Orchestre National de Jazz, 30 ans !
L’Orchestre National de Jazz fête ses trente ans.
Une extraordinaire vitrine du jazz français.
Le concert
Fondé en février 1986 à l’instigation de Jack Lang, l’Orchestre National de Jazz, véritable institution de la scène jazz de l’Hexagone, fête ses 30 ans, le vendredi 2 septembre prochain, avec un concert exceptionnel donné à la Cité de la Musique, dans le cadre du Festival Jazz de La Villette. La première partie de la soirée est dédiée à l’actuel ONJ dirigé par Olivier Benoît, guitariste issu du Conservatoire de Lille, où il fut l’élève de Gérard Marais. Porteur d’un réel projet à dimension européenne, Olivier Benoît a décidé de mettre en place quatre répertoires originaux dédiés chacun à une grande capitale culturelle d’Europe : Europa-Paris, Europa-Berlin (deux albums chroniqués sur jazzaroundmag), Europa-Rome (album à paraître en octobre) et Europa-Oslo (création en décembre prochain, avec , en invitée, Jessica Sligter, vocaliste d’origine néerlandaise qui vient d’enregistrer “Fear And The Framing” avec des musiciens norvégiens, album à paraître au printemps 2017).
Pour assurer l’assise rythmique de sa formation, Olivier Benoît a opté pour une rythmique expérimentée : à la batterie, Eric Echampard (du MegaOctet d’Andy Emler et du projet Vivaldi de Christophe Monniot); à la basse, dans un premier temps, Bruno Chevillon (complice de Louis Sclavis et Marc Ducret), puis, dans un second temps, Sylvain Daniel (bassiste du précédent ONJ dirigé par Daniel Yvinec). Autour de cette assise, une série de jeunes musiciens prometteurs, pour la plupart issus du Conservatoire de Paris: Jean Dousteyssier (clarinette), Hugues Mayot (saxophone alto), Alexandra Grimal (saxophone ténor), Fabrice Martinez (trompette), Fidel Fourneyron (trombone), Théo Ceccaldi (violon), Sophie Agnel (piano) et Paul Brousseau (Fender Rhodes).
Lors de cette soirée anniversaire, l’orchestre interprétera le répertoire Europa-Berlin : « une vision éclatée du jazz d’aujourd’hui, puisant dans les différents courants musicaux qui habitent la capitale allemande : musique minimaliste, free jazz, rock progressif et musique électronique ».
En deuxième partie, l’ONJ d’Olivier Benoît reçoit les neuf directeurs artistiques qui l’ont précédé : François Jeanneau, Antoine Hervé, Claude Barthélemy (le seul à avoir été appelé à deux reprises), Denis Badault, Laurent Cugny, Didier levallet, Paolo Damiani, Franck Tortiller et Daniel Yvinec. Chacun, Olivier Benoît y compris, proposera de revisiter une composition emblématique de son ONJ. Pour ces onze pièces, l’équipe d’Olivier Benoît sera rejointe, en fonction de la taille de chaque ONJ, par des étudiants du Conservatoire de Paris et de la Norvegian Academy of Music d’Oslo (où se déroulera la prochaine résidence de l’ONJ), ainsi que par les vocalistes Elise Caron, qui fit partie de l’ONJ de Denis Badault, et Yael Naim, invitée par Daniel Yvinec pour le projet “Around” Robert Wyatt. De grands moments en perspective.
Un peu d’histoire :
les dix formations qui ont précédé l’actuel ONJ.
Le projet de créer un Orchestre National de Jazz n’est pas né ex nihilo : bon nombre de grandes formations l’ont précédé en France. A côté du très classique Big Band de Claude Bolling, nombre de formations novatrices ont vu le jour avant 1986 : le Dodécaband de Martial Solal, le Pandémonium de François Jeanneau, le Big Band Lumière de Laurent Cugny ou le Onztet de Patrice Caratini pour n’en citer que quelques-uns.
