (cello) et Sylvain Darrifourq (batteur) pour l’album “God At The Casino”. Pas étonnant qu’on le retrouve dans cet orchestre bigarré. Kari Ikonen a été sacré musicien de l’année de 2013 en Finlande. Après ses études à la Sibelius Academy, il a formé un trio (album “Bright”) et un sextet, avec le trompettiste Steffan Svensson et le violoncelliste français Vincent Courtois (“The Helsinski Suite”), mais il a aussi côtoyé Louis Sclavis et Lee Konitz. Sébastien Boisseau est un des grands noms de la contrebasse sur la scène européenne. Après avoir travaillé l’instrument en compagnie de Jean-François Jenny-Clark, il a rejoint les saxophonistes Alban Darche et Matthieu Donarier, Martial Solal, le guitariste hongrois Gabor Gado, les Belges de Mâäk’s Spirit, le Baby Boom de Daniel Humair, l’European Jazz Ensemble et un quartet de prestige avec Joachim Kuhn, Christophe Monniot et Christophe Marguet (concert mémorable au festival Jazz Brugge).

Teun Verbruggen est un des batteurs les plus actifs de la scène belge : jeu tout en légèreté pour les piano-trios de Jef Neve et Igor Gehenot mais aussi aventures libertaires avec le Flat Earth Society, Othin Spake avec le guitariste Mauro Pawlowski ou The Bureau of Atomic Tourism avec Marc Ducret et des invités américains comme le saxophoniste Andrew d’Angelo. On a donc affaire ici à une vraie formation à dimension européenne, un quartet parfaitement soudé, basé sur une interactivité constante entre les deux solistes (Hermia-Ikonen), mais aussi au sein de la rythmique : en concert, Boisseau et Verbruggen sont constamment à l’écoute l’un de l’autre, complices y compris dans le regard et le plaisir évident de jouer. Au répertoire, quatre compositions de Manu Hermia empreintes de spiritualité ( comme Nostalgie d’un absolu) et cinq de Kari Ikonen, avec des références aux écrivains russes, comme Boulgakov (Begemot) ou à un projet spatial soviétique (Luna 17B).

L’album s’ouvre sur les chapeaux de roue avec Itämerengue et ses rythmes chaloupés. Tout au long de l’album, déferlement de notes du piano (Itämerengue, Anastasia, Begemot) alternent avec les sonorités extraterrestres du Moog (The Truth, First Visions, Nostalgie d’un absolu, Ankkuri), Kari passant allègrement de l’un à l’autre, recourant parfois au piano préparé ou proposant un jeu percussif dans le cadre-même du piano. Manu Hermia passe d’un saxophone à l’autre : soprano volubile (Itämerengue, Anastasia) ou ténor rageur (First Visions, Begemot) sur des tempos échevelés, mais la musique s’apaise lorsqu’il opte pour la flûte (Karibou) ou le bansuri indien (The Truth, Luna 17B).  La rythmique est omniprésente : recherche multiple de couleurs chez Teun Verbruggen (woodblock, cymbales chinoises, mini xylophone et autres petites percussions) et rondeur du son chez Sébastien Boisseau (majestueuses intros de Nostalgie d’un absolu ou Ankkuri, solo de Begemot, passage à l’archet sur Ankkuri, jeu percussif sur le corps de la contrebasse). Une musique qui vous emporte comme un raz de marée. A découvrir aussi en concert.

Claude Loxhay