1986 : François Jeanneau est le premier à assurer la direction artistique de l’ONJ. L’ancien membre du trio Humair-Jeanneau-Texier et du Quatuor de Saxophones a une solide expérience derrière lui, notamment au travers de son Pandémonium, une formation à l’orchestration originale puisque, à côté de la section de saxophones, trompettes et trombones ont été remplacés par une section de cors et d’un tuba. Nommé seulement pour un an, un laps de temps trop court, il réunit une formation de vingt musiciens réparties en sections : 4 trompettes (parmi lesquels François Chassagnite), 3 trombones (dont Yves Robert et Denis Leloup), 5 saxophones (notamment Jean-Louis Chautemps et Eric Barret), 1 tuba (Didier Havet, qui participera à 4 ONJ différents), 1 guitare (Marc Ducret), 2 claviers (Andy Emler et Denis Badault), 1 contrebasse (Michel Benita), une batterie (l’Américain Aaron Scott) et un percussionniste (François Verly). Le concert inaugural eut lieu le 3 février, avec une série d’invités prestigieux : Gil Evans, Martial Solal, Joachim Kuhn, Larry Schneider, auxquels viendront s’ajouter à d’autres occasions Mc Coy Tyner et John Scofield. Près de 80 concerts, d’Antibes au Nigéria. Un seul album, “ONJ 86” chez Label Bleu, avec des compositions de Jeanneau, Emler, Badault mais aussi Gil Evans et Michael Gibbs. Un temps trop court pour créer une véritable identité, mais la machine est lancée.
1987-89 : Antoine Hervé lui succède pour un mandat plus long. Fort de l’expérience de son Bop 13 et de son Tutti Big Band, le pianiste réunit une formation de 17 musiciens répartie en sections, de manière assez classique : 3 trompettes, 4 saxophones, 3 trombones (dont Glenn Ferris), 1 tuba, 1 guitare (Nguyên Lê), 2 claviers, une basse électrique, batterie et percussions. Un esprit très big band, influence aussi bien par Weather Report que Frank Zappa, par le blues que la musique classique. Tournée au Canada, festivals de Montreux, Nancy, Zagreb et collaboration avec l’Opéra de Paris. De nombreux invités : Quincy Jones, Carla Bley, Randuy Brecker, Toots. Deux albums Label Bleu : “ONJ 87” et “African Dream” avec des compositions d’Antoine Hervé.
1989-91 : Claude Barthélemy, en figure iconoclaste du jazz français, refuse la répartition traditionnelle en sections, à la manière des big bands américains, pour une formation de seize musiciens disposés en « miroirs » : deux trompettes (Jean-François Canape et Patrick Fabert), deux trombones (Yves Favre et l’Italien Luca Bonvini) deux saxophones (Bobby Rangell et Michael Riessler), trois guitares (la sienne, Serge Lazarevitch, Gérard Pansanel), un tuba (Michel Godard) un accordéon (Jean-Louis Matinier), un piano (Mico Nissim), deux basses (l’une acoustique, Renaud Garcia-Fons ; l’autre, électrique, Jean-Luc Ponthieux), deux batteries (Manuel Denizet, Christian Lété). Une ouverture vers un jazz libertaire, avec des instruments « incongrus » : serpent, cornet à bouquin, saqueboute. Festivals novateurs du Mans, de Moers, Metz, Coutances, Nîmes (avec Michel Portal en invité, un souvenir personnel très prégnant), voyage au Japon et en Irak mais aussi concert à l’Olympia, avec le bluesman Luther Allison en invités. Deux albums : “Claire” (1990) et “Jack-Line” (91), avec des compositions originales mais aussi Airegin de Sonny Rollins.
1991-94 : Denis Badault, claviériste du premier ONJ, reprend le flambeau avec une formation de 16 musiciens : deux trompettes, trois saxophones, deux trombones, un tuba, une guiatre, un piano, une contrebasse, batterie et percussions, amis aussi, nouveauté, une vocaliste (Elise Caron), un violoniste et un violoncelliste. Des festivals : Nevers, Angoulême, Paris, Coutances, Amiens, Banlieues Bleues. Tournées en France, Allemagne, Portugal. Des invités : Johnny Griffin, Toots. Trois albums : “A plus tard” (92), “Monk, Mingus, Ellington” (93), “Bouquet Final” (94), avec des compositions originales et des classiques réarrangés pour le deuxième album : Doux Duke (Satin Doll) Mix Monk (Bemsha Swing, Brilliant Corners) mais aussi Evidence et Monk’s Mood, Mix Mingus (Better get it in your soul, Don’t be afraid).
1994-97 : Laurent Cugny conçoit son ONJ comme un prolongement de son Big Band Lumière, y étaient déjà présents Claude Egéa (trompette), Lionel Benhamou (guitare), Benoît de Mesmay (claviers), Frédéric Monino (basse électrique), Stéphane Huchard (batterie). L’album Yesternow, dédié à la musique de Miles, sort d’ailleurs sous le nom ONJ, alors que le line up de la formation n’est pas formé de manière définitive. De nouveau une formation répartie en sections traditionnelles, mais avec de nouveaux noms : trois trompettes (dont Serge Plume du Brussels Jazz Orchestra et l’Italien Flavio Boltro), trois saxophonistes (parmi lesquels Stéphane Guillaume et l’Italien Stefano Di Battista), une flûte, un trombone (Phil Abraham), un cor et un tuba, deux claviers, guitare (Frédéric Favarel succède à Lionel Benhamou), basse électrique et batterie. Tournée en Hongrie, Roumanie, Bulgarie. Festivals plus « traditionnels » : North Sea, Vienne, Marciac mais aussi Jazz à Liège. Des invités : Maria Schneider et le bluesman Lucky Peterson mais aussi les quatre précédents directeurs artistiques pour les 10 ans de l’ONJ. Trois albums: “Reminiscing” (95), “In Tempo” (95), “Merci, merci, merci” (97), fin de la collaboration avec Label Bleu, au profit de Verve, avec des compositions originales mais aussi des thèmes de Miles, Lalo Schiffrin, Wynton Marsalis et…Howlin’Wolf.
1997-2000 : Didier Levallet, une grande figure du free jazz français qui a tenté plusieurs expériences en formations élargies comme le Swing String System avec Didier Lockwood ou le tentet Generations, déjà avec Chris Biscoe (saxophone alto), opte pour une configuration assez classique mais avec, pour chaque poste, une opposition de générations et de styles : trois trompettes (l’ « ancien » Harry Beckett opposé au jeune Nicolas Folmer, à propos duquel Phil Abraham ne tarit pas d’éloges), deux trombones (Yves Robert, Phil Abraham), quatre saxophones (Chris Biscoe opposé au jeune Frédéric Couderc), une guitare (Serge Lazarevitch), piano (Sophia Domancich), contrebasse, deux batteries (Frédéric Laizeau, Ramon Lopez) et, en invitée Jeanne Lee. Tournée dans les Balkans, Ukraine, Turquie, Egypte. Festivals de Grenoble, Strasbourg, Vienne, La Villette. Des invités connotés « free » : Daunik Lazro, Paolo Damiani, John Surman. Trois albums : “ONJ Express” (98), “Séquences” (99), “Deep Feeling” (2000) chez Evidence auquel Levallet est lié, avec des compositions originales mais aussi Duke Ellington Sound of Love de Mingus.
2000-2002 : l’Italien Paolo Damiani, un des piliers du très libertaire Italian Instabile Orchestra (la crème du free jazz italien), verra son mandat écourté : plusieurs musiciens « étrangers », italiens, allemands ou belges (Phil Abraham à deux reprises, Serge Plume) certes, mais un chef d’orchestre qui n’est pas franco-français ne sera pas au goût de tous. Pourtant le violoncelliste transalpin avait opté pour une fameuse caution : une codirection artistique avec François Jeanneau. Une solide assise rythmique, l’Anglais expérimenté Paul Rogers à la contrebasse et Christophe Marguet à la batterie, et une volonté de découvrir un lot de talents émergents : à la trompette, Médéric Collignon et Alain Vankenhove (Rêve d’Eléphant Orchestra), trombone (Gianluca Petrella puis Gueorgui Kornazov), saxophone (Thomas de Pourquery, et parfois, Christophe Monniot ou Javier Girotto), violon (Régis Huby), guitare (Olivier Benoît ou Manu Codjia). Concerts à Paris, Munster, et une série de villes méditerranéennes : Bologne, Milan, Séville, Malaga, Braga mais aussi le Gaume Jazz (interview pour Jazzaround). Mais assez peu de festivals en France, sauf Crest et Fort Napoléon. En invités : la chanteuse Lucilla Galleazzi, Akosk S. et Claude Barthélemy, un ami. Un seul album (un des plus beaux), pour ECM, “Charméditerranéen”, avec Gianluigi Trovesi (clarinette, saxophone alto) et Anouar Brahem (oud) en invités, pour un répertoire original aux senteurs du Sud (Damiani, Jeanneau, Trovesi, Brahem.
2002-05 : après le mandat écourté de Paolo Damiani, le retour d’un proche : Claude Barthélemy. Une nouvelle formation en « miroirs » et la découverte de nouveaux talents : deux trompettes (Médéric Collignon et Geoffroy Tamisier), trois trombones (dont Sébastien Llado), deux saxophonistes (dont Vincent Mascart), un accordéon (Didier Ithursarry), une guitare (Alexis Thérain), deux basses (l’une acoustique, Nicolas Mahieux, fils de Jacques ; l’autre électrique, Olivier Lété, fils de Christian), batterie ( Jean-Luc Landsweerdt) et percussions (Vincent Limouzin). Des maisons de la culture et des clubs : Amiens, Pannonica de Nantes, Duc des Lombards. Festival de La Villette et Nevers. A l’étranger, Portugal et Canada. En invités, les vocalistes Elise Caron et Charlène Martin, Daunik Lazro, Jean-Pierre Drouet, l’Ensemble Ars Nova. Deux albums : “Admirabelamour” et “La Fête de l’eau” (Label Bleu), consacrés à des compositions originales mais aussi à Giant Steps de Coltrane et Wild cat blues.
ONJ Franck Tortiller – plays Led Zeppelin par canterburyscene
2005-08 : Franck Tortiller, fort de sa participation au Vienna Art Orchestra, succède à Barthélemy. Il présente une formation de 10 musiciens : une trompette, un trombone, un tuba, un saxophone, des claviers et samples, une contrebasse, deux batteries (Patrice Héral, David Pouradier Duteil), deux vibraphones/marimba (Tortiller, Vincent Limouzin). Festivals : Europa Jazz Festival, Orléans, Coutances. A l’étranger, Allemagne, Autriche, New York, Irlande. Club : New Morning. En invité : Nguyên Lê. Deux albums (Le Chant du Monde) : “Close to Heaven” (2005), un hommage à la musique de Led Zeppelin, “Électrique” (2007), un répertoire original inspiré par « l’électrification des instruments » (Miles, Hancock, Weather Report).
2009-13 : Daniel Yvinec est choisi comme directeur artistique pour son esprit d’ouverture : il a collaboré avec Mark Turner ou Paul Motian comme Suzanne Vega, Salif Keita ou Yael Naim. Une équipe restreinte de dix musiciens : deux trompettes, trois saxophones (dont Matthieu Metzger), flûte, piano et claviers, guitare, basse électrique, batterie. Festivals : Banlieues Bleues, Nicee, Londres, Johannesburg. Tournée en Australie, Maroc, Chine, Amérique latine. Invités : Yael Naim, Rokia Traoré, Erik Truffaz, John Hollenbeck, Billy Hart, Benoît Delbecq. Quatre albums: “Around Robert Wyatt” (2009), “Shut Up And Dance” (compositions de John Hollenbeck, 2010), “Piazzola” (hommage au tango, 2012), “The Party” (arrangements de Michael Leonhart, hommage à Sun Ra, Zappa et Sly Stone, 2014).
Un esprit ONJ ?
Chaque directeur artistique a marqué son ONJ de sa personnalité et de ses choix artistiques. S’il n’existe pas, à proprement parler, d’esprit ONJ, il n’est pas impossible de déceler quelques constantes. L’importance de l’assise rythmique, avec des contrebassistes de premier plan, souvent doublés d’une basse électrique et, d’autre part, de fortes personnalités à la batterie, là aussi avec souvent un dédoublement possible avec un deuxième batteur ou un percussionniste. Autre constante, une large place laissée aux instruments électriques et particulièrement à la guitare : Marc Ducret, Nguyên Lê, Claude Barthélemy, Serge Lazarevitch, Gérard Pansanel, Frédéric Favarel, Manu Codjia, Olivier Benoît. Plusieurs formations ont opté pour une orchestration assez classique, avec répartition en sections figées, à la façon des big bands américains et vers un répertoire de reprises. Les formations les plus originales sont, sans doute, celles qui se sont éloignées de cette répartition en sections figées (Claude Barthélemy, Franck Tortiller, Didier Levallet) et ont proposé, souvent avec une formation plus réduite, une ouverture vers une orchestration moins classique (violon, violoncelle, tuba, accordéon, vibraphone, voix) pour présenter de réels projets à dimension européenne (Charméditerranéen de Paolo Damiani, les projets d’Olivier Benoît). Mais la principale caractéristique reste, comme pour l’actuel ONJ, cette volonté de partir à la découverte de nouveaux talents, de fortes personnalités émergentes : c’est en cela que les onze ONJ constituent une extraordinaire vitrine du jazz français.
Claude Loxhay